Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

feuilletonton

20 février 2016

TABLE des Matières

TABLE des Matières
TABLE DES MATIÈRES Première Partie LES ÉCOLOCROQUES panoramique Rochefort 10 images + RVB en S J’ai éprouvé quelque mal, sur ce blog, à « caler » les épisodes l’un après l’autre. Les dates de publication m’ont parfois semblé (peut-être à tort) intangibles....
Publicité
Publicité
19 septembre 2016

LES EAUX

Le thème de ce Phototonton sera (septembre 2016)

 

LES EAUX 

             

p1-23rec+RVB en S

         La Source. Le trop plein p23 [1]

La dernière fois, c’était en avril 2016, et je parlais de « Portraits » et de la fin de la construction de la Boîte à Visages

J’y parlais de Narcisse, aussi, et le mot « Portrait » se trouvait mal choisi. J’aurais sans doute dû parler d’Images bâties sur des visages…

J’y parlais aussi de « portraits » « persique ou orphiques ». Il est vrai que j’aurais dû dire « perséiques ou orphéiques », pour éviter des confusions de sens.

J’en ai réalisé d’autres, depuis, de ces portraits, que je « sortirai » sans doute plus tard.

Plus tard.


Pour l’heure, je caresse le projet de réaliser des impressions en taille-douce (sur photopolymères) à partir de certaines images en Noir-et-Blanc (et peut-être en couleur). Mais je dois apprendre, et me procurer l’équipement nécessaire.

Si vous entendez parler d’une presse taille-douce disponible ou à vendre…

J’ai aussi eu l’occasion exceptionnelle de voir et de photographier une source, abondante, nourrie, qui alimente deux villages et dont je bois l’eau quotidiennement.

Cette source avait attiré l’attention de l’un de ces « voraces » qui foisonnent dès qu’ils sentent, ou croient sentir une ressource (financière bien sûr, via un bien qu’ils prétendent « valoriser ») possible.

Passons. Ils sont sans intérêt.

De voir, aussi, des fleurs impossibles. Des endroits incroyables. D’y croiser des gens improbables…

J’ai consacré beaucoup de temps à la suite de Delphes. Ce qui explique ma défection vis-à-vis de ce Phototonton que je reprends aujourd’hui.

 

De l’extérieur, la source déborde, son trop-plein est présenté en en-tête.

Les détails en sont échevelés : 

HVP_2303+RVB en S

La source (+RVB en S)

De l’intérieur, après que Jean-Louis nous ait accueillis (nous : Vous et nous, les photographes) : 

HVP_3277+RVB en S

 

HVP_3275+RVB en S

 Le Bon Accueil…

On découvre la répartition des eaux entre les deux villages : 

DSCF0413

Le Partage des eaux…

DSCF0413

 Le même endroit, P 10

Et puis, un peu plus haut se trouve la Source elle-même, discrète, secrète, dans ce qui constitue le VRAI château d’eau. Là, il faudra se pencher pour entrer : 

DSCF0360

L’entrée du Château (photo TN[2])

On ne voit pas d’où sourd cette eau. Elle est là… 

p3-28

La Source, à droite dans le Château : P28 

p4-28

La Source, à gauche dans le Château : P28[3] 

DSCF0396+RVB en S

La sortie vers le Partage + RVB en S

(Photo TN)…

 

La prochaine fois, on parlera encore d’Images. Mais revenons à Delphes.

J’ai employé les images de la Boîte à Visages pour en illustrer le début…

 

D’autres images pour les Suites

 

Le CATALOGUE de tous les Phototontons, sur le blog du Sud-Ouest, c’est ici.

Et n’oubliez pas de relire le Grand Feuilletonton, toujours pas disponible en librairie mais sur le précieux blog de Tonton Raspoutine, où le Naze aussi se raconte : 

 

Si faut croire tout ce que con dit, ça se sauret ! [4]

 Mais qui va bientôt passer sur le blog Canal.

 

À SUIVRE…

 

Tonton

 

 



[1] P23 : panoramique de 23 images prises en Fx. Dimensions d’origine : 12515 x 15854 pixels, soit 105.96 cm x 134.23 cm à raison de 300 ppp (pixels par pouce). Je rappelle que TOUTES les images présentées ici sont réduites.

[2] Photo Tata Nuguette

[3] C’est une coïncidence : deux panoramiques de 28 images. Objectif 50mm en Fx

[4] Comme disait Ensor (car l’Art Ensor)…

15 juin 2016

LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici

 

2ZB26DMSrec+CS1                       

L’éveil du Noyer Zédation de 26 images +CdP + CS1

 

N°29 / LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10

C’est l’histoire où Rébéquée fait la connaissance d’Amaïa, la Nouvelle Mère.

 

Lundi 18 avril

8 heures

Agotchilho

 

Rébéquée s’éveille dans la tiédeur de l’eau, la nuque posée sur le rebord poli de la cuve de pierre, bras et jambes écartés et détendus, toute douleur enfuie.

Près d’elle, le souffle léger d’Hélène qui dort, paupières closes, un sourire paisible aux lèvres.

Mais le souvenir est là, présent, précis, obsédant. Ses mains liées devant elle sur la margelle noire, Jules, Jules…

Et ses larmes de couler de nouveau devant la vision insupportable du crabe qui se dresse, du sang qui jaillit…

Et puis, c’est le souvenir des mains crispées sur ses hanches tandis que….

Ses larmes coulent, chaudes sur son visage, mais son corps est lavé des meurtrissures, sa vigueur est revenue.

Elle attire Hélène contre son épaule, se jure bien qu’elle ne lui dira pas, qu’elle ne lui dira rien.

Jamais.

 

Dans son sommeil, son amie lui sourit, bredouille, la tête, là, dans le creux de son cou, membres déliés, à l’abandon, et Rébéquée caresse tendrement son visage.

Un bruit lui fait tourner la tête vers la porte qui s’est ouverte. 

Deux « Boules » sont entrés précédant celle qui était assise sur le fauteuil de pierre, celle qui a accouché devant eux, celle qui a poussé d’un geste presque tendre la tête sanglante de Jules dans le gouffre du crabe… Celle que la Vieille, qui se nommait elle-même comment déjà ? ah oui, Ônyà, la Mère, appelait la Nouvelle Mère, et dont Rébéquée n’a rien à faire parce qu’elle continue de caresser doucement le visage d’Hélène en se désintéressant des nouveaux arrivés qu’elle entend vaguement grogner autour du cadavre du concierge Chocho.

Tiens, c’est vrai, elle l’avait oublié celui-là.

Du coup elle tourne machinalement la tête et voit que les deux Boules le tirent dehors par les pieds, sa tête désarticulée ballottant et rabotant sa face sur le sol entre ses bras mous qui traînent derrière lui.

La « Nouvelle Mère » s’est assise sur la couche et allaite son bébé qui tête goulûment un sein plantureux.

Cette fois encore, et malgré la distance de sa rancœur, Rébéquée est frappée par son aspect hiératique, son front bas barré des bourrelets qui sous-tendent d’épais sourcils, son crâne fuyant dont la ligne est accentuée par les cheveux, coiffés en petites nattes tressées chacune au centre d’un carré de cheveux tirés qui lui dessinent comme un damier jusqu’en haut du crâne, les nattes se rejoignant en une suite de lignes raides collées par de la graisse sur la nuque, et surtout elle ne peut s’empêcher de rester fascinée par ces yeux noirs, immenses, au luisant opaque d’obsidienne, si sombres, si profonds qu’on les croirait dépourvus de pupille, ou constitués d’une seule immense pupille dont la profondeur aurait avalé tout l’iris jusqu’au blanc d’ivoire de la cornée. Des yeux de statue. De ces statuettes incroyables de la Mésopotamie ancienne ou d’ailleurs qu’elle a vues à dieu sait quelle exposition et devant lesquelles elle était restée, fascinée, un temps qu’elle n’avait même pas cherché à mesurer, si bien qu’un gardien avait dû lui demander de sortir : on ferme ! Un visage presque rond, à la peau ocre, sans doute enduite de quelque substance argileuse, tendue sur des pommettes hautes, une bouche large et modelée dans un rectangle rigide.

Fermée sur un silence patient.

 

Assise genoux écartés, sans pudeur ni provocation, avec une habitude de la nudité qui en rendait les détails, aussi précis et aussi crus qu’ils fussent, aussi naturels et aussi… purs (c’était l’idée qui s’imposait à l’esprit de Rébéquée, même si elle lui semblait incongrue, mais justement…) oui, aussi purs, que ceux d’une statue.

Rébéquée pouvait contempler ces seins lourds où roulait la tête du bébé, gonflés de leur lait, ce ventre épanoui entre les hanches larges, ces cuisses lourdes entre lesquelles se devinaient les ombres d’une toison profonde, et ces chevilles puissantes, avec le même détachement sensuel et le même plaisir esthétique que les lignes fortes d’un Maillol, elle pouvait se perdre dans ce regard minéral avec le même bonheur inconscient que dans celui des statuettes mésopotamiennes. Alors qu’un regard d’Hélène ou le frôlement de son sein, elle le pressentait faute de l’avoir éprouvé consciemment (leurs caresses avaient été jusqu’ici volées à l’ivresse), lui couperaient le souffle.

- Tu as bien fait de le tuer, il avait été perverti par les Pouyagoumyôs …

Un peu surprise, Rébéquée tourne la tête cette fois franchement vers la nouvelle venue.

- Les Pouyagoumyôs ?

- Ceux qu’Ônyà a appelés devant toi les Pouyagoumyôs : « Ceux qui sont derrière la porte de fer ». Ceux qui vous ont capturés, toi et tes amis, et qui vous ont livrés à nous, puisque c’est eux qui ont dit à leur « concierge », que tu as puni, de vous piéger dans notre cité, puis qui vous ont capturés lorsque vous nous avez échappé.

Je m’appelle Amaïa, et tu es Rébéquée, même si Ônyà t’a nommée Ouôtâne.

Ônyà a accompli son destin et a rejoint Ôoumloc comme elle le souhaitait avant qu’il ne regagne ses abysses, ses amours achevées. Elle était très âgée et a vécu pour son peuple. Tu ne dois pas la haïr : elle t’estimait beaucoup.

Rébéquée hausse les épaules et détourne la tête pour regarder en souriant le visage endormi d’Hélène.

- Tu sais ce que je lui ai dit à ta vieillarde ?

- Oui. Elle me l’a répété. Je te comprends. Nous nous reverrons lorsque tu auras repris toutes tes forces et reconquis la paix de ton esprit. D’ici là, mange sans crainte, soigne ton amie qui dormira encore longtemps, et réfléchis.

 

Somptueusement nue et l’enfant endormi sur son sein, elle se lève et elle sort. 

 

8ZB39DMS+RVB en S

L’orobranche Z38+ cdP+RVB en S

 

N°30 / LE NUMERO UN S’EXPLIQUE / P1C2E11

C’est l’histoire où, dans le sous-marin, le Numéro Un expose à Victor et Clémentine sa philosophie de la vie, sa conception du Pouvoir, et ses buts politiques.

 

Mardi 19 avril

8 heures 30

Hai II

 

Le Numéro Un s’esclaffe :

- Ah, mes amis, venez lire ça !!! C’est une merveille !!! Ils ont ressorti les chassepots !!!

 

Il est assis devant l’écran d’un ordinateur dans la bibliothèque où Vic et Clèm viennent d’entrer, sous la conduite de leur « ordonnance » Vladimir, et ce qu’il lit semble le ravir :

- Venez voir, c’est encore mieux que ce que je pensais !!!

 Derrière lui, Piotr, debout et sourire en coin, s’écarte pour leur laisser la place.

 Victor s’approche pour lire par-dessus l’épaule du Numéro Un.

 Et il découvre la première page de la Lanterne !

 - Mais c’est la première !

- Oui, l’un de nos… amis a installé un système de mouchard qui nous ouvre toute votre informatique, aussi bien au Matois qu’à la Lanterne. D’ailleurs c’est la même chose maintenant, ils ont fusionné les deux titres : lisez, ils ont publié cela vendredi !

- L’un de vos amis ?

- Nous avons des amis partout, (avec un rire grinçant) l’écologie est une noble cause qui attire les bonnes volontés. Voyez-vous (il s’écarte de l’écran pour regarder son interlocuteur en face) ; l’un de nos penseurs du siècle dernier, un certain Rudolf von Sebottendorf[1] pour être précis, et quelques-uns de ses amis, ont développé le principe d’une stratégie remarquable : pour lui, pour eux, le combat culturel précède le combat politique et le combat politique précède la lutte armée. Mais je vous en parlerai bientôt de manière plus… concrète. Nous sommes encore dans le combat culturel. Et nous abordons le combat politique, grâce à votre collaboration. C’est au nom du combat culturel, de cette fabuleuse lutte pour un monde propre, que nous avons acquis les collaborations dont nous avons besoin… (il s’interrompt et regarde plus intensément Victor en face, comme s’il le découvrait) Mais… Vous, vous avez changé ! Notre influence déjà ? Je… (il éclate de rire) La moustache ! Vous avez rasé la moustache !!!! Quelle excellente initiative ! Entre nous et si vous me permettez cette remarque indiscrète, je trouvais ces crocs démodés. Mais il en va de la moustache de l’homme comme de la coiffure de la femme : c’est un changement de personnalité. Et la vôtre n’avait pas besoin de ces crocs conquérants (il affiche un large sourire). Nous conquérons le monde. Vous n’avez plus besoin de paraître conquérant, mon ami ! Vous l’êtes !!!

- C’est votre rasoir électrique qui a glissé. Une simple maladresse de ma part. N’en tirez aucune conclusion.

- Bien sûr, bien sûr. Mais trêve de plaisanteries. (En montrant l’écran) Que pensez-vous de ceci ?

- Je vois que les deux rédactions ont fusionné, remarque Clèm qui est restée en retrait et vient de s’approcher pour découvrir l’écran. Arthur Malfort est un homme généreux (Victor amorce le geste de friser ses moustaches, et se trouve réduit à froncer les sourcils)… Son père est un type bien, mais je ne le connais pas…

- Un type bien ! s’esclaffe le Numéro Un. Une antiquité !

- Pas plus que votre père, remarque Clèm glaciale.

 Le Numéro Un se retourne pour la regarder en face :

- Mon père n’a jamais pris sa retraite ! Il n’est jamais sorti de l’action. Malfort, lui, joue « Le Retour ». Il sort de ses pantoufles. Mais cette fois, c’est nous qui disposons des cartes qu’ils n’ont pas su, pas osé utiliser. La Résistance !!! Après cinquante ou soixante ans, ils en sont encore à se gargariser de leurs vieilles lunes ! Allons, mes amis, vous croyez sincèrement qu’ils ont une seule chance face à nous ? Dans leur « démocratie à réaction » qui n’a vraiment rien d’une fusée, leur « Président » va en référer à l’Assemblée des « élus à réaction » du Peuple, qui vont se mettre à imaginer les réactions de leurs électeurs devant leurs possibles réactions officielles ou officieuses, pour savoir comment stratégiquement réagir et quelles réactions adopter au bout du compte. Deux sondages et trois émissions débat plus tard ils balanceront entre marcher ou reculer, peut-être mobiliser, mais quoi, contre qui pour ne mécontenter personne de leur électorat ? Allons, pas d’inquiétudes : le temps qu’ils réalisent, qu’ils réagissent et qu’ils lancent Vigie-Pirate, nous serons les Maîtres !

- Les maîtres ? demande Victor ? Mais pour quoi faire ?

- Pour être les Maîtres. C’est une ambition en soi. Et pour imposer notre vision des choses et du monde. Décider. Pouvoir. Je vous assure, mon cher, que c’est là l’ambition la plus élevée et le plaisir suprême auxquels un homme puisse accéder. Pourquoi le roi veut-il être roi ? C’est ce qui motive l’humanité depuis ses débuts, ce qui constitue le plus noble de ses buts. Du Maire de village à Gengis Khan, du boutiquier qui harcèle son pauvre employé à Rockefeller, de votre « Président » à l’adjudant de service, tous veulent jouir du Pouvoir. Tous jouissent de leur peu de Pouvoir. Ils aimeraient bien Pouvoir tuer, parce qu’ils pressentent que c’est cela le vrai Pouvoir, mais ils n’osent pas, coincés par les règles qu’ils ont imposées aux autres pour s’en défendre ! Alors, ils recherchent le Pouvoir. Plus de Pouvoir… En espérant qu’ils pourront tuer un peu plus au cran supérieur de la hiérarchie. Aucun n’a notre force : nous, nous tuons. Qui nous voulons, quand nous voulons. Comme nous voulons. C’est cela notre Pouvoir. C’est nous, le Pouvoir. Et nous le garderons. Parce que nous sommes une famille, ce que vous appelleriez une Dynastie, une famille organisée et secrète, inaccessible parce qu’ignorée. Le vrai Pouvoir ne doit en aucun cas être ostentatoire. C’est l’ostentation qui a tué les dynasties du passé et qui les réduit à ces marionnettes de carnaval que vous voyez autour de vous.

Mais assez de… philosophie, que diable, soyons joyeux ! Et répondons à leurs attentes, ils doivent se demander, comme vous, ce que nous voulons, puisque nous avions dit (il suit du doigt la ligne de sa proclamation sur l’écran) : « Nous vous contacterons dès demain pour vous dicter nos conditions et vous faire connaître nos exigences écologiques ». Alors allons-y ! Nous sommes déjà en retard ! C’est vous, mes amis, qui leur transmettrez. Le mail partira cette nuit. Piotr, papier, crayon. Vladimir, leur ordinateur doit être prêt. Et une photo de nos amis dans la bibliothèque pour montrer leur collaboration. Ici, tout le monde travaille !!!

 Il se frotte les mains en riant, se relève, arpente la pièce et vient pousser amicalement Victor à s’asseoir devant le bloc que lui a présenté Piotr toujours souriant et louchant sur Clèm qui le snobe ostensiblement :

- Donc :

D’abord, une adresse liminaire, du genre « Peuples de la Terre », nous plaçons la Terre par-dessus tout, vous êtes des gougnafiers de l’avoir négligée et nous nous sommes donné les moyens de vous forcer à la respecter. Comme c’est nous les plus forts, vous obéirez. Je vous laisse broder sur le thème. Faites dans le solennel avec pour message : de toutes façons si vous continuez comme ça la terre est fichue, alors fichue pour fichue, nous n’hésiterons pas à vous atomiser.

 Ensuite, vous énoncez nos conditions. Et là, soyez précis, écrivez…

 Après dix minutes d’une dictée qui laisse pantois les journalistes, le Numéro Un se penche tout guilleret sur l’épaule de Victor qui noircit le bloc de ses notes :

- Ces premières injonctions des Écolocroques, à paraître dès demain, seront transmises dès que possible. Ajoutez le récit de votre séjour, vos impressions… Positives… Positives ! insiste-t-il. Et regardez… (les pages suivantes du journal s’affichent sur l’écran) Bien… Ils ressortent les affaires du dossier Écolocroques…

 Il relit au fur et à mesure de l’affichage des documents et éclate de rire :

- Le hangar de la SOPAPI, tu te souviens, Piotr ? C’est là que notre mauvaise payeuse avait planqué son stock. Elle l’a avoué après cinq minutes d’intimité avec son crabe. Tu as récupéré le stock et brûlé le reste. Et on a fait croire que c’était des OGM. La pisciculture… ah, ça c’était joli. Combien a-t-on versé au Conseiller en matière d’économie électorale pour qu’il flanque le type à l’eau et qu’il le récupère ? 4000 ? Il voulait « 6000 en plus [2] », comme il disait !!!  Dix mille, quoi !!! Il a dû se contenter d’un article dans le journal. Un brillant avenir politique… Ça c’était pour faire plaisir aux Chochos : le ruisseau finit dans un de leurs machins souterrains… Le silo de Bordeaux, on n’y est pour rien. Un accident, mais on a récupéré le bébé… C’est comme la fuite de pinard : une blague de potaches. Tu te souviens ? C’est toi qui as eu l’idée dans une réunion d’écolos en les entendant se disputer sur leurs certifications… La pépinière… On essayait un lance-flamme. Tant qu’à faire, autant que ça serve à quelque chose. Pas terrible d’ailleurs le lance-flamme en question. Le notaire, oui, c’est celui qui voulait faire des recherches généalogiques autour de la base d’Agotchilho. C’est le fils du pharmacien qui nous a prévenus, un brave petit écolo lui aussi. Bon p’tit gars ! C’est lui qui a barbouillé les murs de papa. C’est bien, ces jeunes qui placent leur idéal « über alles » ! Le tractopelle, ce sont des imbéciles du coin, des histoires de chasseurs je crois, ou de bergers, mais là aussi… on récupère ! Et… Ah, oui, le directeur de supermarché ! Un tyranneau local qui jouissait d’emmerder son personnel et qui a voulu des « cadeaux », des « marges arrière » pour continuer à vendre le pain d’algues. J’étais là quand il s’en est pris à ce petit curieux, qu’on a dû mettre aux crabes (Clèm s’est redressée, livide, et Victor lui a saisi vivement la main pour la contenir)… Comment s’appelait-il déjà, c’est mon père qui s’en est occupé… (il se redresse et regarde Victor qui reste paralysé, le stylo enfoncé dans le bloc et la main gauche serrée sur celle de Clèm) J’oublie parfois les détails, vous savez…

- Hector, il s’appelait Hector, lui rappelle Piotr.

- Voilà… Piotr a une excellente mémoire. Hector… Eh oui, nous soutenons nos amis, nos collaborateurs, si lointains soient-ils, et celui-là était vraiment lointain, et nous l’avons soutenu contre ce tyranneau aux petits pieds. Mais il ne faut pas nous trahir, je pense à Hector, naturellement. Bref, ce bonhomme du magasin en question nous a beaucoup amusés. En dix minutes de conversation, nous l’avions convaincu de nous donner son magasin, sa femme, ses deux filles et les caissières qu’il forçait à coucher avec lui sur les cartons de la réserve. Mais nous sommes restés incorruptibles. Nous ne sommes pas des marchands de tapis, n’est-ce pas, mon cher Piotr ? Vous allez rire, Piotr venait de voir un reportage sur les dauphins de Méditerranée qui s’étouffent dans les sacs plastique que les touristes jettent à l’eau. Ça lui a donné l’idée du dauphin gonflable ! Pas mal, hein ? Allez, viens Piotr, nous avons du travail. (Il s’adresse à Victor, toujours figé) Et n’oubliez pas : les injonctions des Écolocroques, à paraître dès demain en publication intégrale, insistez bien, seront transmises dès que possible. Et les impressions positives (il détache les syllabes) po-si-ti-ves sur votre séjour ! La Terre par-dessus tout !!!

 Il éclate de rire et il sort suivi de Piotr  et de son sempiternel sourire.

- Ah, j’oubliais : (il est revenu en arrière et passe la tête par la porte) Rudolf von Sebottendorf… Vous trouverez ses écrits et quelques autres dans notre bibliothèque. Je pense qu’il doit y en avoir une traduction française, si vous ne lisez pas l’allemand. Nous avons encore trois jours de navigation, les journées sont longues à bord d’un sous-marin lorsque l’on est passager…

Et il referme doucement la porte.

 

Clèm s’assied près de Victor qui lui lâche la main. Vladimir s’assied à son tour de l’autre côté de la table où il a posé l’ordinateur portable de Vic.

- Il est fou !!! Complètement cinglé ce type ! Et il dispose de… mégatonnes !!! souffle Clèm.

Victor regarde Vladimir qui pose un doigt sur ses lèvres : le lieu n’est pas sûr.

- On doit écrire, mon Canon. Aide-moi… C’est tout ce qu’on peut faire pour l’instant. 

13ZA35DMS+RVB en S

 Zédation de 35 images + CdP + RVB en S

 

N°31 / BÉATRACE, AMOUREUSE, S’ENVOIE EN L’AIR / P1C2E12 

C’est l’histoire où Béatrace fait une connerie avant de s’envoyer en l’air tout en coulant un U-Boote.

 

Mardi 19 avril

9 heures 30

Archives secrètes d’Eusèbe Malfort

 

- Remonte, papa, va t’occuper de l’édition. Béatrace et moi, on va « visiter ». Il faut que tu sois en haut, ça va bouger, tu dois y être, tu es seul capable de leur tenir tête s’ils disent des conneries.

- Oui, bien sûr. Mais prenez des munitions, des grenades…

- Contre des bombes atomiques ?

- Et nous, qu’est-ce qu’on avait contre les Nazis ?

- Tu as raison, allez, venez Béatrace, on y va !

- Où vous voulez !! (ça y est, je suis amoureuse…)

Une cavalcade dans la galerie qu’ils connaissent bien maintenant, dans la lueur tremblante d’une torche électrique, avec une lourde sacoche à l’épaule et une Sten à la main.

Pas trop fière, Béatrace se dit qu’elle pourra toujours la refiler à Arthur s’il faut s’en servir. Bien sûr, il lui a montré : tirer le levier, déverrouiller la sûreté, appuyer sur la gâchette pour tirer en dirigeant le canon vers l’ennemi et en tenant bien fort le tout…

Ça, c’est la théorie.

- On prend le locotracteur, déclare Arthur en arrivant dans la salle. Mais d’abord, ouvrir le portail…

- Vous avez la clé ?

- Dans ma musette !

Il s’approche de la serrure, y colle un petit pain de plastic, détonateur, mèche…

- Briquet ! demande-t-il à Béatrace qui a déjà réagi et lui tend le briquet de… de qui déjà ?

 

Et puis il l’entraîne derrière le locotracteur.

Gênée, elle n’ose pas recommencer le jeu de la poule sur un mur, vu qu’ils ne sont plus que tous les deux et que…

Boum !!!

 

Arthur se précipite et repousse le portail qui roule lourdement sur ses rails, serrure arrachée. Toujours courant, il revient et tire sur la prise qui relie le locotracteur au mur. La prise se débranche avec un claquement bref.

- Montez, vous allez conduire. Je vous couvre, ajoute-t-il en bondissant sur la plate-forme du locotracteur, mitraillette brandie.

- Mais… bêle Béatrace qui en est restée à la Deuche et qui n’ose pas trop monter sur cet engin.

- Montez je vous dis !

Béatrace monte avec la résignation du soldat qui découvre le no man’s land où s’entrecroisent les balles traçantes qu’il va devoir affronter.

- Fait noir, dit-elle en regardant dans la galerie qui s’ouvre derrière le portail et où disparaît le double ruban des rails qui luisent dans la lueur hésitante de la torche. Et comment ça marche ?

Arthur la pousse devant lui (il n’y a pas beaucoup de place sur cette plate-forme de conduite) et lui montre les deux manettes principales et les quelques interrupteurs en posant sa mitraillette dans le coin de la cabine, près de celle qu’elle a déjà posée…

- Ça c’est l’interrupteur général (il le bascule en ceinturant Béatrace des deux bras) (elle est trop occupée à suivre ses explications pour s’en rendre compte et ne serait-ce que songer à s’en émouvoir) (un moteur se met en route quelque part sous leurs pieds). Ça, c’est le compresseur du Westinghouse qui démarre, les freins pneumatiques. (Béatrace est ravie d’apprendre qu’au moins il y a des freins). Le grand levier, comme une manivelle, à gauche, c’est la commande de traction et le petit levier à côté, ça devrait être l’inverseur de marche, la marche arrière quoi. (Il pousse le levier de marche vers l’avant, grosse manivelle en laiton montée sur un gros axe, terminée par un gros bouton de bois poli.) (Rien ne se passe). Doit y avoir un homme-mort, affirme-t-il pour lui-même.

- Un homme mort ? relève Béatrace, pour le coup plus qu’inquiète.

- Un dispositif de sécurité qui coupe la traction si on le relâche…

Il appuie le levier-manivelle vers le bas et le petit train réagit par un sursaut en avant qui cesse lorsqu’il le relâche.

- Voilà : il faut garder le levier appuyé vers le bas tout en le poussant pour que ça marche… Et ça c’est le frein, ajoute-t-il en poussant vers l’avant la manette de droite, plus petite et toute lisse avec l’autre main.

