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feuilletonton
6 juin 2016

LE ROMAN MALFORT / P1C2E7

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici

 

p6-6+RVB Plante Cirque romain + RVB en S2 NB+Bidouille

                         Cirque romain P6[1] RVB en S2 NB et bidouilles 

DSC_0674+ NBO VB en S+CS1

 Esquisse de statue issue d’un bloc NBO.

 

DSC_0535+ NBO avec VB en S +Contraste

La crypte 1 NBO

 

N°26 / LE ROMAN MALFORT  / P1C2E

C’est l’histoire où l’on découvre quelques aspects du roman familial des Malfort, et où Béatrace glisse en Amour sans même s’en apercevoir.

  

Samedi 16 et dimanche 17 avril

Saint Tignous sur Nivette

 

L’immeuble de la Lanterne a été bâti dans le vieux Saint Tignous sur Nivette, au pied du château de glorieuse mémoire.

 En fait, les Malfort possèdent depuis plusieurs générations, cette petite maison basse, d’ouvrier ou d’artisan comme on dit dans la famille, et ils se transmettent de père en fils ses particularités singulières : la modeste bâtisse, qu’un historien local a datée du 16ème siècle pour la construction et du 12ème siècle pour les fondations, recèle dans sa cave, derrière une porte vermoulue dissimulée sous d’archaïques casiers à bouteilles, le débouché d’anciens souterrains oubliés de tous.

 Un de ces historiens locaux, curieux passionné et farfouilleur impénitent a même trouvé des restes d’outils anciens sous lesdits casiers. Des outils de menuisier a-t-il déclaré en brandissant un fer rouillé qui a dû être utilisé pour un rabot à bouveter, mais aussi une tarière de charpentier, et quelques fers de sabots de mule…

 Il a vu l’entrée du souterrain, effondré au troisième mètre, et a souhaité, en tirant la langue et en roulant des yeux de cocker, engager des fouilles.

 Ce qu’a refusé Eusèbe Malfort qui a prétexté des risques d’éboulement.

 En réalité, Eusèbe préfère conserver secret ce jardin d’aventures où il a éprouvé le même plaisir de gamin à initier son fils aux joies de la spéléologie mystérieuse de Saint Tignous sur Nivette que son père en avait eue en l’initiant, lui.

 Parce que le souterrain est très accessible : il suffit de contourner l’éboulis pour se retrouver dans un boyau propre et sec, à la source d’un immense labyrinthe.

 Il l’a si bien exploré qu’il s’est retrouvé dans les caves du vieux château qu’occupait la Kommandantur, ce qui a assuré la gloire de son groupe de Résistance !

 De l’intérieur de la cave, il a découvert un débouché dans les douves, sous un roncier inextricable poussé sur une courtine effondrée. Discrète à souhait, cette deuxième entrée ne risquait pas de compromettre son propre accès qu’il a gardé secret, même vis-à-vis de ses amis, et donc de prolonger le jeu familial : il a eu grand soin de boucher les communications entre les caves du château et le reste des souterrains.

 Mais il n’a pas tout fouillé de ce réseau oublié, qui s’étend sur plusieurs kilomètres en direction de la côte, et qui, pense-t-il, a dû abriter une histoire ignorée, et sans doute destinée à le rester.

 À certains endroits, il s’est heurté à des passages murés, à des salles sans issues…

 Partout, le sol des galeries est propre, dallé ou à rocher vif, et nulle part on ne remarque de ces graffitis ou de ces vestiges qui, si ténus soient-ils, ouvrent les portes du passé aux yeux des amateurs.

 D’ailleurs, ce n’est pas un ensemble construit, mais plutôt un réseau de galeries creusées à même la roche tendre ou dans les terrains mous et argileux de la plaine.

 Mais creusées avec une habileté telle qu’elles ne se sont pas effondrées, qu’elles sont restées intactes, « comme neuves » avait remarqué son père, Honoré Malfort, avec le même étonnement qui avait été le sien lorsque son père à lui, Pierre Malfort, dit Pierre Caillou, compagnon charpentier, lui avait, pour ses quatorze ans, fait découvrir le « secret de la famille ».

 Pour faire durer la tradition, l’exploration se fait toujours au quatorzième anniversaire du dernier fils, commence à la bougie, et se poursuit à la calbombe (il faut la remplir, l’allumer, la régler, avec toutes les odeurs du carbure, un régal), pour s’achever à la lampe électrique dans les recoins les plus profonds après que l’extinction de la calbombe ait plongé « l’expédition » dans les angoisses de la nuit.

 « L’expédition » est bien sûr préparée de longue date et en grand secret par un père affairé et un grand-père fébrile, lorsque celui-ci est en état de le faire, et cela a été le cas jusqu’ici, avec de succulentes engueulades entre père et grand-père lorsque l’obscurité se referme sur le groupe, et qui s’achève dans les rires avec le retour de la lumière :

- T’as oublié le carbure, bougre de fils de con !!