Il ne se passe rien, jusqu’à un certain point où un sifflement se fait entendre…

- Ralentisseur électrique puis freinage pneumatique diagnostique Arthur en relâchant le tout.

- Ce qui veut dire ? demande Béatrace que cette débauche de technique impressionne.

- Ce qui veut dire qu’une légère poussée inverse le branchement des moteurs électriques qui deviennent dynamos et freinent en récupérant l’énergie pour les batteries, et qu’une poussée plus forte actionne les freins pneumatiques qui bloquent les roues…

- Ahhhhh ! bée Béatrace en poussant un interrupteur jusqu’ici ignoré, ce qui allume un puissant phare à l’avant de l’engin.

Fière d’elle, elle s’écrie :

- Et ça c’est les phares ! Manque plus que le klaxon et les essuie-glaces !

- Y’a pas de glaces et on se passera de klaxon, déclare Arthur. En avant, chauffeur.

Elle tourne vers lui un petit visage inquiet, et avec un frisson de moustache :

- On  y va Arthur ?

Il lui sourit et lui embrasse gentiment la joue :

- On y va, ma grande.

 

Et il ramasse sa mitraillette.

 

Avec un large sourire, elle pose les deux mains sur les manettes de traction et de frein, appuie celle de gauche vers le bas et la pousse doucement vers l’avant comme il lui a montré (elle tremble un petit peu) (elle pense à Indiana Jones).

Un ronflement sourd. Le train s’ébranle (et youpee !!), franchit le portail et s’enfonce lentement dans la nuit.

La galerie noire s’ouvre au faisceau du phare, et puis se fond dans l’ombre qui se referme derrière le petit train. Le tacatac régulier des rails scande le ronflement sourd du moteur électrique.

Arthur, tendu, inquiet au départ, se détend peu à peu : la galerie est longue. Très longue. Il pressent qu’elle va les conduire loin. Loin de Saint Tignous sur Nivette, et que rien ne se passera avant qu’ils n’arrivent à destination : la salle de départ était vide. Le déménagement de son contenu achevé, l’endroit est certainement au moins provisoirement abandonné.

Béatrace, elle aussi se détend, rassurée par Arthur, armé, dont elle sent la présence derrière son dos. Il me couvre, pense-t-elle avec un petit rire égrillard qu’elle garde pour elle.

Elle aussi ressent l’effet apaisant du tacatac des rails…

Devant eux, le long capot du locotracteur prolonge le pupitre de commande. Béatrace, attentive à l’obscurité qui s’ouvre devant elle dans la double ligne brillante des rails, maintient une vitesse prudente…

 

La tignasse hirsute de Béatrace devant lui, la silhouette mince de Béatrace, la concentration de Béatrace…

 

Arthur se dit en posant sa mitraillette dans l’angle du pupitre que tout cela est bien plaisant.

- Une poule sur un mur… susurre-t-il à son oreille.

Du coup, elle tourne la tête presque à se cogner et le regarde avec un sourire éclatant qu’il devine dans le contre-jour du phare, et puis elle reprend le sérieux de sa conduite…

Mais elle sent bien qu’il a les mains libres, parce que lui aussi est rassuré par cette longue galerie déserte et qu’il les a posées sur ses hanches…

Son sourire s’élargit encore, mais elle garde les yeux fixés sur les rails droit devant elle, même lorsque du bout des doigts il picore ses seins durs sous son tee shirt.

Il a posé sa mitraillette pense-t-elle.

Et pourquoi va-t-elle se mettre à penser aux canons de Navarone ? C’est vrai qu’elle a toujours des idées bizarres. Le souterrain, les gros obus, les gros canons. Les gros obus qui montent et qui descendent par le monte-charge et puis boum, la montagne qui explose. Bien sûr, d’osciller entre l’obus et le canon rend la métaphore hésitante et floue et elle en a conscience, et ça la fait rire Béatrace, et Arthur pense que c’est parce qu’il a entrepris de descendre son pantalon léopard pour explorer sa luxuriance, ce à quoi elle se prête volontiers en lui tendant une croupe plus dodue qu’il n’y paraissait.

Bon, se dit-il, cette aventure comporte de bien agréables péripéties, mais il faudra agir prudemment. Ce qui en soi est déjà fort imprudent parce que dans son esprit il ne s’agit plus des risques de leur expédition : il évoque l’approche mesurée et progressive qu’imposent certaines disproportions anatomiques par trop flagrantes auxquelles il se trouve confronté. C’est d’ailleurs aussi ce que pense Béatrace avec un petit pincement d’angoisse lié au souvenir impressionnant de ses audaces antérieures qui renforcent ses hésitations métaphoriques liées à l’évocation des canons de Navarone.

 

Et c’est là, qu’en toute bonne volonté, elle a fait une connerie…

 

Bien sûr, Arthur avait pu vérifier de tactu que ses dispositions étaient bonnes, que le sourire qu’elle lui avait adressé à deux reprises par-dessus son épaule tandis qu’il explorait sa broussaille n’était pas de façade, que sa croupe dodue ne se creusait pas par simple politesse et qu’elle se tendait vers lui avec un appétit certain, surtout depuis qu’il avait entrepris de libérer ce que l’esprit de Béatrace hésitait encore à assimiler au canon ou à l’obus, mais qu’en tout état de cause elle paraît à juste titre du charme redoutable du gros calibre. Mais quand même, bien sûr, il voulait y aller mollo.

Et de son côté, Béatrace se disait que les manœuvres d’ajustement seraient sans doute délicates, et donc, elle s’y préparait et que…

Bon c’est vrai que c’est là qu’elle a fait une connerie.

 

Parce que, toute concentrée sur le bras d’Arthur qui lui ceinturait la taille pour la maintenir tandis que la tête de l’obus (oui, plutôt l’obus en définitive) abordait les zones sensibles préalablement débroussaillées d’un doigt discret, elle avait baissé la tête et oublié un temps sa conduite. Ou plutôt la conduite du locotracteur. Parce que pour ce qui était de sa conduite à elle, elle savait très exactement où elle en était.

 

D’ailleurs le tacatac était tout à fait rassurant.

(Ça n’a l’air de rien, a-t-elle expliqué plus tard pour se justifier, mais essayez de garder l’esprit clair quand un monsieur comme Arthur vous… Bon c’est vrai que vous n’êtes pas forcément concernés.)

Et faut dire qu’Arthur de son côté ne faisait rien pour l’aider à garder le cap. Faut bien reconnaître que lui aussi avait l’esprit ailleurs, plutôt préoccupé par une différence de niveau qu’il s’efforçait de réduire en insinuant ses genoux entre ceux, accueillants, de Béatrace sans perdre de vue l’axe de la fenêtre de tir comme on dit à Kourou (Ariane ma sœur, de quel amour blessée… il avait fait un reportage en Guyane et un peu de théâtre dans sa jeunesse).

Bon. La connerie était partagée.

Mais c’est quand même Béatrace qui, pour s’arc-bouter préventivement afin de résister aux vibrations prévisibles du décollage, a tendu nerveusement les deux bras en avant sans lâcher ses manettes.

 

Ce qui a d’un coup d’un seul bloqué les freins du petit train.

Et projeté en avant le quintal d’Arthur déséquilibré par sa position à demi fléchie pour compenser les différences de taille, ainsi qu’exposé plus haut.

Ce qui a écrasé Béatrace, du coup transpercée jusques au cœur d’une atteinte imprévue (du moins pas aussi vite) aussi bien que radicale, écrasé Béatrace sur le pupitre, en lui soulevant les pieds de terre, dans un triple hurlement, de freins, de douleur et de plaisir.

Elle, écrasée, écartelée, soulevée, lui, précipité en avant, étranglé dans un pertuis étroit à se la peler façon banane mûre, et pressé contre des fesses moelleuses que c’en est une merveille.

Et puis sans transition, tous les deux tirés brusquement en arrière cette fois, lorsque Béatrace lâche la manette de frein qui lui glisse de la main droite et revient d’elle-même en arrière, pour se raccrocher des deux mains au gros bouton de bois poli de la manette d’avance, poussée à fond, qui fait repartir d’un coup le convoi vers l’avant dans un hoquet interrompu par le recul de l’ensemble Béatrace-Arthur.

Ensemble qui, accroché via les bras tendus et les mains crispées de Béatrace à cette fichue manette, la retire vers l’arrière au moment du redémarrage brutal, ce qui se conclut par un arrêt moins brusque sans doute, mais qui n’en repousse pas moins l’ensemble susnommé contre le pupitre, avec les coulissements forcés qui s’ensuivent entre les pièces d’attelage rudement éprouvées dudit ensemble.

Attelage dont la robustesse triomphe cependant de l’épreuve.

Ensemble qui se retrouve tout étourdi, elle couinant, lui grognant, sous les chocs successifs liés, si l’on ose dire, à la soudaineté de l’appariement obtenu, éprouvé, confirmé.

Heureusement que cette fois elle a plié les bras : jusqu’à où sans cela serait allé ce yoyo diabolique ? Jusqu’à quand ?

Bref. On s’apaise.

Mais peu : Béatrace, qui reprend ses esprits, toute habitée qu’elle soit par cette énormité qui lui chatouille presque les amygdales, repousse doucement cette fois et d’une main tremblante, une manette d’avance qu’elle n’a pas lâchée : quand la vertu l’habite (même de ch’val), une fille de France sait faire son devoir.

Le tacatac reprend.

Arthur, qui, lui aussi, retrouve à peine ses esprit, tout emballé par cet étranglement qui l’enchante, entreprend une partition de piston-vapeur qui trouve un écho quasiment ferroviaire dans le ouch-ouch dont Béatrace, couchée sur le pupitre, accompagne sa mesure en l’alignant sur le tacatac des rails.

Ledit tacatac se précipitant à mesure que le ouch-ouch s’oppresse sous l’accélération de la partition.

Et réciproquement.

Et lorsque Arthur, qui s’emballe jusqu’à presque lui mordre la nuque, tel l’étalon  brandi servant farouchement sa cavale, lorsque Arthur, enfiévré, enrichit le jeu brillant du piston  percutant dans les basses, d’un accompagnement contrapunctique de mandoline, pizzicaté du plectre de la phalangette du majeur gauche sur la crête sensible qui émerge de la jungle torride et ruisselante de fièvre, alors le ouch-ouch se mue en hululement strident tandis que Béatrace, bras tendus, nuque renversée et regard révulsé pousse à fond sa manette avec sur la rétine, la vision finale de la montagne de Navarone qui explose, aveugle à tout ce qui n’est pas cette flamme intérieure qui la ravage.

Le tacatac s’emballe dans un tactactactac frénétique et c’est ainsi…

 

… et c’est ainsi que les cinq gardes, dont Kurt, qui attendaient, debout au bord du quai de la base sous-marine, l’amarre à la main, que l’U118 finisse d’émerger, et c’est ainsi que les cinq gardes ont vu avec stupeur le locotracteur n° 2, qu’ils croyaient bien loin, déboucher sur le quai, à cinquante kilomètres heure, phare allumé, plein pot, dans le grondement de ses quinze tonnes accompagné du hurlement d’une sirène à deux tons d’origine inconnue.

Et c’est ainsi que les dix manœuvres Chochos alignés contre le mur du fond de l’embarcadère ont vu le petit train faucher en enfilade les cinq Pouyagoumyôs qu’ils accompagnaient pour les aider à décharger le sous-marin, les écraser, splash, contre le butoir du bout de la voie avant de basculer et de plonger dans le bassin, butoir pulvérisé.

Et c’est ainsi qu’Arthur et Béatrace, toujours attelés, sont envoyés en l’air par le choc et atteignent le sommet de la parabole qu’ils décrivent solidairement dans l’extase sans réaliser que leur envolée n’est pas uniquement métaphorique.

Et c’est ainsi que les quinze tonnes du locotracteur lancé à pleine vitesse plongent dans le bassin et viennent s’encastrer dans le kiosque du sous-marin qui affleure la surface et que le tampon avant droit défonce le panneau d’accès qu’un marin s’apprêtait à ouvrir.

Sous le choc, les batteries du locotracteur se brisent et deux cents litres d’acide sulfurique se déversent en fumant dans le vaisseau, aspirés par le tourbillon d’eau de mer qui s’y engouffre comme une vidange de chasse d’eau, transformant en un instant le submersible temporaire en submergé définitif, et noyant l’équipage dans un mélange d’eau et d’acide du plus désagréable effet (pour l’équipage s’entend).

 

C’est ainsi que disparut le Numéro Trois. Dissous dans un glou glou.

 

Cependant, Béatrace et Arthur, au terme de cette parabole extatique qui les précipite dans le bassin en les arrachant du coup à ladite extase (oh combien de Médors, combien de Toutounettes, qui sont partis joyeux pour se faire la fête, par le jet d’un seau d’eau se virent désunis ?), empêtrés dans des restes de fringues hâtivement enlevés, refont surface en toussant et crachant (et Béatrace se traite d’andouille pour avoir oublié qu’à Navarone aussi ça se termine à la baille).

Un peu perturbés par cet amerrissage forcé, ils barbotent l’un vers l’autre, tant la séparation brutale leur est pénible, tant cet attachement était puissant, noueux, noué, et se dirigent vers le quai après s’être débarrassés de ces restes de vêtements qui les entravent en luttant contre les tourbillons du naufrage.

Les tourbillons. Il faut toute la force d’Arthur, qui assiste Béatrace de son bras vigoureux, pour les vaincre et atteindre une échelle de fer scellée au mur…

Quand ils arrivent sur le quai, étourdis, trempés, refroidis mais ravis, les fesses et le reste à l’air, sans savoir ni pourquoi ni comment ni même où ils sont arrivés, Béatrace tombe dans les bras d’Arthur. Secoués d’un même rire homérique, ils se frottent mutuellement le dos pour s’essorer et se réchauffer.

Du bassin sortent encore quelques glouglous qu’ils attribuent au naufrage du locotracteur. Parce qu’ils n’ont même pas vu le sous-marin…

C’est alors qu’ils découvrent les Chochos.

 

Dix individus, adossés au locotracteur n° 1, celui qui reste ici pour assurer la navette, tous les dix vêtus d’une même tunique sommaire et nouée à la taille, pieds nus, tous les dix béants de surprise sous leur front bas aux sourcils saillants, dans l’éclairage jaune orange des lampes à vapeur de sodium qui leur donne un teint de cadavre.

Dix individus trapus aux regards torves et aux jambes torses, au poil rare et gras, qui les regardent, à dix mètres, comme s’ils voyaient un monstre marin émerger du bassin pour leur demander « C’est loin New York ? ».

Et l’un d’eux qui s’avance jusqu’au bord du quai, regarde l’eau où des bulles crèvent encore, les regarde, incrédule, et glougloute dans un langage mouillé :

- Et les autres ?

- Les autres ? demande Béatrace, pas du tout gênée d’être les fesses à l’air (elle fréquente des plages naturistes pendant ses congés) (elle y remporte toujours beaucoup de succès) et qui du coup remarque que la tunique du bonhomme tient plutôt du poncho retenu par une corde nouée à la taille et qu’il est à poil dessous. Et que c’est pas un triomphe.

 

Surtout par comparaison.

Forcément.

- Les autres ? demande Arthur qui s’est ressaisi et qui s’inquiète un peu de son imprudence en réalisant que tout leur arsenal est au fond de l’eau…

- Oui, Monsieur Kurt, qui était là avec les gardes (il montre le quai), et le sous-marin avec Monsieur Numéro Trois et l’équipage ?

Arthur et Béatrace se regardent.

 

Et c’est là que Béatrace a un coup de génie, histoire peut-être de rattraper sa connerie de tout à l’heure (qui lui laisse un souvenir  brûlant et cuisant à la fois) :

- Les autres ? Eh bien, ils sont repartis, ils reviendront plus tard…

- Mais… Monsieur Numéro Deux les attend, et…

- On vous a dit qu’ils sont repartis ! Et Kurt avec eux… enchaîne Arthur qui a compris que c’est leur chance qui passe : le bonhomme a l’air assez idiot pour gober l’énormité, et les autres s’approchent. Ils ne sont pas agressifs, mais s’ils le devenaient, même si individuellement ils ne pèseraient pas lourd face à lui, à dix contre un…

- Mais alors, Monsieur Numéro Deux est resté tout seul ?

- Et nous ? demande fièrement Béatrace.

- Oui, mais…

- Je suis Monsieur Numéro Quatre bluffe Arthur, conduisez-moi au Numéro Deux !

 

Le bonhomme a eu un geste de recul (Aïe, se dit Béatrace, il va trop loin, ils ne vont jamais le croire avec sa quéquette à l’air, et pour peu qu’ils connaissent déjà un Numéro Quatre, on est cuits…), geste de recul qui s’achève par une courbette respectueuse, imitée par les autres avec un temps de retard, tandis qu’Arthur, impassible et les fesses toujours à l’air, croise les bras sur son tee-shirt détrempé avec un coup de menton mussolinien qui provoque un bref et mol sursaut caudal purement mécanique.

Son interlocuteur se redresse et « traduit » pour les autres, dans un langage étrange qu’Arthur, qui a pourtant pas mal bourlingué, n’a jamais entendu. Avec un HOUUU admiratif, ils s’inclinent de nouveau, cette fois en connaissance de cause. Et devant Béatrace !

- Vous venez de Gibraltar ? lui demande son interlocuteur.

- De… Oui, de Gibraltar. C’est ça. Conduisez-nous au Numéro Deux…

- Vous ne vivez pas à Gibraltar. C’est pour cela que nous ne vous connaissons pas. Ceux des nôtres qui sont allés à Gibraltar ne nous ont pas parlé de vous… Mais vous vivez peut-être à Thulé…

- Nous sommes pressés. Conduisez-nous.

- Pardonnez-moi, il est vrai, ajoute-t-il avec un sourire courtisan que les Pouyagoumyôs sont toujours pressés… !

Arthur regarde Béatrace avec un poil d’amusement dans l’œil gauche :

- Et lorsqu’on nous freine nous transperçons l’obstacle.

 

Mais les dix personnages qui les entouraient jusque là n’ont pas pu profiter du regard mouillé qu’elle lui adresse en retour parce que, sur un geste de celui qui semble être leur chef, ils ont pris la direction d’un couloir obscur, à l’opposé du tunnel par lequel ils ont effectué leur arrivée fracassante.

Bon. Leurs baskets font floc floc et ils n’ont pas très très chaud, mais ça pourrait être pire, non ?

Arthur aimerait bien discuter avec Béatrace de toute cette histoire, de Gibraltar, de Thulé, poser des questions, réfléchir, chercher, reprendre souffle ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de sous-marin ? Il y avait un sous-marin, il doit en venir un ? Des renforts pour ici ? Qui est ce Kurt ? Le Numéro Deux ! Je vous demande un peu !!

Mais, bon.

Il a entouré les épaules de Béatrace d’un bras tendre, protecteur, mais digne, d’un bras qu’un Monsieur Numéro Quatre pourrait consentir à une compagne ou à une favorite, selon le regard que lui porte un entourage dont il ignore tout, d’un bras qui, en tout état de cause se plaît là où il est.

Et on verra bien la suite.

Ils ont débouché dans une galerie au sol carrelé, au mur et au plafond plâtrés et peints d’un gris bleuté, très éclairée de tubes néons et de fenêtres hautes du côté opposé à celui d’où ils viennent, fenêtres par où ils distinguent en contrebas une sorte de hall d’usine, avec machines et chariots divers, une longue galerie qui s’étire à droite et à gauche.

Leurs guides se sont arrêtés, manifestement inquiets.

- Nous ne pouvons pas aller plus loin, le bureau de Monsieur Numéro Deux est là-bas, là au bout, dit leur chef en tendant un bras hésitant vers la gauche. Nous devons retourner attendre le sous-marin et Monsieur Kurt.

- Je comprends, condescend Arthur, surpris de les voir s’incliner profondément devant Béatrace et plus brièvement devant lui avant de repartir et de refermer derrière eux la porte qui isole leur tunnel de pierre brute de la galerie où ils les ont conduits.

- Tu leur as fait une grosse impression, enchaîne-t-il avant d’être interrompu par un baiser frémissant de moustaches à peine séchées.

 

Et de reprendre, lorsqu’elle lui rend l’usage de son souffle :

- Et à moi aussi…

- Stop ! l’interrompt-elle de nouveau en désignant avec un rire et d’un doigt impérieux les prémisses saccadées d’un nouveau lever des couleurs que, penaud, il cache hypocritement sous ses mains croisées.

 

Le doigt sur les lèvres, elle interrompt l’éclat de rire prêt à fuser.

- Tu as raison, on n’est pas là pour rigoler, qu’est-ce que c’est que cette histoire de sous-marin ?

- Quand on a… décollé tout à l’heure, après le choc…

- Ah oui, quand on s’est envoyés en l’air…

- Arrête, ou on n’y arrivera jamais… Quand on a décollé du locotracteur, j’ai pas bien compris parce que j’avais l’esprit ailleurs…Non, arrête, pas la peine de vérifier où je l’avais tu le sais bien. Arrête !!!… Il m’a semblé voir une forme sombre dans l’eau du bassin, et puis dans le bruit et tout ça…

- Et tout ça…

- Oh Arthur…

- Viens, on va demander des explications au Numéro Deux….

- Arthur… Le sous-marin, qu’est-ce qu’il est devenu ?

- Je pense qu’il a dû mal digérer le locotracteur qu’on lui a envoyé alors qu’il émergeait…

- Et tu crois que… que c’est celui où « ils » sont ?

Ramené à la réalité, Arthur reprend brusquement son sérieux et redevient le Patron rapide et décidé :

- Non, le bassin est trop petit si je me souviens bien de la photo. Mais ce Numéro Deux va nous expliquer l’histoire en détails, crois-moi. Et s’il regarde tes fesses, je le divise en table de multiplication et j’ajoute ses restes à l’addition finale. 

 

14ZBS60+RVB en S

 Royale ! Zédation de 60 images+ CdP +RVB en S 

10ZB41DMS+RVB en S

Zédation de 41 images + CdP + RVB en S 

2ZC26DMS+S léger+Cntraste

 Zédation de 26 images + CdP + S + Contraste

 

La suite, ce sera ici



[1]: Le baron Rudolf von Sebottendorf, de son vrai nom Adam Alfred Rudolf Glauer, (9 novembre 1875 - 9 mai 1945), ingénieur allemand naturalisé turc, fut l'homme qui dirigea l'Ordre de Thulé. Cette organisation sectaire est célèbre pour avoir participé à la conception des bases idéologique du parti Nazi, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, en mêlant une idéologie antisémite à une certaine philosophie occulte du Moyen-Orient. Avec la participation de Sebottendorf, l'organisation se mua rapidement de secte en un rassemblement d'activistes politiques réunis par l'envie de faire tomber la toute jeune République de Weimar. Établi en Turquie, Sebottendorf était revenu en Allemagne pour y mener l'action de l'Ordre de Thulé. Ayant brusquement quitté l'Allemagne, il n'y revint qu'à l'occasion de la venue au pouvoir d'Hitler, mais échoua à rebâtir une influence politique au sein du nouveau régime. Il retourna rapidement en Turquie et se donna la mort à Istanbul en 1945. Sebottendorf mettra sur pied un journal, le " Volkischer Beobachter ", afin de diffuser les idées de la Thulé. Ce journal deviendra plus tard l'organe officiel du parti nazi.

[2] Selon la méthode À Six Mille, qu’il a faite sienne…

6 juin 2016

LE ROMAN MALFORT / P1C2E7

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici

 

p6-6+RVB Plante Cirque romain + RVB en S2 NB+Bidouille

                         Cirque romain P6[1] RVB en S2 NB et bidouilles 

DSC_0674+ NBO VB en S+CS1

 Esquisse de statue issue d’un bloc NBO.

 

DSC_0535+ NBO avec VB en S +Contraste

La crypte 1 NBO

 

N°26 / LE ROMAN MALFORT  / P1C2E

C’est l’histoire où l’on découvre quelques aspects du roman familial des Malfort, et où Béatrace glisse en Amour sans même s’en apercevoir.

  

Samedi 16 et dimanche 17 avril

Saint Tignous sur Nivette

 

L’immeuble de la Lanterne a été bâti dans le vieux Saint Tignous sur Nivette, au pied du château de glorieuse mémoire.

 En fait, les Malfort possèdent depuis plusieurs générations, cette petite maison basse, d’ouvrier ou d’artisan comme on dit dans la famille, et ils se transmettent de père en fils ses particularités singulières : la modeste bâtisse, qu’un historien local a datée du 16ème siècle pour la construction et du 12ème siècle pour les fondations, recèle dans sa cave, derrière une porte vermoulue dissimulée sous d’archaïques casiers à bouteilles, le débouché d’anciens souterrains oubliés de tous.

 Un de ces historiens locaux, curieux passionné et farfouilleur impénitent a même trouvé des restes d’outils anciens sous lesdits casiers. Des outils de menuisier a-t-il déclaré en brandissant un fer rouillé qui a dû être utilisé pour un rabot à bouveter, mais aussi une tarière de charpentier, et quelques fers de sabots de mule…

 Il a vu l’entrée du souterrain, effondré au troisième mètre, et a souhaité, en tirant la langue et en roulant des yeux de cocker, engager des fouilles.

 Ce qu’a refusé Eusèbe Malfort qui a prétexté des risques d’éboulement.

 En réalité, Eusèbe préfère conserver secret ce jardin d’aventures où il a éprouvé le même plaisir de gamin à initier son fils aux joies de la spéléologie mystérieuse de Saint Tignous sur Nivette que son père en avait eue en l’initiant, lui.

 Parce que le souterrain est très accessible : il suffit de contourner l’éboulis pour se retrouver dans un boyau propre et sec, à la source d’un immense labyrinthe.

 Il l’a si bien exploré qu’il s’est retrouvé dans les caves du vieux château qu’occupait la Kommandantur, ce qui a assuré la gloire de son groupe de Résistance !

 De l’intérieur de la cave, il a découvert un débouché dans les douves, sous un roncier inextricable poussé sur une courtine effondrée. Discrète à souhait, cette deuxième entrée ne risquait pas de compromettre son propre accès qu’il a gardé secret, même vis-à-vis de ses amis, et donc de prolonger le jeu familial : il a eu grand soin de boucher les communications entre les caves du château et le reste des souterrains.

 Mais il n’a pas tout fouillé de ce réseau oublié, qui s’étend sur plusieurs kilomètres en direction de la côte, et qui, pense-t-il, a dû abriter une histoire ignorée, et sans doute destinée à le rester.

 À certains endroits, il s’est heurté à des passages murés, à des salles sans issues…

 Partout, le sol des galeries est propre, dallé ou à rocher vif, et nulle part on ne remarque de ces graffitis ou de ces vestiges qui, si ténus soient-ils, ouvrent les portes du passé aux yeux des amateurs.

 D’ailleurs, ce n’est pas un ensemble construit, mais plutôt un réseau de galeries creusées à même la roche tendre ou dans les terrains mous et argileux de la plaine.

 Mais creusées avec une habileté telle qu’elles ne se sont pas effondrées, qu’elles sont restées intactes, « comme neuves » avait remarqué son père, Honoré Malfort, avec le même étonnement qui avait été le sien lorsque son père à lui, Pierre Malfort, dit Pierre Caillou, compagnon charpentier, lui avait, pour ses quatorze ans, fait découvrir le « secret de la famille ».

 Pour faire durer la tradition, l’exploration se fait toujours au quatorzième anniversaire du dernier fils, commence à la bougie, et se poursuit à la calbombe (il faut la remplir, l’allumer, la régler, avec toutes les odeurs du carbure, un régal), pour s’achever à la lampe électrique dans les recoins les plus profonds après que l’extinction de la calbombe ait plongé « l’expédition » dans les angoisses de la nuit.

 « L’expédition » est bien sûr préparée de longue date et en grand secret par un père affairé et un grand-père fébrile, lorsque celui-ci est en état de le faire, et cela a été le cas jusqu’ici, avec de succulentes engueulades entre père et grand-père lorsque l’obscurité se referme sur le groupe, et qui s’achève dans les rires avec le retour de la lumière :

- T’as oublié le carbure, bougre de fils de con !!

- Oui papa, mais je pensais que tu l’avais mis dans ton sac !!

- Mais non, c’était ton travail, ça, attends, je regarde… (et c’est là, alors que l’angoisse fait battre très fort le cœur du petit, qu’il sort la torche électrique pour fouiller les sacs) Ben non, tu vois bien qu’il n’y en a pas !! Comment faire sans lumière ?

 Et invariablement, le petit dit à ce moment-là :

- Ben on a la lampe électrique, non ?

- La lampe électrique, reprend le père, la lampe électrique… Tiens, c’est vrai ça, je n’y avais pas pensé ! Heureusement que tu es là, sinon, on était fichus !!!

 Donc l’immeuble de la Lanterne jouxte la petite maison des Malfort et Eusèbe s’est ménagé un passage entre les caves des deux immeubles.

 

Ses archives personnelles, ses archives secrètes, ont été enfermées par ses soins dans une pièce qu’il a aménagée lui-même dans le dédale souterrain.

 Il a poussé le souci de discrétion jusqu’à installer une ligne électrique et une ligne téléphonique camouflées, enterrées devant et derrière l’éboulis de l’entrée.

 Comme ça, pour le plaisir du jeu.

 Il y a réuni des « souvenirs » : tous les documents personnels qu’il a récupérés après la guerre.

 Mais aussi toutes les archives de la Kommandantur, et en particulier les dossiers des collaborationnistes de toute la région, ce qui explique en grande partie l’impunité politique dont il jouit et la grande liberté éditoriale qui est la sienne : plusieurs conseillers, présidents ou fonctionnaires revêches et intrigants qui lui cherchaient noise se sont trouvés vigoureusement épinglés, documents à l’appui, alors qu’ils pensaient s’être faufilés entre les mailles, et du coup, les autres ont pris pour habitude de filer doux devant Malfort (qu’on appelle LE Malfort dans les milieux « bien informés ») dont on se demande ce qu’il sait vraiment, et à propos de qui et de quoi.

 Il a d’ailleurs fait l’objet, pendant un temps, de procès en diffamation et de pressions diverses qui ont entraîné de cinglants retours de bâton.

 Et puis il y a eu des menaces physiques, et ses anciens amis du réseau ont dû intervenir (discrètement mais vigoureusement) pour « régler » les choses.

 Deux ou trois hommes de main ont alors disparu mystérieusement et les instigateurs des menaces ont eu de si mauvaises surprises (via le Canard Enchaîné parfois, ou la radio) qu’on a fini par le laisser tranquille.

 Et puis sa femme, son ancienne compagne d’aventures, la mère de son Arthur de fils, est morte dans un accident de voiture : les freins de la Traction ont lâché dans un virage au-dessus de Lourdes.

 Et il est resté seul avec son journal et son fils, qu’il a élevé.

 Et voilà l’histoire.

 Et voilà pourquoi il râle de ne pas être grand-père à bientôt soixante quinze balais, pour pouvoir montrer les souterrains à son petit-fils.

 

Mais ça, c’est une autre histoire.

 

Il y a longtemps qu’il n’y était pas retourné.

 Et il a été surpris d’entendre Arthur lui demander d’emmener Béatrace dans l’expédition, arguant du fait qu’elle devait participer à la recherche de ses amis. Mais…

 Bon, soit, après tout, sa défunte épouse aussi était un peu… allumée, du temps de sa jeunesse.

 Expédition, c’est le mot juste.

 Après une longue discussion, ils ont décidé d’attendre le surlendemain pour l’entreprendre, pris entre les soucis rédactionnels, la fusion des éditions,  et la reprise de fonction d’Eusèbe.

 Et puis, après-demain, on sera dimanche, il y aura moins de mouvement au journal et on sera plus libres.

 Et il y aura peut-être du nouveau du côté des « Écolocroques ».

 

On s’est donc donné rendez-vous dimanche matin au journal.

 

Le samedi, Arthur est descendu seul, en éclaireur, pour déblayer les passages plus ou moins obstrués ou éboulés.

 Béatrace est passée au Matois, et les voûtes de la salle de rédaction du couvent des Marmoréens lui ont paru bien désertes et bien silencieuses.

 Alors, elle est rentrée chez elle. L’amant secret était sorti et lui avait laissé un mot : je vais à la rave de Marinoval, rejoins-moi !

Comme si elle pouvait avoir envie de se trémousser dans les décibels ! Bah, au moins elle sera tranquille ! Elle en profitera pour relever tous les articles parus sur le radon et toute la doc utilisée pour les rédiger.

Elle a donc dormi seule (des vacances) et puis elle est retournée au Matois.

 Elle a quand même trouvé quelque chose d’intéressant : les mesures de radioactivité dépendent du vent !

 Si le vent souffle du Nord, la radioactivité est plus forte au Sud, et inversement si le vent souffle du Sud. De plus, la radioactivité semble apparaître à quelques mètres du monument, sans que rien ne puisse l’expliquer, dix mètres au Nord ou dix mètres au Sud, ou à l’Est, selon le vent toujours. Comme si le monument constituait une sorte de pivot éolien, ou de girouette radioactive.

 On attendait une prochaine campagne de mesures pour préciser son origine. Pour l’instant, on était sûr de sa présence, mais cette manifestation capricieuse semblait incompréhensible.

 À tout hasard, elle a rédigé un mémo qu’elle a envoyé par mail à la Lanterne.

 Eusèbe l’a appelée pour la féliciter de son travail, sans pouvoir en dire plus, puisqu’ils n’ont pas d’autres éléments que de vagues soupçons…

 Les effondrements semblent être plus importants que prévu, à croire que les voûtes ont été abattues volontairement, et Arthur, rageur, en a transpiré longtemps : déblayer, étayer… La cave de la petite maison s’est peu à peu remplie des gravats qu’il dégage péniblement à la pelle et à la brouette. Eusèbe lui a proposé une aide qu’il a repoussée d’un haussement d’épaules avant de retourner frotter ses ampoules au manche de la pelle.

 Il a fallu réparer les lignes électriques et téléphoniques.

 Curieusement, l’accès à la salle des archives n’a pas été occulté et les archives elles-mêmes sont restées intactes. Ce n’est que l’entrée du tunnel d’accès qui s’est effondrée et comblée sur une vingtaine de mètres.

 Bref, le dimanche aussi y est passé.

 

C’est pour cela que, le dimanche matin, (à l’heure de la messe, ne peut s’empêcher de penser Béatrace que cette manifestation folklorique amuse toujours autant, surtout qu’ici on aurait plutôt tendance à l’intégrisme et que les messes sont souvent en latin avec encens (elle aime bien l’odeur) et tout un bazar de cloches et d’enfants de chœur en surplis), le dimanche matin donc, lorsque Béatrace gare la Deuche dans la cour de la Lanterne, elle la trouve déserte.

 Pas de Toto le dimanche : il est « à messe ».

 Bien sûr, il y a toujours quelqu’un : un journal, ça ne s’arrête jamais.

 Il y a Jules Mouchoir à qui elle trouve petite mine : ce garçon manque de santé, il est pale, il boite (forcément, son plâtre), il n’ose pas la regarder en face. Elle l’intimide ? Béatrace, amusée, feint de trébucher pour se retenir à lui au passage et se frotter un peu… Il rougit comme un collégien surpris à regarder des publicités de sous-vêtements féminins dans « Elle ».

- Oh, excusez-moi Monsieur Mouchoir… Monsieur Malfort est là ?

 Mouchoir balbutie un peu, effaré par cette fille incroyable qui vient se frotter les nichons en se raccrochant à son bras et qui réussit à être excitante malgré une moustache de sapeur :

- Il est, oui, il est là-haut, dans le bureau, avec M’me Marty… je… il a dit qu’il vous attend… Je…

 Béatrace lui adresse un lumineux sourire et cligne trois fois des longs cils de ses paupières :

- Vous… ? Oui ??? Vous ???

- Je… (le pauvre Mouchoir perd le fil, ce qui provoque le fou rire de Béatrace, fou rire qui achève le secrétaire de rédaction, pour le coup foudroyé et qui tourne au livide) je… vais vous conduire.

- Mais je connais le chemin, ne vous dérangez pas… Au fait, vous savez que vous êtes très mignon ?

 

Anéanti, Jules Mouchoir hésite entre sourire et larmes lorsqu’elle lui plante une bise parfumée à la fraise sur le bord des lèvres, avec un chatouillis de moustaches soyeuses, avant de s’envoler dans les escaliers…

 En grande forme Béatrace ! Elle adore ce rouge à lèvres à la fraise.

 

Jules s’effondre sur une banquette du hall, les yeux perdus dans les nuages de la félicité.

 Dans le bureau, Eusèbe et M’me Marty discutent âprement de ce qu’il y a lieu de faire, sans parvenir semble-t-il à se mettre d’accord : en parler aux « autorités », ne rien dire ? Prévenir de leur expédition ?

 Ils se taisent à l’arrivée de Béatrace qui du coup s’angoisse :

- Je suis en retard ? (Pourtant elle a fait vite et s’est limitée à une « tenue de combat » standard : jeans et pull et chaussettes blanches avec des baskets, sans effets de petite robe aguichante). Arthur n’est pas là ?

- Non Béatrace, répond le Dragon. C’est nous qui sommes en avance. Et Arthur n’a pas fini de déblayer le passage. Nous allons devoir remettre notre expédition à demain. Et nous nous demandions s’il valait mieux prévenir…

- Prévenir qui ? grogne Eusèbe Malfort. Le Président ? Le Préfet, les gendarmes ? Pour quoi faire ? Vous croyez qu’ils risqueraient des représailles pour nous aider ?

 

Un silence…

 

- On garde tout ça pour nous, tranche Eusèbe. Ils ne feraient pas un geste pour nous sauver si besoin était mais ils seraient prêts à nous charger de tous les maux pour se dédouaner. Gardons les mains libres. Pas un mot : motus et bouche cousue !

- Botus et mouche cousue ne peut s’empêcher de reprendre Béatrace qui a des lettres dupondtiques, avant de gloups, se cacher la bouche de la main avec un « pardon » confus devant les regards d’incompréhension consternée de ses interlocuteurs. Et, d’ici là, on ne peut rien faire ?

- Si, nous avons tous un travail : vous, vous allez retourner creuser cette histoire de vent et de radon, moi, je vais réparer les lignes électriques des archives qu’Arthur finit de dégager et Jeanne va assurer les transmissions en cas de besoin, et veiller pour le cas où de nouvelles informations nous parviendraient.

- J’y vais, obtempère Béatrace très petit soldat (ce qui fait presque sourire le Dragon), vous… vous direz à Arthur que je suis passée… (ce qui fait sourire plus largement le Dragon qui envoie un clin d’œil à Eusèbe qui, lui, lève les yeux au ciel).

- Mais bien sûr, mais bien sûr…

 C’est ainsi que pour la première fois de sa vie, Béatrace a préféré un week-end archives météo à un week-end rave.

 Et qu’elle ne s’est même pas rendu compte de l’incongruité de la chose.

 

Ah, l’Amour…

 

N°27 / AFFAIRES DE MÉNAGE  / P1C2E8 

C’est l’histoire où, brièvement, le temps s’étire.

 

Lundi 18  avril

Le Matois.

 

Béatrace ronge son frein : Arthur est pelle-pioche, comme lui a confirmé M’me Marty, et n’a pas terminé ses grands travaux.

 Faut attendre.

Les réactions aux articles s’accumulent, mais sans rien de significatif.

On en est aux suites immédiates du coup de pied dans la fourmilière, bref, c’est le bordel général mais aucune tendance ne domine.

Ça grouille, mais c’est tout : les Autorités consultent, créent des Commissions, font des Déclarations mais surtout ne prennent pas de Décisions.

Tout le monde attend le prochain communiqué des Écolocroques qui ne semblent guère pressés de se manifester.

Et l’inquiétude grandit au sujet des disparus…

Alors, Béatrace va au Matois et fouille rageusement les archives météo. Comme ça, pour s’occuper. Plutôt pour passer le temps que dans l’espoir de trouver quelque chose de nouveau…

La journée s’étire en rond, comme une grosse limace saoule de bière, qui tourne en laissant derrière elle une traînée pâle d’archives périmée, lues et relues… Et Béatrace déteste les limaces : c’est gras et mou, ça bave et c’est hermaphrodite, et Béatrace aime que l’on soit franchement mâle ou femelle. Elle déteste aussi la bière parce que ça fait roter et que ça met sa petite vessie à la torture.

 

Foutue journée foutue.

 

Et les « autres »… 

Parce qu’elle est seule maintenant, seule rescapée opérationnelle du Matois !!

Béatrace s’enrage, cherche, fouille, va jusqu’à ouvrir les tiroirs personnels des « autres » en se promettant de leur expliquer pourquoi et comment à leur retour.

Vic a tout ramené chez lui et ses archives sont surtout dans son ordinateur portable.

Juste une photo de Clèm au fond du tiroir. En tenue de gala. C’était à une réception de la Mairie… Béatrace s’en souvient : un photographe de la Lanterne qui l’avait photographiée malgré elle, poussé par Vic… C’est vrai qu’elle en jette Clèm quand elle est en grand tralala…

Dans le tiroir de Rébéquée, qu’elle n’aurait jamais osé ouvrir en temps normal, quelques tubes de crème, des photos de filles inconnues, une lettre oubliée en provenance de Brisbane, Australie,  plus exactement de Deception Bay… Mais l’anglais de Béatrace est trop flou pour qu’elle comprenne… C’est signé d’une certaine Michelle…

Dans le tiroir de Jules, outre une flasque de whisky vide, un dossier marqué « rumeurs ». Tiens, voyons… Manifestement, Jules s’est amusé à recueillir tout ce que ses grandes oreilles ont entendu traîner dans les bars qu’il fréquente. À raison d’une page ou deux par rumeur, il y a là de quoi rédiger une chronique fantasmée de la vie de Saint Tignous sur Nivette. Mais c’est un dossier destiné à rester dans le tiroir, ça c’est net.

Béatrace feuillette, amusée d’apprendre qu’il se dit des tas de choses qu’elle ignore sur tel ou tel conseiller, tel ou tel personnage du monde culturel et des notables divers de la ville ou de la région, que Victor se teint les moustaches, qu’elle, Béatrace, qu’elle… oh !!! qu’elle se fait tresser les poils du cul ! (mon salaud tu me paieras ça !) (comment il le sait ?) et qu’elle oblige ses amants à suivre des stages d’apnée (pourquoi d’apnée ?), que le Maire, dont la mère était l’épouse du Maire précédent, n’est pas le fils de son père mais d’un officier allemand qui s’était rendu chez eux en visite le jour de la fameuse prise du Fort par Eusèbe Malfort et son groupe de résistants. Que sa mère, la mère du Maire (c’est marrant se dit Béatrace), savait se montrer accueillante pour les hôtes de son Maire d’époux lorsque celui-ci y trouvait ou pensait y trouver avantage. Bref, que le Maire de l’époque savait tenir table et lit ouverts et que dans le lit en question, il fourrait sa femme comme dessert… Ça c’est intéressant, se dit Béatrace. Inutilisable bien sûr, mais intéressant. J’ai toujours pensé que ce Maire était un fils de pute… Faudra que j’en parle à Eusèbe Malfort… Et à tout hasard, elle fait une copie et la fourre dans son fourre-sac.

Et puis elle appelle la Lanterne où M’me Marty lui répète qu’Arthur est toujours pelle-pioche… 

Le soir, lorsqu’il l’a appelée chez elle sur les onze heures du soir (Ça y est, j’ai fini le ménage, la galerie est déblayée, on démarre demain matin. Rendez-vous à cinq heures au journal, après le départ de l’édition. Pas de temps à perdre : faut se lever tôt pour chasser le radon…), elle venait de virer l’amant secret, rentré complètement stone de la rave, avec des chtoucoutchouk et des chtacaboum qui lui faisaient hocher la tête comme un poulet déplumé en train de courser une autre volaille, le regard frapadingue et plein d’ecstasy, et les mains voraces tendues vers ses miches.

Elle a répondu à Arthur qu’elle aussi venait de faire le ménage, ce que, bien sûr, il n’a pas pu comprendre et donc qu’il n’a pas pu se réjouir (et d’ailleurs, pourquoi s’en serait-il réjoui, hein ? pourquoi ?) du regard effaré du petit bonhomme hirsute et puant la sueur quand elle lui a sans explications fait descendre l’escalier sur ses fesses maigrichonnes avant de lui expédier en vrac ses fringues et son sac à dos sur la tête en lui conseillant d’aller travailler son apnée.

Et de reclaquer la porte du palier.

Bon.

 

Du passé faisons table rase comme on dit à l’Huma.

 

 

DSC_0521+NBO VB en S

La crypte 2 NBO 

DSC_0524+ NBO VB en S + Contraste

La crypte 3 NBO 

 

N°28 / DE LA COMPTINE À LA SOURCE DU RADON  / P1C2E9

C’est l’histoire où Béatrace accompagne Arthur et Eusèbe Malfort dans leur expédition souterraine, et où ils découvrent le plaisir des comptines et aussi la source du radon.

  

Mardi 19 avril

5 heures

Saint Tignous sur Nivette

 

Béatrace est levée depuis quatre heures du matin.

Elle a très mal dormi.

Elle est excitée comme une puce.

Elle a pris quatre cafés.

Elle est passée au Matois où elle a repris un café.

En sortant du Matois, elle fait ronfler la Deuche, traverse la ville comme un éclair tintinnabulant, se faufile entre les fourgons de livraison qui encombrent la cour de la Lanterne et se précipite dans l’escalier.

Pas possible, ils ont dormi là !

Sont tous dans le bureau.

D’ailleurs, la porte est ouverte.

- Je suis en retard ? s’inquiète-t-elle ?

- Pas plus qu’hier répond le Dragon qu’il va falloir rebaptiser s’il continue de sourire à chaque apparition de Béatrace.

Bon, c’est vrai qu’elle a la frisure particulièrement vaillante pour ce petit matin, mais elle a fait dans la tenue de combat plutôt sobre, droit venue des surplus américains. Juste un ceinturon vert fluo à la taille sur la veste camouflée pour faire ressortir ses avantages, quoi, faut rester femme, n’est-ce pas ?

- Allez, on y va, enchaîne Arthur pour dissiper un moment de perplexité. Mon père m’a montré vos informations relatives au monument aux morts. Il se pourrait qu’on trouve la raison de tout cela dans nos archives…

N’empêche, Eusèbe reste un peu bougon, malgré les clins d’œil de Jeanne. C’est vrai que de partager LE secret de la famille avec cette fille mal dégrossie ne l’enchante pas.

De son côté, bien sûr, Béatrace bave des ronds de chapeau dans l’aventure (Ah dis donc quand je raconterai ça à Rébéquée, à Jules et à Victor !!!) et elle bout d’impatience.

- Jeanne, tu assures la permanence, la ligne est rétablie.

 

Eusèbe Malfort part en tête du groupe et tout le monde prend l’ascenseur : premier sous-sol, l’imprimerie, deuxième sous-sol, archives, locaux techniques, suivez le guide !

Au fond, la porte de communication entre les caves de l’immeuble et celle de la petite maison.

Avant de l’ouvrir, pour dire ce qu’il a sur le cœur, et parce qu’un pet retenu fait un abcès au trou du cul[2], Eusèbe a regardé Béatrace bien en face :

- Toi, ma fille, si tu racontes à qui que ce soit ce que tu vas voir, je te fais brouter tes poils de moustache jusqu’aux racines de tes poils de cul. Vu ? C’est du secret de famille, personnel et tout. (C’est vrai qu’il a pas l’air commode quand il la fait Gabin, se dit Béatrace du coup un peu pâle, encore qu’excitée comme la jument que le taon pique sous la queue.)

- Elle ne dira rien, papa, je lui fais confiance : il y va de la vie de ses amis. Et peut-être bien du salut du monde. On n’en est plus aux secrets de famille…

- Tu as raison, mais vaut mieux qu’elle sache où elle met les pieds.

- Je vous le jure !!! Je ne dirai rien ! Je serai muette comme un tombereau.

Et elle crache par terre un GGG (gros glaviot gras) censé sceller un pacte à la vie à la mort, si j’mens j’vais en enfer, et sur lequel elle tend la main avec le geste solennel qu’elle assimile au serment de la Victoire de Samothrace, avant de l’écraser d’une semelle décidée autant qu’hygiénique.

 

Ce qui sidèrerait le père autant que le fils s’ils n’avaient pas d’autres préoccupations et s’ils n’avaient pas déjà tourné le dos.

 

Ils ont franchi la porte de la cave, louvoyé entre les déblais accumulés par Arthur, et sont entrés dans le souterrain, lampe de poche en main.

Béatrace suit comme elle peut.

Eusèbe soulève le caillou qui cache l’interrupteur, au dixième mètre après l’éboulement, et ouvre la porte camouflée qu’il a ménagée dans un recoin.

La lumière de la pièce où il a rangé ses archives inonde alors la galerie.

Pièce sombre dont la voûte est taillée dans la masse du rocher brun jaune, aux murs couverts de casiers chargés de dossiers. Des caisses ici et là. Une table de bois blanc. Quatre chaises. Au fond, sur un chevalet, un plan de la ville et de ses environs punaisé sur un contre-plaqué.

C’est ce plan qu’Eusèbe est venu voir.

- Donne-moi le calque, demande-t-il à Arthur.

Celui-ci sort un rouleau d’un casier et déroule un calque tracé à la main.

- C’est le relevé des galeries souterraines que nous avons effectué. Regardez, dit-il à Béatrace et à Arthur en montrant l’emplacement du monument aux morts, il y a une salle juste dessous. J’en étais sûr, je voulais seulement vérifier. Prenez des torches, on va aller voir !

- Pourtant ils ont fait des sondages, remarque Béatrace. Ils n’ont pas trouvé de cavité…

- Les galeries sont profondes à cet endroit. Ils n’ont pas dû forer très loin, explique Arthur qui ajoute qu’ils feraient bien de prendre quelques précautions avant de s’aventurer là-dedans.

Et il ouvre l’une des caisses : mitraillettes Sten de la dernière guerre avec leurs chargeurs, grenades, pistolets Luger « pris sur l’ennemi »… Des souvenirs, quoi.

- Vous savez vous en servir ? demande-t-il à Béatrace

- Ben, pas trop, à part à la fête foraine…

- Alors vous porterez la musette.

Et il lui tend une musette de toile kaki (d’époque !) qu’il remplit d’ « ananas », de paquets rectangulaires, et de rouleaux qui ressemblent à de la corde…

- C’est quoi ça ? demande Béatrace

- Grenades, plastic, détonateurs, mèches lentes… répond Eusèbe, comme si cela allait de soi.

- Mais vous voulez nous faire sauter ? s’inquiète Béatrace.

- Nous, non. Mais si une galerie est murée, ça pourra servir, enchaîne Arthur.

 

Décidément, Béatrace est à la fête ! Elle cambre un buste martial (et rebondi, quoique pas assez à son goût), musette à l’épaule et en avant, marche petit soldat ! Tout juste si elle ne salue pas !

 

La galerie est sombre et s’enfonce selon une pente régulière. Son étroitesse les force à progresser en file indienne, les deux Malfort, Eusèbe devant, encadrent Béatrace.

La voûte est basse.

Ils doivent se pencher alors qu’elle reste droite, ce qui fait qu’elle sent avec des frissons le souffle d’Arthur tout près de son cou.

Mais. Bon. On n’est pas là pour rigoler.

Deux bifurcations. Eusèbe se dirige sans hésitation. Un rond-point, petite salle où débouchent cinq ou six galeries. Là encore, pas d’hésitation.

- C’est un labyrinthe ! s’étonne Béatrace.

- En effet, répond Eusèbe sans interrompre sa marche éclairée par une puissante torche électrique. Notre famille l’explore depuis quatre générations et personne ne sait qui l’a creusé. On dit que ce serait le travail des cagots. Vous êtes la première étrangère à la famille à y pénétrer : officiellement, c’est effondré… Mais… On devrait arriver dans cette salle sous le monument…

Impasse. Un mur. Comme si la galerie s’interrompait.

- Une impasse? demande Béatrace.

 

Arthur est passé devant elle et examine la paroi avec son père dans le faisceau rapproché de la lampe :

- Non, ce n’est pas une impasse…

- Vous êtes sûrs de ne pas vous être trompés de galerie ?

- Oui, répondent-ils en chœur.

- Et la salle est derrière ce mur. Elle a été murée, enchaîne Eusèbe sans l’ombre d’une hésitation.

- Mais ce n’est pas un mur…

- Si, reprend Arthur. Un mur camouflé en paroi brute d’origine. Et c’est très bien fait. Si on ne connaissait pas aussi bien les lieux, on y croirait,  mais là, il n’y a pas de doute.

Il pose la mitraillette qu’il tenait sous son bras et sort un canif de sa poche, gratte la paroi tandis que son père l’éclaire en hochant la tête… Des écailles de poussière : le même schiste argileux marron clair, aussi tendre que celui de la paroi à laquelle il se raccorde par un joint infime. Des pierres ajustées avec précision, aux joints invisibles, camouflés dans les lignes des feuillets du schiste et qui laissent une impression de continuité. Comme si la galerie s’était arrêtée là, avec des effets d’arrondi.

- C’est récent. Je dirais que cela date de quelques années. Ils ont dû s’apercevoir que l’on venait ici de temps en temps et fermer les lieux. C’est sans doute pour ça qu’ils ont fait tomber l’entrée du passage.

- Heureusement qu’ils n’ont pas trouvé mes archives ! s’écrie Eusèbe

- S’ils les avaient trouvées, qu’auraient-ils fait ? lui demande Arthur.

- Mais de qui parlez-vous ?

- De ceux qui ont bâti ce mur, et qui ne tiennent pas à ce que nous les trouvions. Ils ont dû s’arrêter à l’éboulement de l’entrée… doivent pas être très malins… répond Eusèbe comme pour lui-même. Je me demande…

- On le pétarde ? l’interrompt Arthur.

- On le pétarde ! enchaîne son père. Donne-moi le plastic.

- Attends, je vais essayer de creuser, la pierre est tendre…

Avec son canif il creuse entre la paroi et la pierre qui s’y appuie. Une cavité vite dégagée vite élargie, car derrière le parement de la première pierre, soigneusement disposée mais pas très grosse, le blocage est facile à démonter.

 - On pourrait presque passer comme ça…

Mais derrière le blocage apparaît une paroi de béton…

- Le plastic, vite…

Eusèbe s’est tourné vers Béatrace qui tient toujours sa musette…

- Oui, voilà…

Du coup, elle réalise qu’elle transporte des explosifs et elle tend le sac avec un retrait craintif de tout le corps.

- N’ayez pas peur, ça n’explose pas tout seul.

- N’empêche… (elle en frémit des genoux dans son pantalon léopard étroit).

Rapidement, le pain de plastic est mis en place au fond du trou qu’Arthur a creusé dans le mur. Un détonateur, une mèche.

- Tu as du feu ? demande Arthur à son père.

- Tu m’as fait arrêter de fumer bougre de fils de… !

- Moi j’en ai…

Et elle extrait son briquet de secours de la petite poche adéquate du pantalon. Le briquet qu’elle gardait pour les pétards de l’amant secret (l’ex-amant secret… au fait comment c’était son nom ?) qui fume, lui, pas elle, et qui pour une fois sert à quelque chose (le briquet).

Arthur allume la mèche.

- Aux abris ! s’écrie le père en repartant vers la salle rond-point.

- Mais… ça va exploser !!! s’écrie Béatrace affolée.

- Oui, vite ! Et Arthur la pousse à la suite d’Eusèbe qui a pris de l’avance.

Elle couine un peu alors qu’il la pousse entre les épaules, derrière la lumière que tient Eusèbe.

- Venez, dans l’autre galerie !

Eusèbe a pris la première à droite dans la salle du rond point pour échapper au souffle de l’explosion et il s’est accroupi, les mains sur les oreilles.

Arthur reste debout et Béatrace toujours affolée, se glisse derrière son dos.

(Ce type est un vrai mur, pense-t-elle in petto en se collant à lui, ce qui lui fait prendre conscience de son excitation parce que ses petits seins pointus sont tout durs et qu’elle les frotte contre son dos musclé par un réflexe qui la rend (presque) confuse en pensant à la comptine …)

 

Boum !