- Oui papa, mais je pensais que tu l’avais mis dans ton sac !!

- Mais non, c’était ton travail, ça, attends, je regarde… (et c’est là, alors que l’angoisse fait battre très fort le cœur du petit, qu’il sort la torche électrique pour fouiller les sacs) Ben non, tu vois bien qu’il n’y en a pas !! Comment faire sans lumière ?

 Et invariablement, le petit dit à ce moment-là :

- Ben on a la lampe électrique, non ?

- La lampe électrique, reprend le père, la lampe électrique… Tiens, c’est vrai ça, je n’y avais pas pensé ! Heureusement que tu es là, sinon, on était fichus !!!

 Donc l’immeuble de la Lanterne jouxte la petite maison des Malfort et Eusèbe s’est ménagé un passage entre les caves des deux immeubles.

 

Ses archives personnelles, ses archives secrètes, ont été enfermées par ses soins dans une pièce qu’il a aménagée lui-même dans le dédale souterrain.

 Il a poussé le souci de discrétion jusqu’à installer une ligne électrique et une ligne téléphonique camouflées, enterrées devant et derrière l’éboulis de l’entrée.

 Comme ça, pour le plaisir du jeu.

 Il y a réuni des « souvenirs » : tous les documents personnels qu’il a récupérés après la guerre.

 Mais aussi toutes les archives de la Kommandantur, et en particulier les dossiers des collaborationnistes de toute la région, ce qui explique en grande partie l’impunité politique dont il jouit et la grande liberté éditoriale qui est la sienne : plusieurs conseillers, présidents ou fonctionnaires revêches et intrigants qui lui cherchaient noise se sont trouvés vigoureusement épinglés, documents à l’appui, alors qu’ils pensaient s’être faufilés entre les mailles, et du coup, les autres ont pris pour habitude de filer doux devant Malfort (qu’on appelle LE Malfort dans les milieux « bien informés ») dont on se demande ce qu’il sait vraiment, et à propos de qui et de quoi.

 Il a d’ailleurs fait l’objet, pendant un temps, de procès en diffamation et de pressions diverses qui ont entraîné de cinglants retours de bâton.

 Et puis il y a eu des menaces physiques, et ses anciens amis du réseau ont dû intervenir (discrètement mais vigoureusement) pour « régler » les choses.

 Deux ou trois hommes de main ont alors disparu mystérieusement et les instigateurs des menaces ont eu de si mauvaises surprises (via le Canard Enchaîné parfois, ou la radio) qu’on a fini par le laisser tranquille.

 Et puis sa femme, son ancienne compagne d’aventures, la mère de son Arthur de fils, est morte dans un accident de voiture : les freins de la Traction ont lâché dans un virage au-dessus de Lourdes.

 Et il est resté seul avec son journal et son fils, qu’il a élevé.

 Et voilà l’histoire.

 Et voilà pourquoi il râle de ne pas être grand-père à bientôt soixante quinze balais, pour pouvoir montrer les souterrains à son petit-fils.

 

Mais ça, c’est une autre histoire.

 

Il y a longtemps qu’il n’y était pas retourné.

 Et il a été surpris d’entendre Arthur lui demander d’emmener Béatrace dans l’expédition, arguant du fait qu’elle devait participer à la recherche de ses amis. Mais…

 Bon, soit, après tout, sa défunte épouse aussi était un peu… allumée, du temps de sa jeunesse.

 Expédition, c’est le mot juste.

 Après une longue discussion, ils ont décidé d’attendre le surlendemain pour l’entreprendre, pris entre les soucis rédactionnels, la fusion des éditions,  et la reprise de fonction d’Eusèbe.

 Et puis, après-demain, on sera dimanche, il y aura moins de mouvement au journal et on sera plus libres.

 Et il y aura peut-être du nouveau du côté des « Écolocroques ».

 

On s’est donc donné rendez-vous dimanche matin au journal.

 

Le samedi, Arthur est descendu seul, en éclaireur, pour déblayer les passages plus ou moins obstrués ou éboulés.

 Béatrace est passée au Matois, et les voûtes de la salle de rédaction du couvent des Marmoréens lui ont paru bien désertes et bien silencieuses.

 Alors, elle est rentrée chez elle. L’amant secret était sorti et lui avait laissé un mot : je vais à la rave de Marinoval, rejoins-moi !

Comme si elle pouvait avoir envie de se trémousser dans les décibels ! Bah, au moins elle sera tranquille ! Elle en profitera pour relever tous les articles parus sur le radon et toute la doc utilisée pour les rédiger.

Elle a donc dormi seule (des vacances) et puis elle est retournée au Matois.

 Elle a quand même trouvé quelque chose d’intéressant : les mesures de radioactivité dépendent du vent !

 Si le vent souffle du Nord, la radioactivité est plus forte au Sud, et inversement si le vent souffle du Sud. De plus, la radioactivité semble apparaître à quelques mètres du monument, sans que rien ne puisse l’expliquer, dix mètres au Nord ou dix mètres au Sud, ou à l’Est, selon le vent toujours. Comme si le monument constituait une sorte de pivot éolien, ou de girouette radioactive.