 

Ça pète.

 

Très gros bruit, nuage de poussière en rafale qui les aveugle, rend presque imperceptible la lumière de la torche, fait reculer un peu Arthur qui du coup presse plus fort son dos sur Béatrace qui couine derechef…

(… la comptine : Une poule contre un mur qui s’y frotte ses seins durs… (par réflexe, elle referme ses bras autour de la taille d’Arthur qui, par réflexe lui prend les poignets et lui descend les mains un poil plus bas où par réflexe elle referme les mains…) Tifroti, tifrota, le gros bâton que voilà !)

… et se serre, ou serre, s’accroche à ce qu’elle peut pour se protéger et de toutes façons il fait si sombre que personne ne peut la voir rougir, impressionnée par ses découvertes mais en même temps, l’idée de la comptine et la commotion de l’explosion font qu’elle se met à rire en disant :

- Une poule contre un mur…

Et puis elle tousse à cause de la poussière, mais la toux les a séparés et Arthur lui fait face, éclairé du dessous par la torche posée à terre et dont la lumière émerge de la grisaille, ce qui fait que le relief, éclairé du dessous…

Mais déjà Eusèbe se relève et repart vers l’autre galerie avec un cri de Sioux parce que lui, il retrouve les émotions de sa jeunesse alors qu’Arthur est tout surpris (et amusé) d’avoir du mal à marcher, (vu son réflexe qui ne se détend que progressivement) face à Béatrace qui le regarde en rigolant pour finir sa comptine :

- … contre un mur, qui s’y frotte ses seins durs, tifroti, tifrota, le gros bâton que voilà !

Ce qui génère un double éclat de rire avant qu’ils ne partent sur les traces d’Eusèbe, Arthur qui n’y comprend rien sinon que cette fille à moustaches est invraisemblable et qu’elle l’a bel et bien fait bander illico presto comme un âne, et Béatrace, toute allumée, qui court derrière, essuie ses moustaches poussiéreuses et les larmes de rire qui coulent sur ses joues.

 

Le mur est tombé.

 

Derrière, l’endroit où Eusèbe promène le faisceau de sa lampe semble vide de prime abord.

Arthur et Béatrace ont repris leur sérieux.

C’est vrai quoi, on n’est pas là pour rigoler.

Ils pénètrent par la brèche : le lieu est vaste, formé de plusieurs voûtes accolées avec des piliers ici et là, réservés dans la pierre. Plutôt un entrepôt. Le fond reste dans l’obscurité.

- Ça a été agrandi, remarque Eusèbe. Si je me souviens bien, c’était à peine plus grand que mes archives. Il n’y avait qu’une travée.

- Et c’est la première fois que j’y vois des rails, observe Arthur qui bien sûr avait déjà accompagné son père dans les lieux.

- Regardez, ils vont à ce portail… et là, au fond… appelle Béatrace qui caracole en montrant une forme, un engin dans la pénombre…

- Un locotracteur à voie étroite. Comme dans les mines…

Arthur saute à bord de l’engin, sorte de parallélépipède métallique sans siège, avec seulement un emplacement libre pour un conducteur debout derrière un pupitre équipé de quelques manettes. Pas de cabine bien sûr. L’engin est attelé, juste derrière le poste de conduite, d’un bras de charge télescopique monté sur une plate-forme destinée à recevoir des charges longues et lourdes, certainement cylindriques, à en juger par les supports en berceaux qui s’y trouvent.

- On dirait un tramway, comme ceux que je prenais pour aller à l’école ! Ce que je pouvais admirer le wattman !

Debout au poste de conduite, il tripote un moment les boutons et manettes de commande, bascule un interrupteur. Un ronflement indique que l’engin répond à ses sollicitations :

- Ça marche sur batteries, il est prêt à partir !

Il coupe le contact et descend rejoindre son père et Béatrace.

- Les rails sont brillants, ils ont servi il n’y a pas longtemps. Regardez, il est branché ! remarque-t-elle en faisant le tour et en se glissant entre le mur et l’engin, reliés par un gros câble électrique.

- C’est sûrement pour recharger les batteries, ajoute Arthur.

Ils suivent les rails et se retrouvent tous les trois devant le large portail de fer, hermétique, épais, lourd, monté sur des glissières massives et fermé d’une grosse serrure.

- En tout cas, ça ne date pas de la guerre, observe Eusèbe qui lève la tête et dirige le faisceau de sa lampe vers le plafond, et cet éclairage non plus, ni ces conduits de ventilation…

Il montre des tubes fluorescents et des ouvertures grillagées manifestement très récents :

- On a stocké ici des choses bizarres. Et sous le monument aux morts. Si ça tombe… mais c’est facile à vérifier…

- Vérifier quoi, demande Arthur qui connaît les réflexions à haute voix de son père.

- J’ai des fumigènes dans mes archives. Il faudrait quelqu’un là haut près du monument aux morts : on percute un fumigène ici en bas et la fumée doit sortir par là…

- Génial !! enchaîne Béatrace que ses nouvelles découvertes ont dopée. Y’a qu’à remonter, et…

- Moi je vais chercher les fumigènes, tranche Eusèbe. Vous deux, vous remontez et Arthur envoie quelqu’un au monument aux morts. Les portables ne passeront pas ici, mais je peux appeler Jeanne depuis les archives. Lorsque tu auras envoyé quelqu’un au monument, tu redescendras m’aider et Béatrace… c’est bien ça, Béatrace ? (Comme si tu l’avais oublié, se pense-t-elle en confirmant d’un hochement de tête) Béatrace restera là haut pour faire la liaison …

- Pas d’accord ! s’écrie Béatrace (qui après coup n’en revient pas de son audace, pas plus d’ailleurs qu’Eusèbe qui, depuis trente ans n’a pas entendu une telle insolence et qui en reste baba au point de ne pas réagir). Pas d’accord : le Dragon, pardon, M’me Marty, Jeanne, enfin, vous voyez qui, sera bien plus capable que moi de faire la liaison, moi, je reste en bas. Pour vous aider… !

- Mais… objecte Arthur …

- Mais ? elle le regarde en face, l’œil flamboyant, moustache en bataille et buste brandi, ce qui lui arrache un rire qui laisse pour le coup le papa pantois.

- D’accord, je me rends !!

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- T’inquiète papa, c’est vrai que M’me Marty sera plus efficace. On l’appelle des archives pour qu’elle envoie quelqu’un au monument aux morts. Pendant ce temps là, on revient ici pour percuter le fumigène, et puis on retourne aux archives pour attendre son appel. Il vaut mieux rester ensemble, des fois qu’on ait de la visite…

- Au fait, reprend Béatrace, vous trouvez normal que personne ne nous ait entendus ? Entre le plastic et nos discussions, on n’a pas fait dans la dentelle…

Ça a jeté un froid, et le nez des mitraillettes s’est redressé du coup, et puis comme par un haussement d’épaules collectif, ils sont ressortis par la brèche du mur.

 

Le chemin du retour vers la salle des archives, c’est le même, sauf que ça monte.

 

Béatrace s’essouffle un peu derrière Arthur dont les grandes jambes suivent celles non moins grandes d’Eusèbe qui a retrouvé la pêche de ses vingt ans et qui aussitôt arrivé aux archives replonge dans ses coffres d’où il extrait quelques fumigènes.

- Allez-y, enjoint-il à Arthur et Béatrace en leur tendant deux petits cylindres métalliques, Je reste ici pour prévenir Jeanne et pour attendre le résultat. Tu as raison, Arthur, il vaut mieux que vous soyez deux au cas où…

Le retour vers la caverne, ça descend de nouveau… Mais ils ne sont plus que deux… Comment dire ? Une certaine gêne ?

- Je… Excusez-moi … pour tout à l’heure… souffle Béatrace.

C’est si incongru qu’Arthur éclate de nouveau de rire, la prend dans ses bras d’autorité et lui roule la pelle du siècle. Quand il la relâche, essoufflée et suffoquée, il lui glisse à l’oreille :

- On règlera ça plus tard.

Et il retire un poil de moustache qui est resté coincé entre deux de ses incisives.

 

Quelques instants plus tard, le téléphone sonne dans la salle des archives secrètes où ils sont de nouveau réunis : le correspondant envoyé au monument aux morts voit nettement de la fumée sortir par la bouche du Poilu qui, avec un cri silencieux, tend vers le ciel la palme de bronze du martyre de 14-18. 

DSC_0479 rec + NBO avev VB en S + contraste+Contraste

La crypte 4 Recadré NBO + Contraste

DSC_0528+NBO VB en S+contraste

 La crypte 5 Recadré NBO + Contraste 

DSC_0672+ NBO avec VB en S + Conques en S1

Esquisse NBO + contraste

 

 

LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10 - feuilletonton

L'éveil du Noyer Zédation de 26 images +CdP + CS1 C'est l'histoire où Rébéquée fait la connaissance d'Amaïa, la Nouvelle Mère. Lundi 18 avril Agotchilho Rébéquée s'éveille dans la tiédeur de l'eau, la nuque posée sur le rebord poli de la cuve de pierre, bras et jambes écartés et détendus, toute douleur enfuie.

http://feuilletonton.canalblog.com


La suite, c'est ici



[1] Panoramique de 6 images, ici, à main levée, en DX.

[2] Comme dit Julos Beaucarne…

24 mai 2016

LES ÉCOLOCROQUES MENACENT LE MONDE / P1C2E5

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

l’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici          

     

HVP_7912NB Rouge renforcéM

        L’Osmonde vient de renaître… 

2ZB23DMS NBO en S + s1 semi sol

 

 sous un autre angle, zédation de 23 images recombinée avec sa carte de profondeur et traitements divers pour un NBO modifié 

4ZB35DMS+RVB en S

 

mais les ancolies, les silènes, sont aussi présents : zédation de35 image. CdP et RVB en S

 

N°24 / LES ÉCOLOCROQUES MENACENT LE MONDE / P1C2E5

C’est l’histoire où les Écolocroques menacent le monde entier.

 

Vendredi 15 avril

11 heures

La Lanterne

 

Dans le bureau d’Arthur, tout le monde est massé devant l’écran de l’ordinateur, tandis que Jules Mouchoir ajuste la mise en page de la première édition spéciale : 

Première page : 

 

LA LANTERNE MATOISE DU FORT SUBREPTICE 

LES ÉCOLOCROQUES ATTAQUENT : MENACE SUR LE MONDE

 

  • MIRACLE À LOURDES :

LA BOMBE ATOMIQUE QUE LES TERRORISTES ONT PLACÉE

DEVANT LA GROTTE

N’A PAS EXPLOSÉ. 

  • MISSILE SUR LE KREMLIN. 

( Photo du cratère dans lequel a disparu le peintre hollandais.

La photo d'un trou. Je ne montre pas. )

  • QUATRE JOURNALISTES D’INVESTIGATION

DE NOS RÉDACTIONS

DISPARAISSENT.

 

DEUX D’ENTRE EUX

SONT À BORD

DU SOUS-MARIN NUCLÉAIRE DES TERRORISTES.

 

( Photo des journalistes sur le pont du sous-marin.)

 

ILS NOUS COMMUNIQUENT L’ARTICLE SUIVANT : 

La Terre par dessus tout

 

Les Écolocroques  veulent purifier la Terre !

 

Port de Bayonne début mars : destruction d’un hangar de la SOPAPI et de 1000 tonnes de soja OGM.

Un peu plus tard, le Président des Jeunes Pisciculteurs de Marinoval est victime d’un « accident » : il voulait détourner un ruisseau malgré les protestations unanimes des mouvements écologistes locaux. Il sera sauvé de peu par le Conseiller en matière d’économie électorale Hilarion-Jovial de Sainte Fouillouse.

Plus tard encore, explosion d’un silo à grains, du port de Bordeaux qui contenait du soja génétiquement modifié.

Une « fuite » survient dans un chai de vin de Bordeaux prétendument bio, mais certifié Écobert, et donc écolotraître.

Un incendie d’une pépinière de pins dans les Landes rappelle qu’il faut planter des feuillus.

Un notaire de Bournefol qui se soignait en allopathie est retrouvé mort. Le même soir, une pharmacie du même lieu est pillée. Sur les murs, aux deux endroits, des inscriptions : Phyto vaincra !

Un tractopelle, destructeur d’écosystèmes en montagne, est incendié en vallée d’Aspe.

Un directeur de supermarché est retrouvé étouffé dans un sac en plastique, un dauphin gonflable dans les bras…

En leur temps, nous avons rapporté ces faits divers dans nos pages. Mais sans établir de lien entre eux.

Mardi matin, nous avons reçu une enveloppe renfermant un dossier qui rassemblait toutes ces coupures de presse. Dans la même enveloppe, un courrier nous invitait, ma collègue et amie Clémentine-Esméraldine Kaligourian, de la Lanterne, et moi-même, Victor Bourriqué, du Petit Matois Subreptice, à « éclaircir ces mystères » à la « lumière d‘une écologie active ». Rendez-vous nous était donné pour l’après-midi même dans un petit port de la côte.

À 16 heures, suivant les instructions discrètes qui nous ont été fournies, Clémentine et moi embarquons donc à bord du petit bateau de plaisance qui nous a été désigné comme lieu de rendez-vous. Beau temps, mer calme.

Le plaisancier ignore tout de ceux qui l’ont payé pour nous conduire en mer. Il pense avoir affaire à des régionalistes du Nari (avec qui il sympathise) qui prépareraient une conférence de presse cagoulée de type Corse, mais en plus maritime…

À 18 heures, nous changeons d’embarcation : un canot pneumatique Zodiac, sans immatriculation lisible, prend le relais.

Un matelot taciturne nous emmène plus loin au large.

Une explosion nous fait tourner la tête : le bateau qui nous a amenés vient de sauter. Le Zodiac poursuit sa route sans que celui qui le conduit ait seulement tourné la tête. Il restera sourd à nos protestations.

À 19 heures, alors que nous sommes seuls en pleine mer, il nous demande d’enfiler des cagoules : nous ne verrons pas la suite. Bruits divers.

On nous guide dans un système de transbordement passablement agité et inconfortable.

Échelles, bruits, planchers mouvants. C’est là tout ce que nous pouvons en dire.

Nous sommes libérés dans une sorte de salon luxueux, de bureau, de quartier général d’opérations.

Nous sommes chez les Écolocroques.

Cent mètres sous l’eau.  

Aujourd’hui, après une nuit de navigation où nous avons été logés confortablement, nous nous trouvons au large des côtes du Portugal, et nous naviguons vers une destination inconnue à bord d’un énorme sous-marin. Nous l’avons visité. Nous vous en reparlerons dans une chronique ultérieure, car il semble que nous soyons « chargés » de tenir cette chronique de l’« Opération Écolocroques ». 

Nos hôtes nous ont priés de publier le message qui suit.  

Attention.  

Ceci n’est pas une plaisanterie, un canular à la Orson Welles, du style Guerre des Mondes ! 

Nous vous supplions de prendre ce communiqué au sérieux :

 

Communiqué des Écolocroques

 

Notre objectif est de créer un monde harmonieux que les hommes devront cesser de détruire et où chacun vivra à sa place

 

Notre objectif est de nettoyer le monde.

 

La Terre par-dessus tout :

Pour un Monde Propre !

C’est cela, la véritable Écologie.

 

Mais les gouvernements de la terre ont démontré leur impuissance à dépasser leurs égoïsmes idéologiques, religieux, politiques ou économiques.

 

Le seul moment où la paix a régné est celui où s’est établi un équilibre de la terreur : les gouvernants ne comprennent que la terreur.

 

Nous nous sommes donc dotés des moyens de leur imposer notre volonté :

 

À bord de nos sous-marins nucléaires « Typhoon »

 se trouvent en tout 40 missiles SS-N20 « Sturgeon » armés chacun de 10 ogives nucléaires de 25 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima chacune. Soit une puissance totale de

 

10 000 fois Hiroshima.

 

Nous disposons également de bases de lancement terrestres équipées chacune de quantité des mêmes missiles, armés de la même manière, ce qui augmente considérablement notre puissance de feu. Sans compter nos réserves thermonucléaires qui se chiffrent en centaines de mégatonnes

 

Chaque ogive est pointée sur une capitale politique, économique ou religieuse choisie sans aucune discrimination ni exclusion, toutes étant égales à nos yeux. Quatre cents lieux nous sont directement accessibles.

 

Et intégralement destructibles.

 

Dans un premier temps et pour asseoir notre crédibilité, un missile non armé a été envoyé depuis un sous-marin sur la Place Rouge de Moscou.

Par ailleurs, une ogive armée a été déposée près de la grotte de Lourdes. Pour cette fois, nous ne la ferons pas exploser.

 

Dès à présent, nos navires et nos bases doivent être considérés comme bénéficiant de l’immunité diplomatique :

 

Toute tentative d’agression à l’encontre de l’un de nos navires ou à l’encontre de l’une de nos bases se traduira par un ou plusieurs tirs dirigés comme il a été dit plus haut. Chaque tir impliquera dix destructions, toutes les ogives étant activées.

Toute tentative d’intrusion dans l’une de nos bases sera considérée comme une agression.

Toute tentative d’approche ou de blocus maritime d’une de ces bases sera considérée comme une agression.

Nous vous communiquerons ultérieurement la liste de nos bases et de leurs frontières.

Nous vous contacterons dès demain pour vous dicter nos conditions et vous faire connaître nos exigences écologiques.

 

 Die Erde über alles 

 

  • LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE S’ADRESSERA AUX FRANÇAIS

 À 20 HEURES CE SOIR.

 

ÉDITORIAL

Une tête nucléaire en état de fonctionner a effectivement été trouvée ce matin à Lourdes.

Un missile « Sturgeon » non armé s’est écrasé sur la Place Rouge devant le Kremlin. Un peintre hollandais, présent au point d’impact par le plus malheureux des hasards a été tu 

Ce n’était qu’avertissement paraît-il : 

Un groupe inconnu doté de moyens inconcevables jusqu’ici menace le monde. 

Et il nous a, nous, frappés directement : quatre journalistes du Petit Matois Subreptice et de la Lanterne du Fort ont disparu. 

Pourquoi eux, pourquoi nous ? C’est un mystère. Mais il n’empêche que nous nous trouvons de facto placés au centre d’un événement qui nous dépasse puisqu’il concerne le monde entier. 

Pour une raison connue d’eux seuls, les « Écolocroques » qui semblent se réclamer d’un écologisme radical, auraient donc choisi notre canal pour communiquer. Et il semble que ce soit la cause directe de la disparition, sinon de l’enlèvement de nos confrères. 

C’est pourquoi nous avons décidé de fusionner nos deux rédactions et de changer notre titre pour renforcer nos moyens et donc vous informer plus efficacement. 

La Lanterne du Fort a été fondée par mon groupe de Résistants en 1942. C’était la guerre. 

À ce jour, solidaires, nous devenons la Lanterne Matoise du Fort Subreptice. 

Jules Tefigue et Rébéquée Taritournelle, journalistes du Matois, ont disparu. Victor Bourriqué et Clémentine-Esméraldine Kaligourian, respectivement rédacteur en chef du Matois et journaliste de la Lanterne sont actuellement entre les mains de ceux dont vous avez lu le communiqué, qu’ils nous ont fait passer par un mystérieux canal. Ils semblent se trouver à bord d’un sous-marin nucléaire contrôlé par ces « Écolocroques ». 

Ce premier communiqué a été confirmé par un autre qui nous a avisés des événements de Moscou. Nous avons par nous-mêmes constaté ce qui s’est passé à Lourdes. Tout cela authentifie redoutablement les déclarations et les menaces terroristes dont nous sommes l’objet. 

Après dix ans de retraite paisible, je reprends la plume pour lancer un appel à tous mes anciens compagnons et à leurs descendants et héritiers, par le sang et par l’esprit, et à tous mes compatriotes, à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté du monde entier : il nous faut maintenant comprendre, pour agir. 

Et ne pas nous affoler. 

Toute information devra nous être adressée. Nous vous transmettrons tout ce que nous savons. 

Signé : Eusèbe Malfort 

Fondateur de la Lanterne du Fort 

Note aux Lecteurs : 

Le Directeur actuel de La Lanterne du Fort, Arthur Malfort, a pris personnellement en main le dossier des Écolocroques. 

Journaliste d’investigation, il a couvert tous les conflits et toutes les grandes affaires qui ont secoué la planète depuis quinze ans, pour notre journal aussi bien que pour de grandes agences. 

C’est à seule fin de lui laisser une totale liberté de mouvement que Monsieur Eusèbe Malfort a repris momentanément la direction du Journal. 

Arthur Malfort s’est lancé à la recherche des journalistes disparus en s’appuyant sur toutes les forces des deux journaux. 

Nous attendons ses premiers articles avec impatience. 

La Rédaction. 

- C’est bon tout ça. En pages deux, trois et quatre, vous placez des infos sur les articles dont parle Victor : la SOPAPI, le président des pisciculteurs, le silo à grains de Bordeaux, le pinard à la Garonne, l’explosion de Bordeaux, la pépinière des Landes, Bournefol, le tracto, le dauphin gonflable… Juste un rappel avec copie des articles déjà parus. Vous avez dix minutes. Trouvez tout ce que vous avez sur les sous-marins « Typhoon », je crois me souvenir que ce sont des monstres… Essayez de savoir comment ils peuvent être là. Cherchez tout ce que vous pourrez trouver sur l’affaire du missile du Kremlin : le type de missile, la personnalité du peintre écrabouillé, tout, tout doit être sous presse dans une heure, et sorti dans deux.

Et si ça traîne vous êtes virés ! 

Le secrétaire de rédaction, Jules Mouchoir, part en courant et on l’entend gueuler dans l’escalier qui conduit à la salle de rédaction. Un grand bruit : il s’est effondré au bas des marches. Faut dire que le plâtre rébéquien qu’il traîne encore à la patte ne l’aide pas à courir. 

- Toujours été mou ce garçon, remarque Eusèbe entre ses dents. 

- Le Maire sur la deux, annonce le Dragon… 

Arthur décroche :

- Allo… Oui, fusionné. Non on ne vous a pas demandé votre avis. Une édition commune, ça vous va ? Comment ? Pas d’accord ?

- Mon cher Félicien… (Eusèbe a arraché le combiné des mains d’Arthur), oui, c’est Eusèbe Malfort. Oui, le père. Le « copain » de votre père, c’est ça. Disons que je l’ai dédouané en 1945 de ses louvoiements de 1940 parce qu’on avait été ensemble à la communale. À l’époque il était du côté des Importants, et nous, on était les Insolents. Et vous, vous en êtes toujours à courir pour être Important. Un vice de famille, non ? Mais moi je suis toujours du côté des Insolents. Bref. Vous allez cesser de nous emmerder avec vos histoires, ou je ressors mes dossiers. Oui, ce lotissement par exemple. Limite-limite, n’est-ce pas ? Je sais, les affaires. Je sais, ça dépend du Conseiller en matière d’économie électorale Hilarion-Jovial de Sainte Fouillouse, et c’est sur ses terres, avec son rod-point. Et alors, ça vous dédouane ? C’est quand même vous qui avez déclassifié les terrains. On vous placera vos histoires en page quatre. Oui, l’enquête sur l’implantation des supermarchés. Avec votre signature évidemment pour montrer votre implication personnelle dans les problèmes économiques où il y a des sous à ramasser dans le coin. De l’argent public, bien sûr. Et le radon aussi… Le radon ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de radon ? Permettez-moi de me répéter : vous m’emmerdez. 

Il raccroche et s’adresse à Arthur :

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire de radon ? C’est un gaz radioactif, ça, non ?

- Oui, on aurait trouvé du radon sous le monument aux morts… Ça fait toute une histoire entre les écolos d’ici, les Naris et les Anciens Combattants…

- J’ai un article là-dessus si vous voulez, insinue Béatrace ravie de pouvoir enfin faire quelque chose…

- Attends, attends…. On se garde ça pour nous, on se le joue discret… Juste le localisme économique pour ce con de Maire et… Je repense à un truc…Tu connais mes archives perso ?

- Évidemment, c’est… en bas !

- Alors, on va sûrement y trouver quelque chose, et mon flair me dit que ce n’est pas anodin. Avec ces histoires de bombes atomiques… Il y a peut-être quelque chose… en bas… Mais il y a longtemps que je n’y suis pas retourné, je n’en ai pas encore eu besoin pour mes mémoires. On va y aller dès que possible et on vérifiera. 

Arthur prend son père aux épaules et le regarde avec un large sourire :

- On y va ! Mais pas tout de suite parce que moi non plus je n’y suis pas allé depuis longtemps : va falloir que je déblaie un peu le terrain, c’est resté à l’abandon là-bas. Et on a pas mal de choses à régler au journal avant de pouvoir descendre. Alors, on organise tout ça et on se retrouve ici ce soir pour écouter l’allocution du Président ? Soyez des nôtres, Béatrace… 

Et comment ! 

Même si elle n’a rien compris à ces allusions, ni à ces histoires d’archives familiales. 

Elle est rentrée au Matois pour vérifier que tout va bien, que les lignes téléphoniques ont été correctement transférées, voir si rien n’a été oublié, prendre un café, quelques affaires, une ou deux boîtes de trombones pour s’occuper les mains au cas où… 

Et puis elle a pris une douche et elle s’est changée, parce que les émotions, ça la fait transpirer sous les bras et pousser les poils. 

Mais elle est de retour à huit heures dans le bureau d’Arthur, avec tout ce qui compte de la rédaction de la Lanterne, devant le téléviseur qu’on y a installé. 

HVP_7905rec+LumM

 le pioupiou qui regarde à la fenêtre, recadré et éclairci

 

N°25 / LE DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE  / P1C2E6

C’est l’histoire où le Président de la République prononce un discours empreint de diplomatie, et où Eusèbe Malfort émeut Béatrace par sa détermination.

 

Vendredi 15 avril

20 heures

La Lanterne

 

Eusèbe Malfort, s’est assis à la place d’Arthur, à la place qu’il a si longtemps occupée, à côté de M’me Marty. 

Jules Mouchoir a le carnet de notes à la main, et deux des meilleurs rédacteurs de la Lanterne encadrent Béatrace. 

L’enregistreur ronronne…

 

Françaises, Français, chers compatriotes… 

Le regard solennel, le Président, solennellement encadré des deux drapeaux de la France et de l’Europe, assis derrière son bureau de l’Élysée s’adresse à la nation… 

La fonction solennelle que vous m’avez confiée et que j’ai acceptée avec humilité, enthousiasme et détermination est avant tout un honneur : celui de servir la France, et donc, de vous servir, chères et chers compatriotes. 

Après cette solennelle entrée en matière, alourdie d’une pause dramatique et solennelle, l’air grave, le regard solennel et assombri par le poids de ses responsabilités et par le maquillage télé, le Président enchaîne, les deux mains appuyées sur le bureau, prêt à se dresser pour affronter l’adversité et lui bourrer la gueule. 

Il n’est retenu que par la dignité solennelle de sa charge… 

Mes chers compatriotes, c’est la première crise grave que nous devons affronter depuis celle de la vache folle et des phynances. 

Nous l’affronterons ensemble, tout comme nous avons appris ensemble l’existence de cette menace soudain jaillie du néant pour venir frapper nos fils et nos compagnes, notre territoire,  et le monde tout entier. 

Comme vous donc, c’est par la presse que j’ai appris, que mes services ont appris, que nous avons appris l’existence de ce groupe qui, semble-t-il, à première vue, se réclame d’objectifs honorables, mais qui dispose de moyens incroyablement puissants et néfastes dont il se déclare prêt à user de manière monstrueuse. 

Comme vous, j’ai appris, mes services ont appris, nous avons appris, que l’on a trouvé, dans la sainte ville de Lourdes, un missile nucléaire, (pause dramatique) nu-clé-aire, mes chers compatriotes, et je pèse solennellement mes mots, prêt à exploser et à rayer de la carte la première ville hôtelière de France et le plus prestigieux, le plus sacré de nos saints lieux de pèlerinage. La sainte ville de Lourdes. La ville sainte de Lourdes. Avec tous ses habitants, sa sainte grotte miraculeuse, ses saintes piscines spécialisées, son château historique, sa sainte basilique, même, sa basilique à plusieurs étages ! Par miracle sans doute, mais aussi grâce à l’efficacité et au courage des services de déminage de l’armée dont je suis fier d’être le chef, cette menace a pu être écartée. 

Comme vous, j’ai appris, mes services ont appris, nous avons appris le drame de Moscou où un malheureux artiste hollandais a, de sa vie, protégé et sauvé, sauvé, mes chers compatriotes, l’existence d’une collaboratrice russe de notre ambassade qu’il a couverte de son corps. Là encore, la France se trouve placée au cœur du Drame. Et du Miracle. 

Comme vous, je me trouve dans l’attente, dans l’expectative.

Dans l’attente d’informations complémentaires, de messages de ces mystérieux Écolocroques qui nous présentent ces faits comme des avertissements ou des preuves de leur capacité d’action, sans encore nous informer de qui ils sont, ni de ce qu’ils souhaitent exactement. 

Comme vous, j’aspire à vivre en paix dans un monde paisible et équitable où règnent la paix, la justice, la liberté, l’égalité et la fraternité. 

Comme vous, j’attends de savoir quelles revendications vont manifester ceux dont nous ne savons pas encore si nous devrons les considérer comme des amis ou comme de dangereux adversaires… 

Comme des amis qui, après s’être fait bruyamment connaître et reconnaître, s’étreignent tendrement, nous tendront la main de la collaboration, pour atteindre à ce monde équitable, équitable mes bien chers frères et sœurs, auquel, comme vous, comme moi, comme nous, ils semblent aspirer, comme des amis inconnus, qui, ainsi que le dit le poète, vous naissent tout soudain et se tournent vers vous, comme des amis qui, forts d’une alliance mutuelle, vont de l’avant vers un même horizon lumineux fait d’entente et de joie, d’harmonie et de paix, ainsi nous rejoindrons-nous... 

- Il se croit dans la chaire du Pensionnat des Oiseaux, ou il nous la joue Coué ? se demande Eusèbe à haute voix… 

Parce que, mes chers compatriotes, je ne peux croire qu’un Idéal É-co-lo-gique qui place la Terre au-dessus de tout puisse un seul instant envisager la possibilité de la détruire. Car ce serait la détruire que de recourir aux monstrueux moyens évoqués dans un moment d’égarement, soyons-en sûrs, dans ce que d’aucuns pourraient appeler, pardonnez-moi l’expression, une sorte d’abracadabrantesque « pétage de plombs » idéologique… Et donc, mes bien chers compatriotes, frères et sœurs, c’est pour cette raison que je refuserai d’envisager l’autre terme de l’alternative, qui placerait ceux qui se sont manifestés avec une telle … intensité, dans une position d’adversaires de notre République, de notre chère République, de notre sainte République, et du Monde entier. Non, je ne peux envisager une telle possibilité. 

Voilà pourquoi ces appréhensions légitimes qui ont pu être un temps les vôtres en apprenant ces événements devront s’effacer au profit d’une confiance sans faille dans l’avenir et dans vos représentants, confiance qui se trouve résumée en ma personne, en moi que vous avez légitimement élu, confiance vigilante certes, mais généreuse, large, ouverte, face aux angoisses de ceux que leur inquiétude seule a pu pousser à ces extrémités, et que nous avons compris, car je les ai compris, vous les avez compris, j’en suis certain, mes chers compatriotes, nous les avons tous compris, et que nous aiderons, soyez-en convaincus, mes chers compatriotes, mes bien chers frères et sœurs, à sauver la Terre, que nous aussi, nous plaçons au-dessus de tout ! 

Vive la République, vive la France ! 

Pom pom pom pom de la Marseillaise… 

Clic de l’extinction du poste… 

Silence…

 

Eusèbe se relève, hoche la tête :

- Bien sûr, il ne se mouille pas, ménage chèvre et chou. Et après tout je ne vois pas ce qu’il peut faire d’autre pour l’instant que d’enfiler des perles… Alors, compte-rendu et analyses habituelles pour l’édition de demain. La spéciale est déjà en vente (on se l’arrache, interrompt Arthur) et les journaux télé ont très largement relayé l’événement, on n’a plus qu’à laisser courir… Et à enquêter. C’est ça notre boulot, c’est ça ton boulot, Arthur. 

- Notre boulot… ajoute Béatrace qui n’en revient pas de son audace. Faut dire qu’elle a enfilé sa petite robe en jean, « aventurière », mi salopette, mi débardeur, et même mi tout court. Celle qui la laisse libre de ses mouvements (celle que son amant secret appelle la pousse au crime), avec des baskets marron assortis à ses moustaches et des chaussettes de Bécassine de toutes les couleurs. 

Et elle enchaîne :

- N’oubliez pas que ce sont mes amis qui ont disparu !

- Nos amis, la reprend Arthur, nos amis, Béatrace.

- Nos amis, appuie Eusèbe qui a décidément du mal à cadrer cette fille. Mais le problème auquel nous sommes maintenant confrontés dépasse celui de leur enlèvement ou de leur disparition. Si tout cela n’est pas un canular…

- Tu sais bien que ce n’est pas un canular, les fusées ne sont pas factices et le sous-marin semble bien réel…

- Oui, bien sûr, mais on a vu des intox encore plus énormes, je le sais, j’en ai monté pendant la guerre… On doit faire comme si, tu as raison. De toutes façons, si intox il y avait, elle mettrait en jeu de tels moyens qu’elle révèlerait un plan d’organisation extrêmement dangereux. Bref. L’affaire dépasse notre petite histoire et nos petites personnes. Et il faudra être prudents, ne pas dévoiler nos projets et surtout pas nos actions… 

Il réfléchit un moment, à l’unisson de tous, et puis il reprend :

- Mes amis, comme dirait le Président, à partir de maintenant, nous devons convenir de rester absolument discrets sur tout ce que nous pouvons entreprendre et surtout découvrir ! Pas de publication sauvage, pas de mots en l’air, pas de fuites incontrôlées, pas de tuyaux refilés aux copains !!! Ça dépasserait le cadre de l’imprudence, de l’erreur ou de la faute professionnelle : ce serait criminel. Criminel envers nos amis, criminel envers nous-mêmes et envers le monde entier. Nous devons tout craindre, tout suspecter. 

Il hoche la tête, et il ajoute :

- Nous entrons en clandestinité. Il faut en prendre conscience. 

Béatrace, les larmes aux yeux, se lève (sans prendre garde au fait qu’elle découvre subrepticement sa petite culotte rouge), tire machinalement (et inutilement) sur sa robe en jean et d’un seul élan vient embrasser Eusèbe sur les deux joues :

- Merci, Monsieur Malfort ! Je vous jure que tous ensemble, tous ensemble nous y arriverons, nous les aurons !!! Tous ensemble, tous ensemble !!! Ouais ! Ouais !

 

LE ROMAN MALFORT / P1C2E7 - feuilletonton

Esquisse de statue issue d'un bloc NBO. C'est l'histoire où l'on découvre quelques aspects du roman familial des Malfort, et où Béatrace glisse en Amour sans même s'en apercevoir. Samedi 16 et dimanche 17 avril Saint Tignous sur Nivette L'immeuble de la Lanterne a été bâti dans le vieux Saint Tignous sur Nivette, au pied du château de glorieuse mémoire.

http://feuilletonton.canalblog.com


 La suite, c'est ici

 

Publicité
Publicité
24 mai 2016

LE MIRACLE DE LOURDES / P1C2E2

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici 

                 

Mp1-5M

      Saint Savin panoramique de 5 clichés de nuit… 

MDSCF7619rec+cont M

Saint Savin Bénitier recadré 

MDSCF7625redresséM

Le vieil orgue (image « redressée)et ses claque-gueules.

 

P1C2E2 LE MIRACLE DE LOURDES / P1C2E2

C’est l’histoire où, devant la grotte sainte, nous rencontrons Isidore Scope, Père Blanc de son état, et où il fait une curieuse trouvaille. Lourdes, c’est un petit bled situé près de Saint Savin.

 

Vendredi 15 avril

7 heures

Lourdes

 

À ces heures-là, devant la grotte Massabielle, y’a pas foule. 

Le jour point à peine, juste ce qu’il faut pour distinguer la déco : béquilles, grilles de protection contre les pèlerins voraces capables de démonter le rocher pour emporter un souvenir gratuit. 

Or, les souvenirs gratuits sont au commerce local ce qu’un vol de criquets est à un champ de mil, pense le Père Isidore (Père Blanc en mission prospecto-disciplinaire à Lourdes parce que, spécialiste de la Pierre Noire, la fameuse Pierre Noire des Pères Blancs[1], célèbre contrepoison saharien qui guérit des morsures de serpents, piqûres de scorpions, mauvais œil et autres chutes dans les escaliers quand ton mari parti, il avait depuis quelque temps pris l’habitude de se faire suivre partout par deux jeunes maliennes d’une douzaine d’années que leurs parents lui avaient confiées à fin d’éducation (ou de ce qu’il voulait, ça fait deux bouches en moins à nourrir, c’est ça ou les vautours) et qui ne le quittaient jamais, même la nuit, ce qui avait fait jaser à un point tel que dans le district on parlait de la paire noire du Père Blanc (connu dans toute la province pour en avoir une sacrée, de paire), et que le Supérieur lui avait conseillé fortement d’aller vérifier si les cailloux du Gave de Lourdes (qui est aussi le Gave de Pau), baignés dans l’eau sainte de la grotte miraculeuse, ne présenteraient pas les propriétés suce-poison adéquates à la confection d’une pierre aussi efficace que celle qu’il diffusait) (ce qui présenterait le double avantage de diversifier les approvisionnements en pierres et de l’éloigner du Péché, une soutane n’étant pas précisément prévue pour rester trop longtemps ni trop souvent tenue entre les dents) (mais qu’est-ce qu’il en sait le bougre à son âge ! C’est vrai il a au moins cent cinquante ans ce saint Mathusalem), Père Isidore qui voit loin et qui baigne dans ses impressions d’Afrique[2]. 

Sous la déco et l’œil bienveillant de la Vierge Saint Sulpicienne (œuvre (par définition) immortelle, réalisée par Joseph Fabisch, professeur à l’école des Beaux Arts de Lyon (ce qui a laissé quelques rancœurs à l’Académie des Beaux Arts de Lourdes et même à celle de Pau, sans parler de celle de Tarbes)) qui verse depuis avril 1864 des regards enamourés sur le parvis pour l’heure désert de la grotte, quelques vieilles insomniaques du cru qui enrichissent de leurs ronflements méritoires l’adoration perpétuelle de (putatives) vierges (assurément) professionnelles de l’une ou l’autre Congrégation, souvent italienne, polonaise ou ukrainienne (ce qui laisse à penser que la, La, Vierge, par ailleurs juive palestinienne d’origine, doit avoir un secrétariat foutrement polyglotte), restent agenouillées sur des prie-Dieu et sous des couches de pulls parce qu’il fait frisquet au tout petit matin. 

Le père Isidore (Isidore Scope pour l’état civil, ce qui fait dire à ses confrères en sainteté qu’il voit loin et qu’il domine la situation) n’a pas dormi cette nuit : les dévotions qu’il a si patiemment enseignées à ses petites maliennes lui manquent, elles qui savaient si bien lui fondre le cierge. 

Et ce n’est pas celui qu’il a planté devant la grotte hier soir qui l’a aidé à dormir. 

Enfin, c’est la vie…

 

Et le Père erre, le Père vaque. Et même, le Père cale : de n’être pas forateur à cette heure où il voudrait y mettre, à cette heure où il se penche sur les eaux, comme en un conte à dormir debout, presque à choir, l’enrage. Y choir ? Que nenni ! 

Illumination : le Père sait qu’à la résignation, à la sainteté même, ici, et c’est miracle, oui, c’est cela le miracle, alléluia, le Père y naît. 

C’est fini, se dit-il avec quelque nostalgie. 

Il est Père Blanc. 

On ne le qualifiera plus de pervers. 

Il connaît enfin la paix de l’âme, la paix du Père missionnaire libéré de la charge de sa propre vie : il peut, Père, siffler, et, ex-légionnaire, il se peut même que le Père pète, sans être moins sévère pour autant. 

Il est libre.

 

Le Père I. Scope contemple de haut, mélancoliquement, les reflets de la lune qui joue sur les cailloux changeants du fond du gave en songeant aux douceurs chaudes de l’Afrique, aux reflets luisants de la lune ronde sur les épaules luisantes de sueur de Mélanie, la plus fine des deux, celle qu’il a baptisée Mélanie parce que c’est la plus noire, la plus douée des deux, sur… mais, qu’est-ce que c’est que ça ? 

Le Père Isidore s’est redressé : un plouf conséquent l’a arraché à sa rêverie coupable  et sainte à la fois, comme l’aurait fait la voix grinçante du Père Supérieur, surprenant un devant de soutane en tente de bédouin. 

Deux silhouettes claudicantes s’éloignent en abandonnant un fauteuil roulant, il regarde dans l’eau du gave où tantôt des pèlerins plongeront leurs scrofules, leurs squames, leurs chancres, leurs métastases et les pneus usés de leurs fauteuils roulants, dans l’espoir fou d’une guérison miraculeuse ou d’un échange standard qui les propulsera au 20 heures de TF1. 

Il s’approche du lieu du plouf, se penche et voit, non pas ce qu’il craignait, à savoir le papy dont on se débarrasse à l’aube en le noyant dans le gave glacé avec l’espoir du miracle d’un héritage (mais le salopard a déjà tout fourgué à Notre-Dame du Carmel), mais une sorte de long fuseau métallique, pour le coup luisant sous la lune d’un éclat menaçant. 

Le Père Isidore, qui est passé par les scouts puis par la Légion avant d’entrer dans les Ordres, sait reconnaître un engin militaire quand il en voit un et il se dit que :

  • Un : ce n’est pas une décharge sauvage et qu’un quidam ne cherche pas en l’occurrence à se débarrasser d’un frigo en panne. Trop rond.
  • Deux : ce ne sont pas des petits jeunes qui finissent ici une nuit de java crapuleuse en jetant une canette dans la nature. Trop gros.
  • Trois : se pourrait bien que ça pète et qu’il vaudra mieux se trouver ailleurs.
  • Quatre : le devoir avant tout, quand les ordres de l’Ordre ne s’y opposent pas, prévenir les Forces de l’Ordre.

Ce qui rejoint le Trois et du coup s’il se trousse la soutane pour une fois ce n’est pas pour une bonne caisse, c’est pour la bonne cause et il retrouve sa forme de légionnaire sur le parcours du combattant quand il doit passer sous un tir réel de la mitrailleuse pour gagner sa fourragère.

 

- Une bombe dans le gave, je vous dis ! Près de la Grotte ! 

Le gendarme, ça va bientôt être la relève, le regarde d’un air sceptique et embrumé. 

- Z’êtes sûr de ce que v’z’ avancez ?

- Vous préférez attendre qu’elle pète ?

- Bon. J’informe l’adjudant... ‘Seyez-vous… ‘Tendez…

 

L’adjudant est venu :

- C’est vous qu’avez vu…

- Une bombe, oui, écoutez, j’ai passé dix ans dans la Légion avant d’entrer dans les Ordres. Je sais reconnaître un engin militaire !!

- Bon, on va voir, restez là ; Piéchu, tu recueilles la déposition de Monsieur… 

On remarquera que l’adjudant, libre penseur, s’autorise, même à Lourdes, à ignorer les grades ecclésiastiques dans le cadre de ses fonctions. 

Ce qui, parce qu’on est à Lourdes, nuit à son avancement.

 

Et cinq minutes plus tard, parce que c’est tout près, l’adjudant :

- Merde, c’est vrai ! Soubielle, appelle le déminage, fissa ! 

Et le même adjudant, pendant que Soubielle manipule la radio, se met un peu à l’écart et sort son portable :

- Allo, la Lanterne du Fort ? 

MDSCF7644RecM

L’arbre de Saint Savin…

 

N°22 / LE PEINTRE DE MOSCOU / P1C2E3 

C’est l’histoire où, sur la Place Rouge, nous rencontrons Anton, peintre hollandais de son état, et où il s’envoie deux fois en l’air. 

 

Vendredi 15 avril

8 heures 30

Moscou

 

Moscou, huit heures trente. Fait moins deux sur la Place Rouge mais le soleil est tout joyeux. 

Anton a planté son chevalet et tente de capter le mouvement de la lumière sur les bulbes dorés du Kremlin. 

Il a encore, sinon mal aux cheveux (il est chauve), du moins un poids sous la chapka. La vodka d’hier. Un goût de patates. Décidément, il n’y a que les Polonais pour faire de la bonne vodka. Moujiks de merde qui lui ont refilé une bouteille vérolée. 

Lui, au fond, il râle pour le principe, mais il s’en fout de la gastronomie locale. Il est peintre hollandais et il fait son boulot de peintre hollandais à Moscou : il peint Moscou. 

Et il fait de l’œil à la petite moscovite qui regarde par-dessus son épaule, gentiment rebondie sous ses fourrures. 

Et comme il a garé son camion tout près, à cinquante mètres dans la première rue accessible, là tout au bord de la place, il essaie de lui expliquer en baragouinant que sa peinture ça se regarde de tout près. 

La fille rit de bon cœur à son russe de bistrot et lui explique en anglais qu’elle est interprète à l’ambassade de France. 

Alors il lui répond en français qu’il s’appelle Anton, qu’il est peintre hollandais et que… elle l’interrompt et enchaîne pour lui[3], « que son camion est garé tout près, à cinquante mètres, là, au bord de la place, et que sa peinture, ça se regarde de tout près » et qu’il est un affreux dragueur de peintre hollandais qui fait son boulot de peintre hollandais à Moscou : il peint Moscou ! 

Ce qui finit par un grand éclat de rire, surtout quand elle lui apprend qu’elle s’appelle Michoska, ce qu’il apprécie beaucoup, vu qu’il a fini l’esquisse et qu’il a soif, avec un fond de vodka polonaise dans son camion-maison garé tout près à cinquante mètres dans la première rue accessible, là tout au bord de la place, et que… 

Et qu’elle a justement une heure devant elle et que… 

Elle a un rire argentin et le suit dans le camion, un vieux « tube » Citroën qu’il traîne depuis vingt ans sur les routes d’Europe et que personne ne risque de lui voler, ce qui est appréciable à Moscou. 

Comme il est là depuis une semaine, il a été repéré, puis admis, après explications, par l’omniprésente police du lieu. 

Donc, on ne lui piquera pas non plus son chevalet. 

Alors il laisse tout en place, ses crayons d’esquisse et le reste et ils montent derrière, là où il a entassé ses toiles, sous la couchette, et laissé ce qui reste de la bouteille, sur un bout de petite table. 

Elle rit toujours lorsqu’il la sert, elle rit encore plus lorsqu’il la serre, et,… 

Bon.

 

Adorable, Michoska, adorable… 

Après un bon moment de tangages couinants d’amortisseurs fatigués, il sort discrètement pour lui laisser la place de se rajuster (elle rit encore devant sa discrétion) et il se rapproche de son chevalet, heureux, comblé, rayonnant. 

C’est alors qu’il disparaît.

 

Au bruit, à la brusque déflagration qui a suivi un court sifflement, le camion a tremblé, comme poussé par un souffle violent, s’est à demi soulevé sur deux roues et il est retombé. 

Effarée, Michoska a ouvert la porte à glissière pour découvrir un cratère sombre et fumant d’où émergent quelques ferrailles, là où il y avait le chevalet et… 

Anton. 

2ZA21DMS+RVB en S

zédation de 21 images + CdP +RVB en S

 

N°23 / LA MENACE DE LOURDES / P1C2E4 

C’est l’histoire où l’on apprend avec stupeur que Lourdes risque de se trouver rayée de la carte.

 

Vendredi 15 avril

7 heures

Saint Tignous sur Nivette

 

Bon, elle gare la 2CV en face du Matois et de l’ancien réfectoire du couvent des Marmoréens, là où du fait qu’elle se retrouve toute seule au journal, il y a beaucoup de place. 

Elle met en route la machine à café et elle se sert la meilleure tasse de la journée. 

Et puis elle va s’asseoir à son bureau et elle allume les écrans… 

Voyons les mails… Qu’est-ce que… Meeeerde !!!! 

Béatrace se relève d’un bond de devant l’ordinateur, bouscule sa (première) tasse de café qui vient se vider sur ses cuisses, merde, ma petite robe à pois, revient s’asseoir, le texte, la pièce jointe, une, deux, trois photos, c’est eux ! Youpeeeee !! 

Mais qu’est-ce qu’ils foutent là, on dirait un sous-marin tout noir, même pas jaune, mais, le texte, oh mon dieu !!!! Qu’est-ce que… J’appelle le Maire ? Non : Arthur, j’appelle Arthur. L’heure ? Sept heures et demie. Que foutre, y’a urgence !!! Où est-ce que j’ai noté son portable ? Ah. Voilà. D’abord… Vite !!! Transférer, le mail à la Lanterne, lanterne-du-fort.com, voilà… Et j’appelle…. 

- Allo, heu… Arthur ? Oui, c’est Béatrace, du Matois, oui du nouveau. Un mail incroyable. Oui je l’ai transféré. Oui, à la Lanterne. Non, je peux pas venir, il faut bien qu’il y ait quelqu’un ici, et… L’édition du jour. Justement. Surtout que je me suis engueulée avec le Maire hier. Oui. Lisez et rappelez-moi. Vous n’êtes pas au journal ? Dans cinq minutes. Bon. À tout de suite. 

Il a coupé. Quelle histoire !!!

 

- Allo, Béatrace ? Arthur. Oui. Cette histoire est monstrueuse et j’y crois. Je m’occupe de prévenir les autorités, et pour vous libérer, je propose une édition commune. On l’intitulera la Lanterne Matoise du Fort Subreptice et on renoue avec la tradition de Résistance. J’ai demandé l’accord de mon père qui possède le titre, il est d’accord pour tout et même pour venir reprendre les rênes pendant que nous nous organisons.

- Le Maire…

- Je m’en charge ! Je vous envoie un rédacteur et le secrétaire de rédaction que vous mettrez au courant de l’essentiel des travaux en cours et si vous vous en ressentez, nous nous mettons en chasse.

- Mais on chasse quoi ?

- Faut retrouver les quatre disparus. Et voir ce qu’on peut faire pour le reste. Et pour ça lancer une édition spéciale. Soyez à la Lanterne à neuf heures, mon secrétaire de rédaction et un assistant seront au Matois dans dix minutes. Vous aurez une heure pour tout leur indiquer. Ça marche ?

- Et comment ! s’écrie Béatrace qui en frise sa moustache d’excitation !

 

Pas facile de tout leur expliquer, le reportage sur les supermarchés et le radon, les comptes-rendus de Conseil Municipal, pendant que Mouchoir essaie de s’y retrouver dans les fichiers tandis que le téléphone commence à sonner… 

Vite fait, ils sont au courant, et Béatrace repart… 

À huit heures et demie pile, la Deuche freine bruyamment devant Toto qui proteste :

- Oh !! Oh là !! Z’êtes pas du journal, vous !!! 

Et Béatrace qui le repousse de l’aile en lui criant :

- Pousse-toi Toto, Urgence Rouge !! 

Toto en reste comme deux ronds de flan :

- Mais qu’est-ce qu’y z’ont ? Mais qu’est-ce qu’y z’ont !!

 

Mouchoir sort en titubant de la Deuche encore fumante qui finit à peine de se balancer, alors que Béatrace est déjà dans l’escalier en haut duquel l’attend le Dragon. 

Béatrace freine sec devant son visage impassible. 

- Vous êtes Béatrace ? (Oui de la tête) Suivez-moi, on vous attend… 

Le grand bureau.

 

Deux hommes qui se présentent : Eusèbe Malfort, le plus vieux, Arthur, le plus jeune. Waouh ! Ce qu’il est beau !

- Moi, c’est Béatrace. 

Elle se pense par devers soi-même que le vieux est vraiment vieux, doit courir sur les soixante, soixante-dix, peut-être même quatre-vingts, mais qu’il a encore un œil vif, qui traîne de lui-même, là, et là… 

Et que le jeune, vachement grand, lui plairait bien, même si on dirait qu’il a avalé sa pendule tellement il a l’air pressé ; et bien sûr, elle fait son petit effet avec sa moustache qui rebique : les deux se regardent en levant le sourcil… 

- Bon (c’est Arthur qui parle). Mon père va s’occuper des journaux. Il a fait ça pendant quarante ans, il connaît…

… il montre à Béatrace la photo de Clèm et de Victor debout sur le pont du sous-marin, affichée en grand sur l’écran de l’ordinateur, tout en lui tendant une édition papier du mail qu’elle lui a retransmis du Matois :

- …et nous, nous allons nous consacrer à les retrouver et à comprendre cette histoire. J’ai contacté le préfet et je lui ai fait passer les informations. Il a aussitôt appelé le ministère, mais le ministre n’est pas disponible parce qu’il inaugure un radar routier pour la télé et qu’il a fait savoir que l’important maintenant c’était de sauver des vies sur la route vu que c’est bon pour les élections et qu’en plus de rapporter des voix, ça rapporte des sous. Le préfet attend des instructions… Faut pas compter sur lui. On devra se débrouiller tout seuls. 

Un voyant rouge clignote sur une console informatique : une dépêche urgente, et en même temps, le téléphone sonne… 

Eusèbe décroche le téléphone tandis qu’Arthur détache la dépêche de son imprimante… 

- Allo ? Quoi ? À Lourdes ??? Un instant… (il pose la main sur le combiné) on a trouvé une « sorte de fusée » devant la grotte de Lourdes !!! Bougez pas, on arrive ! (il raccroche et simultanément appuie sur le bouton de l’interphone) Jeanne, on a quelqu‘un à Lourdes ? Pas aujourd’hui ? Alors appelle l’hélico. Il a dix minutes ! Et rappelle-moi ce connard de préfet !! 

… et Arthur lit la dépêche :

- Une fusée s’écrase sur la Place Rouge, à deux pas du Kremlin !!! Un peintre hollandais volatilisé. Les Russes parlent d’attentat tchétchène.

Il appuie sur le bouton de l’interphone :

- M’me Marty, essayez de joindre l’ambassade de France à Moscou, ils auront peut-être quelque chose.

Le téléphone :

- Allo ? Ah, vous êtes le Préfet ? Je suis Eusèbe Malfort, fondateur de la Lanterne. Oui. Une menace de bombe à Lourdes et une fusée à Moscou ? Ça suffira pour votre ministre ? Si je ne l’ai pas en ligne dans trois minutes, je lance une édition spéciale et je balance le document que je vous ai envoyé sur l’AFP. Bougez-vous mon vieux !

- De toutes façons (c’est Arthur qui intervient en a parte) on lance la spéciale !

- Bien sûr, et comment ! Mouchoir est revenu ?

- Avec moi, oui, explique Béatrace. Il finit de vomir dans la cour : il ne supporte pas la Deuche : il dit que ça balance.

- Petite nature, commente Eusèbe en appelant par l’interphone :

- Jeanne, appelle Mouchoir !!

Elle ouvre la porte, en réponse :

- Tu ferais aussi bien de laisser la porte ouverte ça t’éviterait de crier ! Pas bon pour tes bronches à ton âge !

- Mon âge ! Mon âge !! Attends un peu que je te…

 - Chiche ! lui répond le Dragon avec un sourire craquelé. 

Eusèbe réalise que Béatrace les regarde avec des yeux ronds :

- Quoi qu’est-ce qu’y a ?

- Ben euh… (ça l’affole un peu la Béatrace, c’est dingue quelquefois au Matois, mais là !!!)

- Tu l’effraies cette petite (c’est le Dragon qui prend sa défense). Eusèbe et moi on a travaillé 30 ans ensemble, patron-secrétaire à s’engueuler, faut pas vous inquiéter ma petite, on se raccommode toujours… (avec un sourire toujours aussi craquelé, mais qui en dit long sur les raccommodages en question).

- Bon c’est fini les histoires de famille ? (cette fois c’est Arthur qui grogne) On a du lait sur le gaz. 

Téléphone. 

- Allo ! (Eusèbe rageur) Ah c’est vous le ministre ? J’ai envoyé un mail à votre préfet : menace terroriste, quatre journalistes et deux civils enlevés. Vous bougez ou j’appelle le Président ? (ça grésille dans le téléphone, il met le haut-parleur)

- …vous vous permettez de me déranger dans mes hautes fonctions, connard ! Vais faire sauter votre carte de presse, moi…

Eusèbe lui raccroche au nez :

- Jeanne, appelle-moi l’Élysée ! 

Arthur s’est rapproché de Béatrace :

- Racontez-moi tout, tout ce que vous savez…

 

Elle en fume presque des oreilles Béatrace, l’émotion et tout ça, mais en fin de compte, en additionnant ce qu’ils savent et ce qu’elle sait, ça ne fait pas beaucoup plus que ce qu’ils ont déjà appris, et en confrontant leurs infos, ils finissent par décider d’appeler la boulangerie de la Marée au Grand Port où Madame Miravarre leur dit :

- Oui, ils sont passés, c’est ça, un homme petit et une grande belle femme sympathique, et ils sont allés au Petit Port, ils avaient vu la voiture des autres je crois… Mais depuis j’ai eu des nouvelles : un paquet avec une lettre d’Hélène et de son ami Hector. Ils seraient sur un cargo parti samedi pour la Guyane. Et dans le paquet cent mille euros en billets ! Mais je n’ai pas confiance, ce n’est pas leur genre, et d’où vient tout cet argent, Bichy n’est pas riche et…

- Des nouvelles des journalistes ?

- Non, plus rien depuis, ils m’ont dit de vous contacter s’il n’y avait rien de neuf. J’allais le faire, je suis toujours inquiète, oh mon dieu…

- Ne dites rien à personne, n’en parlez pas, vous seriez en danger, nous faisons tout notre possible, suivez les infos, je vous ferai parvenir le journal. Nous sommes pressés, pardonnez moi d’être bref, je vous rappellerai. Courage ! On les aura !! 

- Zèbe, l’Élysée sur la trois… (le Dragon est seule à l’appeler Zèbe, et encore, seulement dans les moments de plus stricte intimité. Ce coup-ci, ça lui vaut un presque sourire fripé du patriarche).

- Allo, le directeur de cabinet du Président ? Je suis Eusèbe Malfort, fondateur de la Lanterne et je dispose d’une information capitale pour la sûreté nationale, passez-moi le Président si vous tenez à votre fauteuil !

 

- Allo Président ? Oui, LE Eusèbe Malfort, bonjour. Écoutez bien : quatre journalistes qui enquêtaient sur un groupe écolo-terroriste ont disparu. On vient de trouver ce qui ressemble à une bombe qui n’a rien de miraculeuse dans l’eau de Lourdes. Vous n’êtes pas au courant ? Les RG n’ont rien dit ? On a découvert ce matin une « sorte de fusée » dit notre informateur, mais moi je vous dis, selon mes informations, que c’est certainement une ogive nucléaire. Oui. Je tiens la nouvelle des terroristes. Je voulais vous avertir avant de publier… Oui, responsable ! Par ailleurs, une fusée sur la Place Rouge. Vous êtes au courant, la dépêche est tombée il y a trois minutes. L’ambassade. Oui. J’ai la preuve du lien. J’ai essayé de joindre le ministre mais il m’a jeté. Oui. Il est au courant mais il espère que ça vous emmerdera ? Le con. La politique ? C’est pour ça que je suis resté journaliste après la guerre (rire). Bon qu’est-ce qu’on fait ? On informe ? Une spéciale et on envoie à l’AFP en suivant, après tout c’est des journalistes d’ici qui ont trouvé l’info. Radio et télé, bien sûr. Oui, ça emmerdera le ministre. Si ça vous amuse. Le préfet ? Muté à Saint Pierre et Miquelon ? Affidé du ministre ? C’est normal, non ? Mais point trop n’en faut, bien sûr. Une intervention à la télé ce soir, et je peux l’annoncer. OK. Ça roule. Merci, Président. 

Un bourdonnement puissant, c’est l’hélico :

- Allez-y les enfants, je lance la spéciale avec Mouchoir. Oui, j’ai changé le titre et on le distribuera aussi aux abonnés du Matois. Bossez bien. 

L’hélico s’est posé sur le toit.

 

Béatrace avait bien entendu dire qu’à la Lanterne ils avaient des moyens, mais elle en reste quand même sciée. Quand elle racontera ça à… Comment il s’appelle déjà cet amant secret ? 

Vingt minutes plus tard, ils se posent sur l’héliport de Lourdes. 

Un taxi rapide, et ils se retrouvent près du cordon de gendarmes qui entoure le domaine de la grotte. 

- Un miracle ? demandent les pèlerins encore rares à cette heure et en cette saison. 

Ce n’est pas encore le Mois de Marie et les boutiques de souvenirs commencent juste à s’approvisionner en médailles saintes à un euro, en gourdes-Vierges à remplir d’eau miraculeuse (4 € le modèle d’un litre, 10 € le modèle familial de 3 litres) et en cierges pour les promos du mois prochain. 

La ville est calme, l’hiver est ici période creuse : on évite quand même de plonger les malades dans la piscine à 5° quand il gèle dehors, faut pas augmenter les statistiques de pneumonies. 

On parle un peu italien, polonais ou serbo-croate, mais juste un peu. 

Beaucoup d’autochtones encore. 

Arthur et Béatrace brandissent leurs cartes de presse. 

Ils sont arrivés les premiers, l’adjudant n’a encore prévenu que la Lanterne de la présence impromptue de cet objet fuselé qu’un ecclésiastique de marque « Père Blanc » en matinale et professionnelle méditation a découvert gisant sur le fond du gave dans l’eau duquel tout à l’heure les malades viendront contracter leur bronchite miraculeuse ou tremper les roues de leur fauteuil roulant. 

Pas trop inquiets, les gendarmes regardent l’objet qu’on a posé à terre, sorte de très gros obus métallique encore luisant d’eau. 

Ils attendent les artificiers « pour l’expertise », mais comme il ne semble pas y avoir de fusée détonante à l’extrémité de l’engin, que les caractères qu’ils ont pu voir gravés dans le métal sont incompréhensibles et que la tuyère par quoi se termine l’objet est noyée, ils se disent que ça ressemble en plus gros, à une sorte de fusée d’orgue de Staline, des Katiouchas, dit l’un des gendarmes qui a l’air d’en savoir un bout parce qu’il a commencé un cycle de formation « déminage » qu’il a dû interrompre suite à une faiblesse intestinale, mais c’est quand même un peu gros et très lourd, on a dû s’y mettre à six pour le sortir. 

Pas le gendarme, l’objet. 

- Et ils vont arriver bientôt les experts ?

- Les voilà, on leur a dit d’être discrets pour pas affoler les pèlerins. 

C’est vrai qu’ils tiennent à rester en garnison à Lourdes, les gendarmes, et que si la ville se vide sous l’effet de la panique, ils risquent d’être déplacés. Alors, pas de vagues, profil bas. Déjà qu’un adjudant anticlérical à Lourdes ça fait mauvais genre… Les démineurs ont donc renoncé à leur cinéma habituel parce que ça n’a pas l’air méchant ce gros truc. 

Pas de panique, juste là par « principe de précaution » a dit le Préfet (qui tient aussi à rester ici, c’est vrai qu’il est du coin et qu’il approche de la retraite… Une histoire de bombe à Lourdes !!! Invraisemblable. Y’a pas plus cathos que les basques de l’ETA ou les Naris du coin, et c’est plutôt du plastic qu’ils emploient, pas des obus ou des fusées. D’ailleurs, les Naris n’ont jamais fait dans l’attentat : y zosent pas). Et le Préfet a dit aussi : pas trop de journalistes… Mais on ne peut pas refouler le patron soi-même de la Lanterne avec sa secrétaire (sacrée poupée, quand on aime les frisures), parce que la Lanterne, c’est connu pour donner les meilleures commissions sur les bonnes infos locales et que là, le gendarme qui a passé la dépêche il va pas regretter le coup de fil. 

Alors, qu’est-ce que c’est ? 

Sont tous penchés sur le truc, les deux démineurs, trois gendarmes (dont le ceusse de la dépêche, l’adjudant soi-même, mais pas le fragile de l’intestin), Arthur et Béatrace. 

Et…

 

Tout pâles. 

Tout pâles, les démineurs se redressent, se regardent, reculent… 

Arthur, redressé, lui aussi, déclare froidement :

- C’est une ogive d’un missile russe SS-N20 « Sturgeon ». Chargée et armée mais pas activée, ou bien nous ne serions plus là. Et la ville non plus. Vous pouvez vérifier. 

Les experts démineurs opinent du chef, à s’en presque dévisser le képi… 

Tous se sont reculés. 

- Alors c’est vrai, souffle Béatrace. 

Arthur prend une série de photos rapides. 

L’adjudant fait mine de s’interposer (service d’abord, non ?) :

- Comment savez-vous cela ?

- Vous me connaissez. Je suis Arthur Malfort, directeur de la Lanterne, que vous lisez tous les matins. (L’adjudant le regarde comme si scrogneugneu, c’était la Sainte  Vierge qui parle, que pour un peu il se mettrait à Croire). D’ailleurs, c’est vous qui m’avez appelé. Le Président de la République est au courant (l’adjudant s’est mis au garde-à-vous). Nous devons repartir. Vous pourrez me joindre au journal. Il y a urgence. Restez discrets messieurs. Pas de télévision ! Il ne faut pas affoler la population (et ça nous fera l’exclu, se pense-t-il à part soi). Et emmenez cet engin. Tel qu’il est, il est inoffensif. Sauf pour les radiations, mais ça, je ne sais pas.

- Nous avons des protections, disent les démineurs. On l’enlève et on appelle les spécialistes NBC.

- Mettez-le à l’abri des ondes radio, on ne sait jamais, des fois qu’ils télécommanderaient l’explosion... Venez Béatrace, l’hélico nous attend. 

Et il entraîne Béatrace fondante de trouille et d’admiration.



LES ÉCOLOCROQUES MENACENT LE MONDE / P1C2E5 - feuilletonton

L'Osmonde vient de renaître... sous un autre angle, zédation de 23 images recombinée avec sa carte de profondeur et traitements divers pour un NBO modifié mais les ancolies, les silènes, sont aussi présents : zédation de35 image. CdP et RVB en S N°24 / LES ÉCOLOCROQUES MENACENT LE MONDE / P1C2E5 C'est l'histoire où les Écolocroques menacent le monde entier.

http://feuilletonton.canalblog.com


La suite, c'est ici



[1] « La Pierre Noire est un merveilleux remède contre l’empoisonnement du sang causé par la morsure des serpents, des centipèdes, des araignées, des abeilles, des guêpes et de tous les insectes venimeux. Cette pierre est un remède pour ainsi dire immédiat.

La pierre noire est encore souveraine contre tous les empoisonnements du sang provoqués par n’importe quelle cause : blessures, écorchures, contre les clous, abcès, doigt blanc, phlegmon, tétanos, morsures de chiens enragés, flèches empoisonnées…

Pères blancs : 5 rue Roger-Verlomme 75003 Paris. »

In « Guide du Sahara, Les Guides Bleus, Hachette 1980.

 

[2] Rousse, elle, Raymond, teintée comme une dame,

Va-t-elle t’ignorer sous prétexte de feu ?

Seth, ainsi, ta couleur en coup de pied des mâmes

Sévit sous sa houppette en ricanant du jeu…

 

Afin que tu perdures, poursuis dans les Nouvelles

Et des dires antiques, fais claquer les bretelles…

(Mais elle est bien jolie, jugeait-il plein de sens)

[3] Parce qu’elle a lu le début de cette histoire moscovite…

13 mai 2016

BÉATRACE EN URGENCE ROUGE / P1C2E1

CHAPITRE 2

 

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

La table des matières, c’est ici

                     

DSC_0008+RVB en S+NBO+LC

  Rien à voir. Sakura[1] des Merisiers sauvages. Sous un nuage. DX[2]. NBO[3] en S[4] 

DSC_0002+RVB en Srec+NB semi solarisation

Sakura des Merisiers DX. NB panchro. Retravaillé en semi-solarisation. 

DSC_0007+RVB en S+RVBNBO manuel+lc

 Sakura des Merisiers

 

 

EN GUISE D’INTRODUCTION

 

 

N°20 / BÉATRACE EN URGENCE ROUGE / P1C2E1

 

Vendredi 15 avril

6 heures 30.

Saint Tignous sur Nivette

 

Béatrace râle un peu de devoir venir aussi tôt, mais faut faire front ! Hier, elle a réussi à boucler, toute seule comme une grande, et faut le dire, c’est grâce aux dépêches que lui ont préparé les collègues (elle ne dit plus les concurrents) de la Lanterne. 

Mais le Maire lui est tombé sur le dos avec ses comptes-rendus de réunions et elle a fini par l’envoyer paître en lui expliquant (sans préciser bien sûr), qu’elle avait une « URGENCE ROUGE » et qu’elle était toute seule. 

Il l’a mal pris, parce que, après tout, c’est lui qui paie, et que… 

Elle a raccroché, ce qui lui a épargné un quart d’heure de jérémiades, de lamentations et de menaces. 

Elle est encore un peu embrouillée par la nuit : elle a tout raconté à son amant secret que ces aventures ont mis en verve. La disparition de tous les collègues, parce qu’on n’a plus de nouvelles de Rébéquée ni de Jules depuis leur dernier appel, le rapprochement avec la Lanterne (Arthur… Tu te rends compte, le patron concurrent, c’est devenu Arthur !) qui les aide et qui va passer dans la journée prendre des nouvelles, et puis, elle, Béatrace, toute seule à la barre !!! 

- Peut-être que tu seras augmentée, espère l’amant secret qui pointe au chômage depuis six mois, peut-être que tu deviendras la patronne. 

Et puis ça le met en verve l’amant secret, au point qu’il lui fourrage la fourrure, son chinchilla comme il le dit quand justement il est en verve, qu’à propos, à Béatrace ça lui rappelle son amie Helen, de Londres, au point que ça lui donne le fou rire à Béatrace, ce que l’amant secret prend pour un encouragement alors que ce n’est qu’un souvenir du jour où Helen, en visite, était entrée à l’improviste dans sa salle de bains pendant qu’elle faisait ses ablutions, on n’est pas à ça près entre vieilles copines, et que, surprise par la luxuriance de ce que son amant secret de l’époque, un autre, appelait son tablier de sapeur, elle s’était écriée dans son patois « but how does he find ? » et que Béatrace l’avait rassurée : he finds, he finds !!!, que du coup, l’actuel en profite pour se placer et que justement oups, he finds, et qu’avec son poids sur l’estomac, elle ne peut même plus lui expliquer, et qu’elle se contente de rigoler pour elle toute seule tandis que lui, que ça le rend toujours bavard, continue sur sa lancée sans perdre sa cadence en lui disant que quand elle sera passée chef elle pourra changer la 2 CV, mais elle, elle pense qu’elle n’en a aucune envie vu que c’est une voiture de collection et que lui, tout en continuant sa petite affaire que si ça continue à ce rythme il va lui faire friser le chinchilla, que ce serait dommage, il dit que même, si elle est chef, elle pourrait trouver moyen de le faire embaucher à la commune, parce que c‘est toujours un bon boulot pas trop dur, et ça m’étonnerait pense Béatrace, après que j’aie coupé la chique au Maire, mais, bon,  et que l’idée de sauter une future chef ça lui donne des ailes, et ça y est il pique son galop final et vu ce qu’il me met, faut me laver tout de suite, que sinon ça va faire du carton si ça sèche dans ma fourrure, mais sûr que si on n’a pas très vite des nouvelles des autres, c’est parti pour amener du changement. 

LE MIRACLE DE LOURDES / P1C2E2 - feuilletonton

Saint Savin panoramique de 5 clichés de nuit... Saint Savin Bénitier recadré Le vieil orgue (image " redressée)et ses claque-gueules. C'est l'histoire où, devant la grotte sainte, nous rencontrons Isidore Scope, Père Blanc de son état, et où il fait une curieuse trouvaille. Lourdes, c'est un petit bled situé près de Saint Savin.

http://feuilletonton.canalblog.com


La suite, c’est ici

 


[1] Sakura… Pour les Japonais, la floraison des cerisiers. Relire Kyoto, de Yasunari Kawabata.

[2] Boîtier DX, capteur 18 x 24 mm

[3] Traité en Noir et Blanc « orthochromatique » (pas de couche R, à l’opposé du panchromatique).

[4] Courbes sensitométriques en S, du type de celles que l’on obtient en argentique.

25 avril 2016

LA COLÈRE DE RÉBÉQUÉE / P1C1E19

Le début de l’histoire c’est ici

 

LE SERMENT DES MOUSTACHES / P1C1E17 - feuilletonton

Rien à voir. Zédation[1] composée de 29 images+ carte de profondeur RVB en S... Une autre fleur de printemps (anémone sylvie) Z42 N°17 / LE SERMENT DES MOUSTACHES / P1C1E17 C'est l'histoire où Victor et Clémentine assistent à une inquiétante livraison et se découvrent un mystérieux allié. Ils prononcent le Serment des Moustaches.

http://feuilletonton.canalblog.com


L’épisode précédent, c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

La table des matières, c’est ici  

DSC_0008+RVB en S+NBO+LC

  Rien à voir. Sakura[1] des Merisiers sauvages. Sous un nuage. DX[2]. NBO[3] en S[4] 

 

DSC_0002+RVB en Srec+NB semi solarisation

Sakura des Merisiers DX. NB panchro. Retravaillé en semi-solarisation. 

DSC_0007+RVB en S+RVBNBO manuel+lc

Sakura des Merisiers

 

N°19 / LA COLÈRE DE RÉBÉQUÉE / P1C1E19 

C’est l’histoire où Rébéquée défie la Vieille et massacre le concierge

 

Vendredi 15 avril

14 heures

Agotchilho

 

La lueur vacillante d’une lampe à huile. Un vague parfum d’algues douces… 

Rébéquée s’éveille, étourdie, endolorie. 

Le temps… le temps ? 

Combien de temps est-elle restée ainsi ? 

Elle se trouve dans une pièce obscure et tiède, allongée sur une couche couverte de toile douce, soyeuse... 

Un bruit d’eau courante… 

Près d’elle, une forme endormie, près de son visage. 

Hélène.

 

Elle lui voit un léger sourire aux lèvres : elle dort. Souffle régulier entre ses lèvres disjointes. Lèvres lisses, gonflées, boudeuses à peine. 

Close sur son sommeil. 

Couchée de côté, tournée vers elle, près d’elle, dans une tunique de la même toile que celle qui couvre leur couche, douce, soyeuse. Le visage posé sur son avant-bras, la tête au creux du coude. La peau tendue du dos de sa main, mate, fraîche, la finesse des doigts abandonnés, à peine disjoints, aux ongles nacrés, lisses, luisants d’un éclat neuf et propre dans leur ovale net. 

Fascinée, Rébéquée contemple, s’applique à contempler avec une concentration myope la main qui repose là, sous son nez, dans un abandon complet, dans la pénombre chaude qui les entoure. Les articulations des doigts élargissent à peine les fuseaux délicats et immobiles, légèrement repliés en appui sur la toile qui se creuse sous leur pulpe. Et la ligne de chacun des doigts se prolonge sous la peau tendue du dos de la main, jusqu’au poignet, jusqu’à la marque rouge qui barre le poignet d’une ligne en creux. 

La ligne du lien… 

Rébéquée se soulève sur un coude. 

Se souvient-elle ? 

Vrai souvenir, ou comme on se remémore un cauchemar pesant ? 

Cette ligne qu’elle retrouve dans un geste à ses propres poignets… 

Se souvient-elle ? 

La disparition de Vic et de Clèm… Jules !!!

 

Du coup elle se relève, pour retomber sous l’emprise de la douleur qui lui brûle le ventre. 

Violée !!! 

Elle, Rébéquée, droguée et violée encore et encore au milieu des cris d’Hélène, des cris des autres femmes et de ses cris à elle, dans une rumeur montante de foire, dans les gloussements pressés des Chochos accrochés à ses hanches et qui à tour de rôle la besognent encore, et encore, et encore… 

Jusqu’au trou noir de l’inconscience… 

Elle se relève douloureusement… 

Dans un coin de la pièce, une vasque large, une grande baignoire de pierre pleine d’eau doucement fumante qui déborde en un petit ruisseau bruissant… Le ruisseau s’écoule et disparaît dans un trou du sol. 

Une silhouette est assise sur la margelle : la Vieille !!

 

Traversée d’une bouffée de rage, Rébéquée se précipite vers elle, mais arrêtée par la douleur qui la taraude autant que par la faiblesse de ses jambes, elle retombe assise. 

Alors la Vieille se lève, s’accroupit devant elle, face à elle, pose les mains sur ses genoux sans qu’elle puisse faire un geste. 

La Vieille la touche aux genoux et la regarde dans les yeux, de son regard voilé de cataracte, de son regard pâle et lointain de vieille, de très vieille femme. 

- Je vous tuerai… souffle Rébéquée. Je vous tuerai tous !!! 

La Vieille hoche la tête, sans lâcher les genoux de Rébéquée, avec un regard si lointain, si vieux, que Rébéquée n’a pas la force de lever la main pour l’écraser, la détruire, la broyer, l’effacer de devant elle et de ses souvenirs. 

Avec ses souvenirs. 

L’effacer de devant l’image de Jules qui rit du fond du puits noir où rode un crabe géant :

« Me voici devant tous un homme plein de sens

Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître… » 

L’effacer comme d’une main fiévreuse elle efface les larmes qui lui brûlent les yeux tandis que des sanglots énormes la soulèvent, la déchirent, la renversent de côté, pliée, roulée sur elle-même comme un sac de crin rugueux, un soleil noir d’Apocalypse, sous le regard inerte de la Vieille. 

De la Vieille qui parle d’une voix douce et monocorde, voilée par l’âge, et qu’elle entend, perçoit, comprend malgré elle, au travers de ses sanglots :

- Mon peuple m’appelle Ônyà (elle mouille les syllabes et chuinte sur la finale), et moi, Ônyà, la Mère dans votre langue, je te nomme Ouôtâne, la Guerrière. Tu es Ouôtâne et je rends hommage à ta force, à ton courage et à ta vertu. 

 Elle marque un temps, et reprend :

- C’est moi, Ônyà, qui prépare et prescris les poudres, et Ôoumloc répond à mon appel et nous nourrit de ses petits. En échange, l’un de nous le nourrit de sa substance lorsque le temps en est venu. 

Nouveau silence, puis :

- Ouôtâne, je veux que tu comprennes mon peuple. Tu es forte et je te respecte. Mon peuple est vieux, très, très vieux, et tu es jeune. Les jeunes doivent s’efforcer de comprendre les vieux avant de les juger. C’est pourquoi j’ai fait en sorte que tu te souviennes de ce que tu as vu et de ce que tu as vécu. Pour que tu comprennes mon vieux, vieux peuple, et que, si tu parles aux tiens, tu en parles justement. Peut-être seras-tu son espoir, notre espoir… 

- Je vous tuerai tous… 

- Tu es dans la colère et dans la peine, mais peut-être seras-tu notre espoir. Regarde ton amie : elle dort et dormira encore longtemps, et elle ignorera toujours ce qui s’est passé, ce dont toi, tu te souviens. Elle n’a pas ta force et ne le supporterait pas. C’est pourquoi elle dort… 

- Je vous tuerai tous… 

- Ecoute notre histoire, Ouôtâne : les Goums, voici très, très longtemps, vivaient en paix, dispersés sur un vaste territoire. Ils vivaient en clans et suivaient les migrations de leur gibier, vivaient avec lui et le célébraient. Le gibier vivait au Nord et descendait ou remontait les plaines suivant les saisons, et les Goums les suivaient. Les clans étaient chacun dévolus à leur animal et ils savaient payer tribut à cet animal qui les nourrissait en lui offrant l’un des leurs. Ou plutôt, l’un des leurs s’offrait à lui lorsqu’il le fallait. Car ce n’était pas par contrainte. Les hommes étaient forts et respectaient les Mères qu’ils fertilisaient lorsqu’elles étaient bien disposées pour les accueillir. Et d’un clan à l’autre, les hommes et les femmes s’échangeaient dans la joie et dans le plaisir… 

- C’était l’bon temps, grince Rébéquée entre ses larmes. 

- C’était la prospérité, et les générations se succédaient chez les Goums, chez les Humains, diriez-vous. Et puis le temps s’est refroidi et le gibier est descendu de plus en plus bas. Sont apparus alors les Humains d’à côté, les Goumyôs dans notre langage. Vous. 

Les sanglots de Rébéquée se sont calmés, elle reste prostrée, allongée de côté, les mains de la Vieille toujours posées sur ses genoux. 

- Vous, les Humains d’à côté, les Goumyôs, vous viviez en familles, un homme pouvait posséder plusieurs femmes et vos femmes étaient toujours réceptives et fécondes. À l’inverse de chez nous où une femme n’est réceptive et féconde que deux fois dans l’année. Depuis toujours. Vous chassiez le gibier en petits groupes plus mobiles, plus rapides que nous, et nous sommes remontés dans le froid pour retrouver des proies qui nous convenaient mieux. Plusieurs fois, nous avons combattu, mais nous préférions vous éviter. Nous avons cohabité aussi. Vos hommes ont rarement pu féconder nos femmes, nos hommes ont parfois fécondé vos femmes, mais jamais les enfants issus de ces unions n’ont été fertiles. C’était ce que nous appelons des Boules. Vous en avez vu. Ils sont stupides, sans la vivacité de votre espèce, sans la force, la cohésion et la mémoire de la nôtre. Petit à petit, notre espèce a régressé, repoussée par la vôtre jusqu’à ne survivre qu’en petites communautés secrètes et repliées sur elles-mêmes. Souvent vous vous battiez entre vous, ce que nous n’avons jamais fait entre nous. Nos clans ont toujours pratiqué un parfait échange de leurs biens et de leurs individus. Et chaque membre de chaque clan a toujours respecté sans discussion les décisions de sa Mère. S’il s’avérait que l’un d’eux transgresse cette loi, il était immédiatement rejeté, et seul, il mourait. 

Elle semble réfléchir un temps avant de reprendre : 

- Nous sommes donc restés à l’écart... 

Nouveau silence, puis : 

- Des liens secrets ont persisté, entre les clans éloignés et ces échanges ont perduré au cours des siècles. Notre mémoire a tout retenu, depuis les descentes des glaces jusqu’à vos guerres, nous avons vu, sans nous y mêler autrement que pour rester inaperçus lorsque nous étions pris dans votre foule, nous avons vu votre vie changer, évoluer, de la chasse à la culture, de la pierre au fer, du feu à l’enfer parfois. Nos clans se sont faits de plus en plus discrets, spécialisés dans les fonctions que vous nous laissiez, car vous étiez partout, des fonctions le plus souvent liées à la pierre ou au bois, et le seul animal auquel nous restons attachés, Ôoumloc, est lui aussi secret et inconnu de vous : il ne quitte ses abîmes que pour célébrer ses amours dans les grottes de nos falaises et de quelques autres lieux.

Et nous avons perdu le contact avec les clans les plus lointains. Nous pensons qu’ils ont disparu… 

Elle baisse sa tête décharnée, la redresse : 

- Il y a quelques années, « Ceux qui sont derrière la porte de fer », les Pouyagoumyôs, sont venus pour construire leurs bases sous-marines. Ils nous appellent les Chochos. Ils nous ont respectés, ont reconnu que nous étions une espèce différente et ils nous ont promis de nous restituer notre dignité. Ils ont restauré les terres du Nord que nous occupions jadis, en échange de notre aide. Ils ont facilité la communication entre les quelques groupes des nôtres fidèles à Ôoumloc qui ont survécu et ils nous ont offert de nouveaux espaces, loin dans le Sud… 

Elle semble reprendre quelque vigueur : 

- Grâce à eux, nous avons pu reprendre nos essais de fécondation, avec les femmes de votre espèce qu’ils nous ont procurées. Parce que nos femmes sont de moins en moins fécondes et de moins en moins réceptives. Il faut maintenant leur imposer la poudre d’Amour et le rituel d’Ôoumloc pour qu’elles soient fécondables. Et nos hommes le plus souvent et à quelques exceptions près, s’épuisent si vite que très peu parviennent à jouer leur rôle. C’est pourquoi nous avons besoin de vous, les femmes des Goumyôs pour tenter de survivre. C’est pourquoi tu ne dois pas te sentir offensée de ce que nous avons dû t’imposer… 

- Je vous tuerai tous…Tous ! 

- Tu peux nous sauver. Je ne pense pas que tu mettes au monde autre chose qu’un Boule si tu as été fécondée, mais je crois que tu peux nous faire connaître pour ce que nous sommes : un peuple très ancien, étranger à votre espèce, et qui veut survivre. Et tu peux combattre pour que nous soyons connus et reconnus : les Pouyagoumyôs bien qu’ils l’aient promis, ne nous feront jamais connaître, ils l’auraient déjà fait. Notre secret les arrange. Notre savoir-faire leur est utile : nous travaillons la roche pour eux, nous savons reconnaître la roche qu’il faut creuser et celle qu’il faut laisser, même si ce sont leurs esclaves ou les Boules qui creusent le plus souvent. Mais ils ne nous feront pas connaître des autres Goumyôs. Nous avons piqué leur curiosité au début, maintenant nous les distrayons, leurs hommes viennent parfois saillir nos femmes, mais pour le seul plaisir qu’ils peuvent en tirer. Rarement avec succès et toujours pour finir dans ces Boules stériles et stupides tout juste bons à manier le pic et la pelle dans les galeries. 

Son œil s’éteint : 

- Et je ne crois pas qu’ils puissent faire redescendre les glaces comme ils me l’ont promis une fois. Comme ils s’en sont vantés.

Ils nous ont déçus. 

Elle se relève et s’écarte légèrement, droite, fière : 

- Repose-toi Ouôtâne, reprends des forces, baigne ton corps dans l’eau chaude et salutaire qui coule pour nous dans la falaise, baigne ton amie pour la soigner, elle restera quelques jours entre conscience et sommeil, dans un rêve tiédi que je t’ai épargné par respect pour ta force et pour ta mémoire. Mangez sans crainte la nourriture : Ôoumloc vous réconfortera. 

Rébéquée sursaute légèrement lorsqu’elle relâche ses genoux. 

La Vieille attend vainement une réponse, et enchaîne : 

- Je remercie et je célèbre le souvenir de ton ami qui a renouvelé de sa vie le Pacte du Clan.

Reprends ta force.

Je reviendrai te voir avec la Future Mère, celle qui doit me succéder lorsque moi-même, très bientôt, je me livrerai à Ôoumloc.

Je t’ai parlé.

 

Rébéquée détourne la tête. 

Puis elle se replie en position fœtale et laisse couler ses larmes. 

C’est le contact de la main qui l’a réveillée... 

Une main brutalement, grossièrement peloteuse… 

Et un gloussement lorsqu’elle s’est redressée en sursaut pour se retrouver face au concierge chocho penché sur elle et qu’elle repousse. Il recule un peu, assez pour qu’elle le voie, nu, bandant comme un âne et les yeux brillants : 

- Mets-toi, je veux encore !!! Tu es bonne !!! Mets-toi !! 

Et il se cambre balançant un membre copieux, fier de lui, les mains sur les hanches.

- Je veux !! Ton con, encore !!! 

Ebahie, étourdie, Rébéquée s’assied au bord du lit face à l’obscénité du concierge qui bave : 

- Mets-toi !!! Je veux ton con… 

Sans un mot, elle se lève, regardant le Chocho reculer d’un pas pour lui laisser le champ de ce qu’il croit être un acquiescement, et elle lui envoie un magistral coup de pied entre les cuisses alors qu’il brandissait à deux mains un membre surdimensionné avec la fierté d’un coureur du Tour de France qui vient de gagner son étape régionale. Le coup l’atteint juste où il faut, le débande subito et le suffoque instantanément, à croire que les couilles lui sont remontées dans les orbites tant il en a les yeux blancs. 

Il tombe à genoux, la bouche grande ouverte et roule de côté, puis sur le dos, les deux mains serrées sur ce qui reste de ses roupettes. 

Rébéquée se penche sur lui, le soulève en le prenant par les oreilles et place entre ses genoux le visage aveugle à la bouche béante de poisson suffoqué :

- Tu veux mon con, saloperie ? Et bien regarde-le, c’est la dernière chose que tu verras. 

Et le cou du concierge serré entre ses genoux, elle se laisse aller au sol, de côté, doucement, sans plier les jambes, croise les chevilles derrière la nuque du gnome, et elle serre, lui écrasant les carotides. Le regard qui semblait être revenu au Chocho affolé et bavant, se voile et il bascule dans l’inconscience. 

Rébéquée se relève à demi, le tourne face au sol, saisit sa tête, le front au creux de son bras, et se redresse brusquement en lui tordant la nuque. 

Un craquement, un spasme. 

Sans un regard pour le cadavre étalé les fesses à l’air, elle s’essuie les mains sur la couverture de la couche. 

L’effort l’a à peine essoufflée… 

Un gémissement attire son attention : Hélène geint dans un sommeil agité. 

Doucement, oubliant ses propres douleurs, elle s’en va la prendre dans ses bras et elle la porte jusqu’à la large vasque d’eau fumante dans laquelle elle monte. 

Elle la dépose à ses côtés et s’allonge auprès d’elle sans la lâcher, puis, en chantonnant doucement, elle la berce dans la chaleur de l’eau lénifiante, le visage trempé de sueur et de larmes. 

 

L’épisode suivant, ce sera ici



[1] Sakura… Pour les Japonais, la floraison des cerisiers. Relire Kyoto, de Kawabata.

[2] Boîtier DX, capteur 18 x 24 mm

[3] Traité en Noir et Blanc « orthochromatique » (pas de couche R, à l’opposé du panchromatique).

[4] Courbes sensitométriques en S, du type de celles que l’on obtient en argentique.

19 avril 2016

LE SERMENT DES MOUSTACHES / P1C1E17

Le début de l’histoire c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

La table des matières, c’est ici 

                       

4ZB29+RVB en S

 Rien à voir. Zédation[1] composée de 29 images+ carte de profondeur RVB en S… 

6ZC42calibréeM

 Une autre fleur de printemps (anémone sylvie) Z42

 

N°17 / LE SERMENT DES MOUSTACHES / P1C1E17 

C’est l’histoire où Victor et Clémentine assistent à une inquiétante livraison et se découvrent un mystérieux allié. Ils prononcent le Serment des Moustaches. 

Jeudi 14 avril

23 heures

Hai II

 

Cette nuit-là, ils ont découvert la longue et large coque noire étalée au ras des flots noirs animés des reflets froids de la lune.

Et puis les étoiles, toutes les étoiles…

On les a fait sortir sur la coque même, curieusement habillée de plaques caoutchoutées. Ils sont sortis par une écoutille, au pied de l’immense kiosque arrondi du sommet, noir et menaçant, en haut duquel des silhouettes se découpent sur la clarté d’un ciel de pleine lune. Plus tard, ils l’ont entendu appeler la « cathédrale » par l’équipage.

On les a placés le dos au kiosque, le navire orienté de manière à ce qu’ils soient bien éclairés, et une photo a été prise par un marin, de près, de plus loin, de plus loin encore pour que la « cathédrale » soit bien identifiable derrière eux.

Ici l’air est frais et salé, ici, ils respirent…

D’ailleurs une trentaine d’hommes sont sortis et ils les ont entendus plaisanter, sans bien comprendre le sens de ce qui semblait tellement les amuser.

- Vous savez que vous constituez un événement pour l’équipage ? La vie à bord est austère, même si nous leur accordons certaines détentes, comme aux officiers qui sont de sortie cette nuit sur le pont (le Numéro Un s’est matérialisé derrière eux sans qu’ils l’entendent approcher). Mais nous évitons autant que possible la surface. Bien sûr, les satellites d’observation nous prendraient pour un sous-marin russe. Bien sûr nous ne serions que l’un des deux cents ou deux cent cinquante sous-marins à naviguer incognito, mais il ne faut pas tenter le diable. Enfin, bientôt, nous n’aurons plus d’inquiétudes ! Grâce à vous mes amis, et aux informations que vous allez contribuer à diffuser. Nous allons émettre photos et message. Votre article manuscrit est prêt à être transmis et demain, si vos journaux sont à la hauteur, ce dont je ne doute pas un instant, le monde entier connaîtra les Écolocroques !

Ils ont longuement chuchoté après s’être couchés dans le noir.

Et que pourrions-nous faire ?

Rien dans l’immédiat.

Il faut attendre…

Ils ont très mal dormi.

 

La plongée a duré toute la journée du lendemain, qu’ils ont passée entre bibliothèque et couchette, sans oser parler vraiment, de peur d’être écoutés.

Après des heures indécises de sommeil trouble, un petit déjeuner leur a été servi dans leur cabine.

Et puis ils sont allés lire dans la bibliothèque, où le Numéro Un en personne est venu les chercher pour les conduire sur le pont.

Le soleil est au zénith. Une brise légère souffle sans à coups, presque tiède, parfumée.

À droite et à gauche de la longue coque noire et renflée, deux bateaux de pêche assez semblables à celui qu’ils avaient vu dans le port de la Marée au Petit Port et qui pêchait des crabes. Mais qu’est-ce qu’on peut bien pêcher par ici ?

Un ordre a retenti et trois panneaux se sont ouverts devant eux dans la coque.

- Une petite livraison pour nos amis de Gibraltar. Lieu hautement stratégique ! Bien sûr, nous y avons une base. Une base capitale si j’ose dire. Mais pardonnez-moi, quelques ordres à donner.

Le Numéro Un s’éloigne pour commander une manœuvre qui semble délicate : du premier panneau s’est élevé un bras de charge télescopique équipé d’une sellette où est assis un matelot. Il amène le crochet au-dessus du second panneau, l’y descend…

Quelques instants plus tard, le câble se tend et remonte lentement. Au bout du crochet massif, soigneusement élingué, un lourd cylindre d’acier de plus de deux mètres de diamètre monte lentement.

Sur le cylindre, cinq Chochos sont assis et surveillent le comportement des anneaux où sont fixées les élingues. Ils font signe  au grutier qu’il peut continuer à monter sa charge. Trois mètres de haut, le cylindre. Lourd. Il oscille lentement dans le vide, puis le mât de charge pivote. La charge se balance au-dessus de la mer, le bateau de pêche, ils le voient maintenant, est amarré au flanc du sous-marin. Le cylindre le surplombe, descend lentement, disparaît dans la cale ouverte. Le sommet en est encore visible, au ras du pont. Les Chochos s’affairent, libèrent le croc qui s’élève de nouveau. Ils restent un temps assis sur le cylindre, semblant se congratuler. Puis ils rejoignent le pont du bateau de pêche par une planche qui leur est envoyée, et ils bâchent le chargement dont on ne distingue plus qu’une silhouette affleurante.

Et l’opération reprend sur l’autre bord pour un deuxième cylindre.

Le Numéro Un revient, satisfait, souriant :

- Eh bien voilà ! Dans six heures le matériel sera livré ! Demain soir, il sera en place. Tant de puissance en si peu de volume. Vous vous rendez compte ? Deux fois vingt mégatonnes dans deux petits bateaux !!! Quelle merveille !

 

Victor enlace silencieusement les épaules de Clèm qu’il sent trembler contre lui.

- Mais vous frissonnez ma chère… La fraîcheur de l’air sans doute. Rentrons… vous pourrez disposer de la journée pour vous reposer et lire si vous le souhaitez. Ah, dans votre cabine, pas de caméras, votre intimité sera respectée. Des plateaux repas vous seront servis. Vous êtes nos hôtes, pas nos prisonniers. Presque nos collaborateurs. Bientôt, j’espère, nos collaborateurs. Vous pouvez dormir en paix. Vladimir que voici (un marin athlétique se détache de l’ombre de la « cathédrale » derrière le Numéro Un et salue d’une courte inclinaison du buste), Vladimir est désormais à votre service. Il vous est détaché comme ordonnance. C’est un marin modèle. Demandez-lui ce que vous voulez, il vous satisfera, dans la mesure du possible bien entendu.

Ils ont redescendu l’échelle verticale par laquelle ils avaient accédé au pont. Ils n’ont entendu que le bruit sourd des panneaux qui se referment, puis des bruits qu’ils parviennent maintenant à reconnaître : le Hai II plonge… Mais il ne semble pas se déplacer. Et pourtant… Trente nœuds, a dit le Numéro Un. Et des pointes à trente cinq !  Soixante cinq kilomètres heure sous l’eau… 42000 tonnes, et il peut plonger à plus de 500 mètres…

 

Vladimir, impassible, les reconduit à leur cabine, leur ouvre la porte et s’efface pour les laisser passer, puis, à leur grande surprise, il se glisse derrière eux en tirant la porte sur lui, un doigt sur les lèvres :

- Chuttt, je suis un ami. C’est vrai qu’il n’y a ici ni micros ni caméras. Cette pièce sert de garçonnière au Numéro Trois lorsqu’il veut… s’isoler avec l’un de ses amants ou l’une de ses maîtresses, consentants ou non. Et moi, avant leur désertion, j’étais chargé de la surveillance du commandant et de l’équipage pour les Services Secrets soviétiques. Commissaire Politique… KGB… Je suis coincé ici autant que vous et je dois feindre d’obéir et d’approuver comme les autres. Je vous reverrai plus tard, il serait suspect que je m’attarde…

Vladimir ressort silencieusement.

- Je me méfie, c’est peut-être une provocation, souffle Victor à l’oreille de Clèm.
Ils se sont assis sur le lit, épuisés.

- Tant pis, je n’en peux plus. Je fais comme si, lui répond Clèm en posant la tête sur son épaule.

Et si c’était vrai pour Vladimir ?

Ils ne l’ont pas revu de la journée.

 

Le lendemain (mais à quelle heure exactement ?) ils se sont levés et ont voulu sortir, pour s’apercevoir que leur porte avait été verrouillée pendant la nuit.

Un peu plus tard, un bruit de clé dans la serrure leur a signifié leur libération.

La porte s’est entrouverte :

- Je peux entrer ?

C’est Vladimir.

 

Victor a fini d’ouvrir la porte pour lui laisser le passage et Vladimir l’a regardé avec un certain étonnement :

- Vous avez quelque chose de… bizarre…

- De bizarre ?

- Oui, votre moustache…

Clèm le regarde à son tour…

Il faut dire qu’ils ne se sont guère préoccupés de leur mise ces derniers temps.

- Mais oui, elle… Va te voir dans la glace.

Toujours étonné (mais qu’est-ce qu’ils veulent à ma moustache ?), il va se regarder dans le miroir du cabinet de toilette… Bien sûr, Clèm aurait dû refaire sa teinture de la semaine et les racines blanchissent un peu ce qui lui fait une amorce de crocs bicolores.

À circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles : la paire de ciseaux qui traîne sur la tablette de lavabo claque deux fois, le rasoir électrique (neuf !) qui voisine ronfle quelques secondes, et c’est un Boulet ras du nez qui revient dans la chambre :

- Ça ira comme ça ?

Clèm le regarde ahurie, regarde Vladimir et tous les trois éclatent de rire.

Clèm l’embrasse  sur le nez :

- Promets-moi de la faire repousser, après…

Du coup, cela devient un enjeu, un défi, et Victor, fait signe à Vladimir de refermer la porte. Puis, l’air grave, les yeux plantés dans les siens, il lui serre silencieusement la main.

Tous les trois se regardent, émus de la décision prise et en un geste solennel, Victor tend la main devant lui :

- Jurons : Nous délivrerons le monde des Écolocroques !

- Nous le jurons, reprennent-ils en chœur, avec le même geste digne des Horaces.

- Ce moment restera dans l’Histoire comme celui du Serment des Moustaches !

Et il poursuit, avec la gravité de Celui qui Assume l’Histoire et le Destin :

- Je ne sais pas ce que nous ferons mais ce sera l’épouvante de leur monde !

- Et tu retrouveras tes moustaches, mon Boulet !

- Mais pour l’instant, ils vous attendent dans la bibliothèque, il faut y aller. Il faudra me pardonner mon comportement en leur présence, ils ne doivent pas se douter de notre collusion. Et n’oubliez pas qu’hormis cette pièce pour le moment, tous les recoins du sous-marin peuvent être surveillés. Et qu’au moindre doute de leur part, cette pièce aussi se retrouvera piégée. Et alors…

 œœœ

 

N°18 / LE RITUEL D’ÔOUMLOC  / P1C1E18

C’est l’histoire où se jouent tragiquement les destins de Jules, de Rébéquée et d’Hélène, lorsque survient le Crabe Géant.

 

Jeudi 14 avril

23 heures

Agotchilho

 

La porte s’est ouverte.

- Tiens, se dit Jules. Tiens donc… De la visite…

Toujours ce bruit de fond sur lequel, dans lequel, vient battre le tambour.

Il se retourne lentement, lentement parce qu’il est devenu lent, que ses gestes, à l’instar de ses pensées, sont ralentis et… désincarnés, oui, c’est cela, désincarnés et en même temps clairement perçus, comme de l’extérieur, Jules se voit, se « contemple » du dehors, mais il est dedans, bien sûr, dedans sa tête.

C’est cela, la cuite lucide.

Il se sait tourner la tête au moment même où il la tourne et il se sait voir la porte qui s’ouvre, et ce décalage instantané le fait rigoler, Jules, rigoler, mais alors !

À un point tel que le Chocho qui a ouvert la porte en reste comme deux ronds de flan ou deux rondelles de patate, parce qu’il est trop pâle pour des rondelles de saucisson et même d’andouille comme le pense Jules que cette idée fait hurler de rire, plié en deux sur sa chaise et les yeux brouillés des larmes du rire, parce que sa cuite vire petit à petit de la cuite lucide à la cuite hilare, et que le Chocho ne sait plus quoi faire tandis qu’Hélène se réveille du coup et que Rébéquée lui caresse la nuque pour la rassurer quand elle la sent se raidir parce qu’elle a vu le Chocho, mais alors elle regarde Rébéquée et elle sourit avant de replonger son museau dans son cou, toute alanguie, dans le battement sourd du tambour.

Le Chocho stupide est écarté d’un geste par la vieille femme, la Vieille, qui semble disposer de l’autorité, comme une vieille prêtresse, nue toujours, et cependant ni ridicule ni obscène, ni rien d’autre qu’effrayante, mais que Jules, décidément en joie, interpelle avant même qu’elle ait pu ouvrir la bouche :

- Tiens, v’là la plus belle ! Alors Mémé, tu nous emmènes au bal ? Sont tristes tu sais, tes gugusses, même pas capables de boire un coup avec les invités. T’entends, patate ? (il interpelle le garde qui s’est placé derrière la Vieille), t’entends, sac à bren ? (il parvient à se lever en titubant et se dirige vers la porte où s’encadre la Vieille) Juste bon à se cacher derrière Mémé ! Même pas foutu de boire un coup ! Juste de nous refiler ta soupe faisandée et droguée ! Que t’oserais pas ouvrir la porte si tu ne nous avais pas enchnoufés, couille molle !

 

Rébéquée regarde la scène avec le sourire, et puis, voyant Jules avancer vers les Chochos et prévoyant du grabuge, elle relève doucement Hélène et se lève aussi pour s’apercevoir de son impuissance, de ses muscles mous, de son vertige…

Elle en pâlit d’un coup, mais Jules continue sur sa lancée :

- Et toi la Vieille, t’as pas honte de montrer ta vieille peau comme ça, tu te crois bandante avec tes nichons en oreilles de cocker et ta touffe moisie ? Ridée comme un vieux chêne ! C’est pour le coup qu’où y’a du chêne y’a pas de plaisir ! Cache-toi, débris !

Il est près de la toucher.

Elle recule d’un pas, remplacée par deux énormes Chochos, comme ils n’en ont pas encore vus, presque sphériques de muscles, mais enrobés d’une sorte d’embonpoint diffus et à l’inverse des autres, velus et peut-être le front moins bas, au bourrelet moins marqué, quoique dotés d’un regard vide et stupide, sous la nudité desquels pendouille un sexe minuscule et qui, sans un mot, saisissent Jules par les bras, sans violence particulière, pour l’entraîner tout vitupérant.

Du coup, Rébéquée s’avance, et se retrouve face à la Vieille qui tend une main pour l’arrêter :

- Laissez, les Boules ne lui feront aucun mal. Vous allez nous suivre, toutes les deux. Il faut que vous nous suiviez, et je vous crois assez dignes pour ne pas me contraindre à vous forcer à le faire alors que vous n’êtes pas capable de résister. Nous vous savons guerrière et honorable et vous avez gagné mon respect et celui de mon peuple, mais nos lois et nos coutumes obligent. Ce n’est pas par crainte que vous avez été drogués, la poudre d’Amour que nous vous avons administrée l’a été dans les formes et toutes les Goums y ont été soumises au cours de leur vie. Ce n’est pas par crainte que nous l’avons fait, mais par respect de nos lois. Suivez-nous de votre plein gré, ne me forcez pas à vous faire emmener. Votre ami n’a pas votre sagesse, et vous le retrouverez là où nous allons. Emmenez votre amie…

Et elle tourne les talons.

Le battement obsessionnel du tambour soutient les pas hésitants de Rébéquée qui entraîne Hélène titubante par la taille.

Pieds nus (leurs chaussures leur ont été enlevées avec leurs vêtements), elles s’avancent sur le sol d’ardoise polie et s’enfoncent dans le couloir qu’elles ont suivi en venant.

En regardant par-dessus son épaule, Rébéquée croit reconnaître le Chocho concierge qui les suit en ricanant.

 

La rotonde où ils se sont arrêtés…

La porte étanche, le couloir plus sombre, plus étroit.

Hélène, toujours en demi-sommeil, se laisse entraîner, un vague sourire aux lèvres.

Rébéquée lutte pour garder, pour retrouver conscience, mais cette torpeur tenace reste lourdement présente et la fait trébucher sur les irrégularités du sol.

La rumeur sourde s’est accentuée, précisée. Un piétinement. Le piétinement d’une foule immobile aux pieds nus.

Elle la voit cette foule, lorsqu’ils débouchent dans la grande salle où ils ont assisté à cet incroyable accouchement, il y a… longtemps ?

Hier…

La foule d’hommes et de femmes mêlés, tous nus cette fois…

Rébéquée se souvient des tuniques qui hier couvraient les hommes. Pieds nus, ils marchent sur place, lourdement.

 

La foule qui les regarde. En marchant sur place. Balancée d’un pied sur l’autre, genoux écartés et mains sur les genoux, comme des sumotoris.

Gauche, droite, gauche, droite…

Et le battement lourd d’un tambour invisible.

Non, pas invisible : derrière les colonnes de flamme éblouissantes, près des trônes de pierre, un de ceux que la Vieille a qualifié de « Boule », énorme, lourd, fort, brandit une sorte de long et lourd pieu de bois et en frappe lourdement le sol en cadence, entre ses pieds écartés, genoux à demi fléchis. Il frappe une dalle qui résonne, boum boum, boum boum…

Temps fort, temps faible.

Iambe sourd et lent…

Longtemps, longtemps…

 

Les trônes de pierre sont toujours occupés par les mêmes femmes qui s’y trouvaient lorsque Jules et Rébéquée se sont faufilés dans la salle, celle du milieu tenant son bébé serré sur sa poitrine, les deux autres avec leur ventre rond.

Face au trône central, nu lui aussi, car on lui a retiré sa grossière tunique, Jules, debout, est maintenu bras écartés par ceux qui l’ont entraîné, comme crucifié dans le vide face à la Mère à l’enfant qui le fixe de son regard immense et comme minéral sous le bourrelet de ses sourcils.

Jules silencieux, effaré par ce spectacle où il ne comprend pas son rôle, assommé d’incompréhension et d’ivresse…

Jules maintenant secoué d’un rire que l’on entend par-dessus le battement obstiné dont la cadence se presse, se précise, temps fort, temps faible, avec le balancement de la foule qui s’accroît sur le temps fort, comme un appel qui se précipite…

Jules qui joue à balancer les hanches et son petit bedon, comme une bayadère de carnaval, ses petites fesses serrées tressautant à la mesure de son rire.

La Vieille s’est approchée, et sans qu’elles réagissent, a dénoué les lacets qui retiennent fermées sur les côtés les tuniques de Rébéquée et d’Hélène, puis les a fait passer par-dessus leur tête.

Nues, elle les a poussées en avant, sur le devant de la foule.

 

Incapables de résister, elles ont vu les hommes et les femmes, balancés par le rythme, tous nus, s’écarter devant elles.

Elles sont arrivées devant la banquette de pierre semi circulaire qui, comme une margelle, les sépare du grand bassin d’eau noire d’où le sol monte en pente douce vers les fauteuils de pierre.

Cet espace où Jules est maintenu dans sa position crucifiée par les deux Boules au regard vide, à contre-jour des colonnes de lumière.

Quatre autres femmes se sont placées près d’elles, deux à gauche, près d’Hélène, deux à droite, près de Rébéquée, et elles ont posé les mains sur la margelle avant de s’agenouiller, penchées en avant.

Derrière elles, la Vieille a pesé sur leurs épaules, et mollement, dans le brouillard d’inconscience qui les empoisse, Hélène et Rébéquée se sont agenouillées à leur tour, l’esprit vidé par le rythme obsédant.

La Vieille, en commençant par la femme la plus à gauche a entrepris de lier leurs poignets en passant des lacets de cuir dans des trous ménagés dans les pierres de la margelle où elles s’appuient. À toutes. À Rébéquée et à Hélène aussi.

Et puis elle s’est redressée.

Elle a levé une main, et d’un coup, tout s’est tu, le Boule a laissé son lourd bâton reposer sur la dalle, le piétinement a cessé et tout s’est figé.

Ne subsiste qu’un écho souterrain du battement qui s’attarde quelques minutes, comme par un effet de persistance auditive jusqu’à ce que la Vieille se recule et brandisse le rhombe qui ronfle de nouveau quand elle le fait tourner dans sa main sèche.

Rébéquée, quasiment abstraite d’elle-même, a vu un bouillonnement troubler de reflets lumineux l’eau noire du bassin, devant elle, sous ses yeux.

Hélène, près d’elle, le front posé sur ses deux mains liées, rit aux anges en balançant les hanches au rythme des pulsations du rhombe.

Le battement souterrain s’est tu.

 

Rébéquée a vu la forme sombre émerger.

L’énorme forme sombre où jouent des reflets mordorés.

Sans rien dire, sans rien faire, sans rien savoir peut-être de ce qu’elle voit, elle voit, elle voit paraître l’énorme, le gigantesque Crabe, d’un bleu nuit d’une profondeur presque palpable, et qui semble parcouru d’irisations qui se propageraient dans l’épaisseur même de sa matière, luisant d’eau noire dans la lumière vive des grandes torches blanches.

Elle voit la forme sortir lentement de l’eau et s’avancer sur le sol d’ardoise, avec les légers grincements de ses pattes dures, se dresser, dresser ses pinces énormes, dans l’exacte cadence des ronflements du rhombe.

Elle voit le Crabe, étourdie par ce ronflement, elle le voit se dresser derrière Jules, Jules, son copain Jules, elle le voit.

Elle le voit et ne dit rien.

Rien.

Elle entend le rire de Jules, le rire de son ivresse, que le battement des pieds ne couvre plus.

Elle entend quand il se tait, comme s’il s’éveillait.

Elle voit la pince ouverte s’élever dans son dos.

Elle entend Jules, son copain Jules, se mettre à déclamer, dans son ivresse devenue solennelle :

« Me voici devant tous un homme plein de sens

Connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître[2]… »

Elle voit, elle entend le claquement net de la pince, qui résonne comme un gong, comme si, creuse, elle sonnait, en se refermant, la fin d’un jeu dérisoire…

Elle voit.

Le jet écarlate du sang.

La tête qui tombe.

Le corps qui tombe, relâché d’un coup par ceux qui le maintenaient et qui s’en écartent éclaboussés de rouge.

Le corps qui tombe, s’effondre sur lui-même.

Elle le voit.

Elle voit le corps inerte, entraîné dans l’eau noire par le crabe qui se retire.

Elle voit la tête, restée là, poissée de sang dans la lumière brutale des torchères ronflantes, un vague rictus de surprise aux lèvres.

Et ses yeux qui se fanent.

Le rhombe s’est tu.

 

Elle se sent soulevée par les hanches, soulevée, le regard soudé à la tête de Jules, de son ami Jules, que le vide de son esprit l’a empêchée de prévenir, dont elle n’a pu prévoir…

La femme du fauteuil a posé son enfant, et puis elle s’est accroupie et du plat de la main, doucement, tendrement, elle a poussé la tête dans l’eau noire du bassin.

Et puis elle s’est redressée, une sorte de douceur luisant au fond des ses larges yeux noirs fixés dans ceux de Rébéquée.

Et puis elle a repris son enfant et s’est assise de nouveau, le visage de nouveau impassible.

Le cri d’Hélène l’a fait sursauter.

Elle-même a crié lorsqu’elle a été prise.

 

Prise.

Prise.

Prise…

 

Jusqu’au noir de l’inconscience.

 

 

LA COLÈRE DE RÉBÉQUÉE / P1C1E19 - feuilletonton

Sakura des Merisiers DX. NB panchro. Retravaillé en semi-solarisation. Sakura des Merisiers N°19 / LA COLÈRE DE RÉBÉQUÉE / P1C1E19 C'est l'histoire où Rébéquée défie la Vieille et massacre le concierge Vendredi 15 avril Agotchilho La lueur vacillante d'une lampe à huile. Un vague parfum d'algues douces... Rébéquée s'éveille, étourdie, endolorie.

http://feuilletonton.canalblog.com


L’épisode suivant, c'est ici



[1] Voir ici, et ailleurs sur Phototonton… Pour la Carte de Profondeur, voir ici, en note 3

[2] Guillaume Apollinaire, « La jolie rousse »

8 avril 2016

L’OPÉRATION ÉCOLOCROQUES / P1C1E15

Le début de l’histoire c’est ici

À BORD DU HAI II / P1C1E13 - feuilletonton

Rien à voir. Zédation macabre d'un talus de printemps...composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S... Des mousses (sporogones) Z47 C'est l'histoire où Victor et Clémentine, prisonniers à bord du Hai II, se trouvent menacés des pires extrémités . Mercredi 13 avril Agotchilho Vic et Clèm ont mangé sans un mot.

http://feuilletonton.canalblog.com

 

L’épisode précédent, c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

La table des matières, c’est ici      

                 

5ZA26DMS

 Rien à voir. Zédation[1] macabre d’un talus de printemps…composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S[2]

 2ZBS47+RVB en S

 Des mousses (sporogones) Z47

3ZB29+RVB en S

 Pulmonaires Z29

 

N°15 / L’OPÉRATION ÉCOLOCROQUES / P1C1E15 

C’est l’histoire où Victor et Clémentine visitent le Hai II, sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Ce que le Numéro 1 attend d’eux.

 

Jeudi 14 avril

Midi

Hai II.

 

Le Numéro Trois leur a fait visiter le vaste engin où une forêt de tuyaux, une floraison de cadrans et d’écrans sont censés leur montrer la puissance d’une énorme machine de cent soixante dix mètres de long.

Ils sont passés entre le double alignement des silos de missiles, dix à droite et dix à gauche, dix fusées à droite et dix fusées à gauche.

Seize mètres de haut, les fusées, deux mètres quarante de diamètre, leur a complaisamment décrit le Numéro Trois.

Dix ogives nucléaires vingt cinq fois plus puissantes qu’Hiroshima chacune par fusée, deux fois dix fusées, deux cents ogives, cinq mille fois Hiroshima à bord.

 Il leur a expliqué la manœuvre.

 Toutes les fusées peuvent être lancées d’une profondeur de cinquante mètres. Prêtes à partir, carburant solide. Toutes. Et atteindre leur objectif à plusieurs milliers de kilomètres avec une précision de cinq cents mètres, ce qui, compte tenu de leur puissance, assure une destruction absolue de la cible et si les têtes convergent, la vitrification assurée d’un rayon de trente kilomètres.

 Ils n’ont pas très bien compris pourquoi multiplier l’horreur par vingt cinq : déjà, une fois, de toutes façons…

Ils ont côtoyé un équipage indifférent ou goguenard. Cent vingt hommes, leur a dit le Numéro Trois. Manifestement, Piotr avait parlé.

Et puis ils sont revenus dans ce que le Numéro Trois a appelé la Résidence, le quartier réservé aux chefs, le quartier lambrissé de bois précieux, le quartier « yacht de luxe », où se trouve le mess, orné de tableaux de maîtres pillés pendant la guerre, comme le bureau d’Agotchilho.

 

Le Numéro Un les attend dans son état-major aux murs dissimulés sous des tentures de brocard, entre lesquelles apparaît, sur un vaste écran mural, un planisphère ponctué de points lumineux :

- Vous devriez vous sentir honorés de la confiance que je vous porte : je vous montre toute notre organisation ! Voyez : les points rouges constituent nos cibles potentielles les plus directes. Grandes villes, lieux stratégiques, il y en a une centaine en tout comme je vous l’ai déjà dit. Vous avez vu notre armement… Sans commentaires. Les points verts marquent nos quatre bases et le cinquième, plus gros, notre Centre du Groenland. Nous y passerons. Vous avez vu notre base de la Marée au Port, nous sommes près de celle de Gibraltar, plus au Nord se trouve celle des Lofoten et en Amérique du Sud, celle de Terre de Feu.

Tout au Nord, notre Centre. Je vous en reparlerai plus tard.

Les deux points blancs clignotants marquent la position de nos Typhoons. Tout ceci est bien sûr ultrasecret : nous sommes ici, au large du Portugal, et nous allons faire route vers notre centre du Groenland, que nous appelons la Nouvelle Thulé, après avoir déposé quelques colis près de Gibraltar. Une halte dans le Golfe de Gascogne où nous retrouverons le U118 permettra de rapatrier quelques Chochos sous la conduite de mon fils, qui doit rejoindre Agotchilho, lui aussi. Un voyage de routine. Ensuite, comme je viens de vous le dire, nous gagnerons le Centre de Thulé pour nous ravitailler : nous risquons d’être à court de caviar (il a un petit rire de connivence gourmande)…

Mais d’ici là, vous prendrez votre repas dans votre cabine, et puis Piotr vous conduira à la bibliothèque que je vais vous montrer de ce pas.

Il se lève et leur indique le chemin d’un geste.

La coursive traversée, ils retrouvent une pièce tapissée de livres et d’écrans, avec une table de cartes, et deux petites tables de travail…

- Nous sommes bien loin de nos chers U-Boote, n’est-ce pas ? Ach, la nostalgie des odeurs de fioul et d’acide… Et puis nous avons gagné beaucoup de place en simplifiant les procédures d’attaque et en réduisant les campagnes et donc l’équipage.

Il leur fait signe de s’asseoir et lui-même s’installe face à eux, satisfait de disposer d’un auditoire, fût-il silencieux.

- Nos campagnes ne sont plus que de deux mois et demi, avec quelques coupures pour l’équipage dans l’une ou l’autre de nos bases, et nous restons souvent au Centre, où sont ravitaillés les deux Hai… Mais trêve de bavardages, mes amis. Mettons-nous au travail !!! Piotr !!!

Il a à peine élevé la voix et le serveur, maintenant vêtu d’un uniforme impeccable apparaît de derrière une tenture qui dissimulait un bureau plus petit où il devait se tenir.

- Piotr est mon ordonnance. C’est un brave garçon, très dévoué. Un cosaque dans l’âme et un parfait Aryen, ce qui ne gâte rien même si cela semble paradoxal !!!

- Piotr, reprend-il, du papier, des stylos pour mon ami Victor ! Je peux vous appeler Victor, n’est-ce pas ? Victor… Quel nom somptueux. Un nom de seigneur à n’en pas douter !!! L’avenir est à vous si vous savez me suivre, mon cher ami !!! Piotr, vodka pour mon ami, celle que tu as ramenée de ta dernière expédition à terre et que je t’ai confisquée !!! La vodka est interdite à bord, elle est la perdition des équipages russes !!! 

Le Numéro Un pérore joyeusement, et Piotr, plus amusé qu’effrayé, sort une bouteille givrée d’un bar glacière, dispose trois petits verres de cristal sur un plateau d’argent et pose le tout sur la table. 

Puis il place papier et stylos devant Victor et se retire dans son bureau.

 

Victor et Clèm, assis côte à côte, restent impassibles devant ce déferlement d’urbanité et de séduction, attendant, dans l’impuissance la plus absolue.

- Je ne bois pas d’alcool, constate néanmoins Clèm.

- Allons, chère amie, je m’offenserais d’un refus, faites-moi le petit plaisir de partager cet apéritif ! C’est un rite sacré chez les Français et je sais que vous ne voudrez pas me décevoir. Puis nous parlerons affaires.

Et il vide son verre d’un trait :

- À votre bonne santé ! Prosit !!! s’exclame-t-il dans un grand rire. 

Victor vide son verre sans faire de commentaires. 

Clèm grimace un peu en avalant le liquide brûlant et glacé. 

- Vous voilà des nôtres, comme dit la chanson… 

- Que devons-nous faire ? demande Victor qui semble n’avoir rien entendu et dont les moustaches ont repris un petit peu de poil de la bête.

- Ecrire un article. Une série d’articles. Des articles qui présentent les Écolocroques et leurs projets, qui racontent ce qui vous est arrivé, qui racontent ce qui va arriver si nous ne sommes pas pris au sérieux. Un premier article qui se trouvera appuyé par quelques actions de nos amis et de nous-mêmes.

 - Et qui expliquera la manière dont nous avons été « convaincus » ? Qui parlera d’Hector ? Clèm s’est presque levée, regard flamboyant.

- Nous resterons discrets sur ces détails, il ne sera pas question d’Agotchilho dans un premier temps. Disons que vous aurez été contactés directement et que votre curiosité professionnelle aura fait le reste, répond le Numéro Un en souriant. Je laisse à votre talent le soin d’imaginer des circonstances vraisemblables. 

Victor pose la main sur celle de Clèm, agrippée au bord de la table, pour la calmer. 

- Nous dirons ce que vous voudrez…

- Très bien, votre cabine est en face et le repas est servi, ce sera l’ordinaire de l’équipage, que vous me pardonnerez de ne pas partager, d’autres obligations requièrent ma présence. Vous pourrez ensuite revenir à vos travaux d’écriture : je ramasse les copies à quatorze heures ! Piotr vous apportera toute l’aide dont vous pourrez avoir besoin. Ah, détail technique : votre premier article sera manuscrit, de manière à être authentifiable… Pour la mise au net pratique, Piotr va vous donner votre ordinateur portable, que nous avons récupéré chez vous, j’espère que vous nous le pardonnerez, mais vos clés étaient dans votre voiture. Vous y retrouverez tout le dossier que ce pauvre Hector avait eu l’imprudence de vous communiquer. Mais, je le répète, je veux une première copie définitive manuscrite. 

Il salue ironiquement Clèm d’une inclinaison du buste et sort. 

Piotr le suit, après un regard gourmand à Clèm. 

Vic et Clèm se regardent un temps… 

L’espèce de stupeur sombre dans laquelle ils ont plongé depuis la fin d’Hector perdure, les faisant osciller entre rage impuissante et désespoir. 

Leur seul recours réside dans ces échanges silencieux de regards où ils se ressoudent l’un à l’autre. 

Pour le reste, ils seraient sur la planète Mars au milieu de créatures verdâtres et phosphorescentes équipées de doigts à ventouses qu’ils ne s’en sentiraient pas plus éloignés que des individus qui les entourent.  

Ils n’ont pas besoin d’en dire plus. 

Ils savent que l’autre éprouve le même creux au fond de l’âme, le même vide d’angoisse, et que seule leur présence mutuelle leur donne force et courage. 

Le repas est morne, à l’image du contenu du plateau qui trône sur la table de leur cabine : patates et saucisses. Ils n’osent parler… Reviennent au plus vite dans la bibliothèque. 

- Trouve-moi un chapeau, Clèm, je ne sais pas par où commencer…

- « Des Nazis se recyclent dans l’écologie »… Tu crois que ça irait ?

- Sûrement pas !

- C’est dommage, on serait dans la réalité… « La pureté de la Terre après la pureté de la Race »…

- Tu n’en sors pas, ils aimeraient, mais refuseraient d’avancer aussi à découvert.

- Leur slogan c’est bien « La Terre par dessus tout » ? Eh bien on reprend ça et on sous-titre : « Les Écolocroques veulent purifier la Terre ». 

Victor et Clèm sont assis côte à côte devant l’ordinateur portable que Piotr leur a apporté sans un mot. Clèm, au clavier, tape au fur et à mesure alors que Vic griffonne des notes au stylo. 

- Oui, c’est ça, c’est bon ça ma cocotte (rire amer) ! Si on survit on sera bien partis pour le Pulitzer ! Si jamais il reste un Pulitzer … Tiens, ressors-moi le dossier d’Edgar. Je te rappelle le code : « MACLEM » (petits sourires timidement échangés) (pardon mon Boulet) (laisse tomber mon Canon, on n’en est plus là). On commence par une mise en situation, ici, pour dire d’où ça vient, comment on a été contactés, et pourquoi on l’a été, mais là, il faudra broder… On peut partir des incidents qu’Edgar nous a signalés et qui étaient en fait destinés à attirer notre attention…

- On restera très vagues sur Edgar…

- Forcément, on n’en dira rien…

- On ajoutera le programme que ces joyeux Numéros vont nous communiquer…

 

Une heure plus tard, Victor recopie à la main, de sa grande écriture nerveuse, la version définitive de l’article que Clèm a saisi sur le petit ordinateur portable. 

- Alors, où en sommes nous ? 

Le Numéro Un vient d’entrer, un papier à la main. 

Victor lui tend ses feuillets… 

- Bien, bien, mais c’est trop long mon cher. Dans un premier temps, nous nous contenterons d’une prise de contact et de la diffusion d’un manifeste. Il suffit que vous donniez une version cohérente de votre venue à bord. Vous avez commencé à raconter votre vie sur le Hai II, pensez-vous que cela intéresse vos lecteurs ? Dans un second temps peut-être… Il s’agit d’une série d’articles, ne l’oubliez pas.

- C’est pour donner de la crédibilité à…

- Soyez tranquilles, nous serons crus. Demain, plus personne ne doutera de la véracité de vos informations. Vous apporterez le plus grand scoop de l’histoire ! Tenez, je vous ai amené le texte du manifeste que vous annexerez à votre article. Rédigez-le, de suite, ma chère Clémentine, élaguez le texte de notre ami comme je l’ai indiqué, et joignez-y ceci… 

Sans un mot, Clémentine obéit… 

Victor, qui s’est levé, lit par-dessus son épaule :

- Oui, comme ça, ça devrait coller… Et ça… C’est votre message ? Bon sang...

On… on l’ajoute ici, comme ça ? 

Clèm est livide. Elle se tourne vers le Numéro Un :

- Vous n’avez quand même pas l’intention de…

- Mais non ce ne sera pas nécessaire : ils vont céder. Nous ne tenons pas à détruire ce monde qui nous revient… 

Il a un rire grinçant et ajoute comme en a parte :

- Mais il sera puni pendant mille ans pour nous avoir une fois échappé… 

Et puis, sur un ton sans réplique :

- Ce document sera envoyé à votre rédaction du Petit Matois Subreptice via Internet. Il sera agrémenté des photos que nous prendrons cette nuit sur le pont du Hai II. Vous y figurerez en bonne place. Il ne pourra pas être « sourcé » puisqu’il passera directement par notre satellite… Vous verrez, c’est la pleine lune et la mer sera superbe. 

Et, triomphant :

- L’« Opération Écolocroques » est lancée. Ce soir, je vous invite au mess.

 

 

N°16 / LES DISTRACTIONS DES PRISONNIERS  P1C1E1

C’est l’histoire où Jules expose sa théorie saoûlométrique à Rébéquée, très occupée par Hélène.

  

Jeudi 14 avril

Depuis 10 heures

Agotchilho

 

Etrange journée que celle-là.

Après un éveil un peu lourd, chacun a fait une toilette machinale et on s’est assis autour de la table.

Un Chocho baragouinant leur a fait passer des écuelles par le guichet resté ouvert. Ils ont mangé. Machinalement… 

Rébéquée a bien trouvé anormale cette torpeur où ils semblent avoir sombré si facilement. 

Jules y voit une vague ressemblance avec un début de ce qu’il appelle la « cuite lucide ». 

Et d’étaler une typologie savante de la cuite, depuis la cuite noire qui vous allonge dans les caniveaux de l’inconscience, jusqu’à la cuite féroce qui vous rend agressif et violent, en passant par la cuite dépressive, la cuite bavarde, la cuite lyrique, qui prolonge la précédente et au cours de laquelle ressurgissent tous les poèmes jamais lus en une interminable logorrhée déclamatoire, la cuite prostrée, la cuite larmoyante, la cuite baveuse, la cuite errante, la cuite sensuelle ou bandante, la cuite crapuleuse, la cuite dégueulante, la cuite dégueulasse, où on se fait dessus, la cuite rigolote, la cuite que je m’en fous, la cuite du siècle, la cuite marécageuse, la cuite ravie, la cuite paumée, la cuite flageolante, etc.… typologie que les filles suivent avec l’intérêt profond d’élèves de douze ans pour une conférence « Connaissance du Monde » sur le Jütland danois au 18ème siècle. 

La cuite lucide, donc est celle au cours de laquelle vous êtes certain de savoir et d’avoir raison. Elle peut être consécutive, bien sûr, à une absorption massive de whisky (Jules pense toujours en termes d’UW, soit Unité Whisky, qui constitue sa boisson de base ; pour lui la cuite lucide débute à quatre UW soit quatre verres bien tassés), mais il affirme l’avoir rencontrée chez de sobres curés de tout poil et de toute obédience, chez divers hommes politiques en démarchage professionnel, chez les militants desdits, Naris et écolos en particulier (il suffit d’écouter pérorer Bricolat Mulot), quand ils se mettent à croire au discours professionnel des précédents, chez des commerçants pressés de se remplir les poches, maquignons divers au sourire large et aux doigts crochus, mais toujours liée à une suffisance dangereuse pour celui qui y succombe comme pour celui qui s’y trouve confronté… 

Rébéquée, tout en l’approuvant de manière systématique, de la voix, de la mimique et du sourire, expose de son côté sa vie et ses malheurs à Hélène, depuis l’abandon de son amie Michelle, au Canada (c’était bien le Canada, mais tu sais, les souvenirs, c’est dur) (oui, tu sais), jusqu’à la recette du vin de prunes qu’elle se promet de lui faire goûter lorsqu’elle viendra la voir dans son petit appartement de Saint Tignous sur Nivette (mais si, tu verras, on va s’en sortir, je t’aiderai, non, ce n’est pas fini, tu sais, Hector, il t’a peut-être larguée après tout ; une fille mignonne comme toi, si c’est pas malheureux, non, je ne dis pas du mal d’Hector, ne pleure pas, viens dans mes bras ma douce, comme ça, oui… Oui, Jules, tu as bien raison, tous des salauds… Oui, bien sûr, je parle des hommes en général et des Chochos en particulier, pas d’Hector… Attends, je vais faire pipi, regardez pas)… 

Hélène, entre deux crises de larmes se blottit contre Rébéquée (qui trouve tout naturel de caresser gentiment ses jolis petits seins ronds sous la tunique commodément ouverte sur les côtés), en lui racontant sa vie à la boulangerie, son papa qui travaille dur, sa douce maman, (c’est vrai qu’elle a l’air douce, lui dit Rébéquée fort préoccupée par les petits frisons de son mignon triangle), son papa qui cherche à comprendre les Chochos, surpris parce qu’ils refusent de travailler en dehors de la Marée au Petit Port, qui cherche à comprendre, et le jour où il part à la pêche sur un bateau Chocho, tout content de faire un peu mieux connaissance, et puis le soir où il ne revient pas, le drame terrible (une vague, il est passé par-dessus bord, coulé à pic, pas retrouvé, les courants), la maman qui reprend le travail pour l’élever, elle, Hélène, sa maman qui embauche Hector comme mitron, Hector si gentil, si tendre avec elle, qui travaille dur aussi, et maintenant… et maintenant… 

Toute la journée dans cette torpeur étrange entretenue, ils s’en rendent presque  compte, mais pas assez pour réagir, par ces repas de bouillie qu’on leur apporte régulièrement… Pas mauvaise la bouillie… Le temps ne veut pas dire grand-chose, il n’y a pas de jour ici, dans cette cave tiède, le temps ne veut rien dire… Jules parle de cuites et trouve que ces écuelles sont à classer en UW quatre, un saoûlomètre précis restant à établir, qu’il aimerait bien pouvoir étalonner avec un vrai whisky, peu importe, pur malt ou blended, Jules est moins gourmet que gourmand, après tout c’est le résultat qui compte… 

Rébéquée caresse lentement, doucement, précisément la peau tiède d’Hélène dont la douleur se trouve apaisée et qui somnole sur ses genoux en évoquant Hector et sa tendresse, tandis que Rébéquée chantonne à voix basse… 

Le Chocho de garde glougloute de la glotte derrière son guichet glauque. 

S’embête pas la Rébéquée, se dit Jules qui parle tout seul sans s’en rendre compte, et qui se lève en titubant un peu, jambes molles, pour aller pisser lui aussi, gêné bien sûr d’aller aussi à grosse commission par devers les dames (même emmêlées comme elles le sont et se souciant peu de lui en l’occurrence), parce qu’il est fort loquace du cul et doté d’un fondement à la toux grasse et abondante qui le gêne même dans cette circonstance où pourtant la bouillie Chocho lui a délayé la conscience à un niveau d’au moins quatre UW. 

Bref, c’est en pestant contre lui-même et ses boyaux, en façon de camouflage sonore, qu’il s’installe sur la cuvette, contraint et forcé de céder à ses intimes surpressions, conscient de la vacuité d’un destin qui nous réduit périodiquement à ce rôle d’alambic à merde devant lequel s’efface toute envolée métaphysique. 

Et réduit à consommer ensuite une bonne part de la réserve du papier rose dont le parcimonieux rouleau se trouve déjà fort entamé, il médite un temps sur l’ironie qu’il peut y avoir à colorer de rose bébé ou de blanc virginal un aussi trivial accessoire. Et d’aucuns, se souvient-il, poussent le mauvais goût jusqu’à être parfumés à la fraise. Se balançant dans ses propres effluves, il médite sur ce qu’enfin il identifie comme étant une ironie des fabricants de papier, voire une sorte d’antiphrase du destin, assez proche de la légèreté de cet instant où il chie devant deux filles qui se caressent sans penser à lui, dans une cellule secrète où, va savoir pourquoi, miraculeusement, il se sent bien. 

Et puis il regagne sa place à la table, dos au guichet où luit vaguement un œil Chocho. 

C’est bizarre quand même, cette sensation. Nous ont drogués avec leur soupe. Sont enchnoufés, leurs crabes. Elle devrait y aller mollo, la Rébéquée, la petite est en pleins brouillard. Elle aussi d’ailleurs, sacrée nana, et puis c’est comme ça, qu’est-ce qu’on y peut, ça me rappelle ma jeunesse, eh, oh, faudrait pas croire que je suis vieux, mais c’est vrai que la bouteille ça fatigue… 

Enfin…

 

Tiens qu’est-ce que c’est que ça, pas un tremblement de terre quand même. 

Ben c’est sûrement pas le RER qui passe, alors quoi t’est-ce ? 

Et boum et boum… 

C’est pas fort ou bien c’est loin, mais on l’entend… Oh !!! Rébéquée, réveille-toi !!! 

- Mmmhhh ? 

Les deux mains sous la tunique d’Hélène qui sourit aux anges, perdue dans ses vaporeux nuages, Rébéquée lève un sourcil. 

- T’entends pas ?

- J’entends pas quoi ?

- Boum boum….

- Boum boum ? 

Elle ouvre un œil un peu plus vif. 

- Boum boum ? Mais t’es encore dans le cirage mon pauvre. Boum boum… !! Tu régresses du langage ? C’est pour quand les visions ? T’es sûr que tu ne nous prépares pas un bon vieux delirium ?

- Dis pas de bêtises, lâche ta copine, que tu profites de sa misère et que ça c’est pas bien, et écoute !!

- Je profite de rien du tout, je la déstresse, monsieur, c’est un massage tantro-thérapeutique destiné à lui rendre sa sérénité première…

- Et moi je peux la masser tantro comme tu dis ?

- Vieux satyre !!!

- Ah, tu vois, moi je serais un vieux satyre, mais toi, tu es la sainte bénédiction des vierges et des orphelines… Je vois bien que les gouines sont aussi hypocrites que les mecs… N’empêche, t’entends pas ? 

C’est vrai qu’il s’en moque des amours compliquées de Rébéquée et que depuis qu’il a noyé sa libido dans le Johnny Walker, il ne se choque plus des voracités charnelles de ses contemporains (et raines), ainsi qu’il se plaît à se le dire in petto lorsqu’il se trouve confronté à une situation scabreuse. 

- Alors, t’entends pas ? 

Eh si, justement, elle entend, Rébéquée, du fond de sa torpeur bercée des langueurs d’Hélène, elle entend, comme un martèlement sourd et lointain, souterrain, profond, avec, rythmiquement disposés, deux coups plus accentués qui en marquent la cadence. 

Elle entend, au travers des soupirs légers d’Hélène dont l’haleine fraîche vient fondre dans son cou, ces cognements lents dont les intervalles s’emplissent d’un bourdon régulier et sourd. 

Et qui se rapprochent. 

On dirait des pas, loin sous terre, d’une foule nombreuse et précipitée avec un gros tambour voilé, comme ceux des funérailles d’antan, ou des temples japonais, assourdi, mais profond et puissant. 

Boum boum… 

C’est étrange ce gros tambour, on dirait qu’il vous cogne du dedans et que le son ressort vers l’extérieur. Comme si c’était vous le tambour. Il cogne, au plexus, au milieu du diaphragme, sous le cœur. 

Boum boum, accompagne Jules en se balançant sur sa chaise, un sourire ravi aux lèvres. 

Ravi.

 

Ça lui plaît à Jules ce tambour qui l’habite : il a l’impression d’entrer en résonance avec toute la terre, avec les murs d’ardoise brute de la cellule, avec la table, tiens, avec Rébéquée et Hélène même, qui se balancent aussi en mesure, les yeux fermés, et c’est pour ça qu’il se balance, dans le chaud et la lumière douce. 

Et c’est ça qui fait se marrer le Chocho glougloutant derrière le guichet. 

Boum boum… 

Hélène enserre le cou de Rébéquée de ses bras blancs, enfonce son minois dans son cou et se cambre avec un léger hoquet sous les mains expertes que cache la tunique. 

Puis elle retombe avec un léger sourire et s’endort instantanément. 

Boum boum… 

Rébéquée sourit de ce joli tour joué au destin. 

Boum boum… 

Jules grommelle, le front entre les mains, les coudes sur la table, noyé dans ses pensées, bercé par le rythme. 

Boum boum…

 

La porte s’est ouverte. 

Tiens, se dit Jules. Tiens donc… De la visite…

 

L'OPÉRATION ÉCOLOCROQUES / P1C1E15 - feuilletonton

À BORD DU HAI II / P1C1E13 - feuilletonton Rien à voir. Zédation macabre d'un talus de printemps...composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S... Des mousses (sporogones) Z47 C'est l'histoire où Victor et Clémentine, prisonniers à bord du Hai II, se trouvent menacés des pires extrémités .

http://feuilletonton.canalblog.com

 

L’épisode suivant, c’est ici



[1] Voir ici, et ailleurs sur Phototonton… Pour la Carte de Profondeur, voir ici, en note 3

[2] Fleurs d’amandier.

Publicité
Publicité
1 2 > >>
feuilletonton
Publicité
Archives
Publicité