 On attendait une prochaine campagne de mesures pour préciser son origine. Pour l’instant, on était sûr de sa présence, mais cette manifestation capricieuse semblait incompréhensible.

 À tout hasard, elle a rédigé un mémo qu’elle a envoyé par mail à la Lanterne.

 Eusèbe l’a appelée pour la féliciter de son travail, sans pouvoir en dire plus, puisqu’ils n’ont pas d’autres éléments que de vagues soupçons…

 Les effondrements semblent être plus importants que prévu, à croire que les voûtes ont été abattues volontairement, et Arthur, rageur, en a transpiré longtemps : déblayer, étayer… La cave de la petite maison s’est peu à peu remplie des gravats qu’il dégage péniblement à la pelle et à la brouette. Eusèbe lui a proposé une aide qu’il a repoussée d’un haussement d’épaules avant de retourner frotter ses ampoules au manche de la pelle.

 Il a fallu réparer les lignes électriques et téléphoniques.

 Curieusement, l’accès à la salle des archives n’a pas été occulté et les archives elles-mêmes sont restées intactes. Ce n’est que l’entrée du tunnel d’accès qui s’est effondrée et comblée sur une vingtaine de mètres.

 Bref, le dimanche aussi y est passé.

 

C’est pour cela que, le dimanche matin, (à l’heure de la messe, ne peut s’empêcher de penser Béatrace que cette manifestation folklorique amuse toujours autant, surtout qu’ici on aurait plutôt tendance à l’intégrisme et que les messes sont souvent en latin avec encens (elle aime bien l’odeur) et tout un bazar de cloches et d’enfants de chœur en surplis), le dimanche matin donc, lorsque Béatrace gare la Deuche dans la cour de la Lanterne, elle la trouve déserte.

 Pas de Toto le dimanche : il est « à messe ».

 Bien sûr, il y a toujours quelqu’un : un journal, ça ne s’arrête jamais.

 Il y a Jules Mouchoir à qui elle trouve petite mine : ce garçon manque de santé, il est pale, il boite (forcément, son plâtre), il n’ose pas la regarder en face. Elle l’intimide ? Béatrace, amusée, feint de trébucher pour se retenir à lui au passage et se frotter un peu… Il rougit comme un collégien surpris à regarder des publicités de sous-vêtements féminins dans « Elle ».

- Oh, excusez-moi Monsieur Mouchoir… Monsieur Malfort est là ?

 Mouchoir balbutie un peu, effaré par cette fille incroyable qui vient se frotter les nichons en se raccrochant à son bras et qui réussit à être excitante malgré une moustache de sapeur :

- Il est, oui, il est là-haut, dans le bureau, avec M’me Marty… je… il a dit qu’il vous attend… Je…

 Béatrace lui adresse un lumineux sourire et cligne trois fois des longs cils de ses paupières :

- Vous… ? Oui ??? Vous ???

- Je… (le pauvre Mouchoir perd le fil, ce qui provoque le fou rire de Béatrace, fou rire qui achève le secrétaire de rédaction, pour le coup foudroyé et qui tourne au livide) je… vais vous conduire.

- Mais je connais le chemin, ne vous dérangez pas… Au fait, vous savez que vous êtes très mignon ?

 

Anéanti, Jules Mouchoir hésite entre sourire et larmes lorsqu’elle lui plante une bise parfumée à la fraise sur le bord des lèvres, avec un chatouillis de moustaches soyeuses, avant de s’envoler dans les escaliers…

 En grande forme Béatrace ! Elle adore ce rouge à lèvres à la fraise.

 

Jules s’effondre sur une banquette du hall, les yeux perdus dans les nuages de la félicité.

 Dans le bureau, Eusèbe et M’me Marty discutent âprement de ce qu’il y a lieu de faire, sans parvenir semble-t-il à se mettre d’accord : en parler aux « autorités », ne rien dire ? Prévenir de leur expédition ?

 Ils se taisent à l’arrivée de Béatrace qui du coup s’angoisse :

- Je suis en retard ? (Pourtant elle a fait vite et s’est limitée à une « tenue de combat » standard : jeans et pull et chaussettes blanches avec des baskets, sans effets de petite robe aguichante). Arthur n’est pas là ?

- Non Béatrace, répond le Dragon. C’est nous qui sommes en avance. Et Arthur n’a pas fini de déblayer le passage. Nous allons devoir remettre notre expédition à demain. Et nous nous demandions s’il valait mieux prévenir…

- Prévenir qui ? grogne Eusèbe Malfort. Le Président ? Le Préfet, les gendarmes ? Pour quoi faire ? Vous croyez qu’ils risqueraient des représailles pour nous aider ?

 

Un silence…

 

- On garde tout ça pour nous, tranche Eusèbe. Ils ne feraient pas un geste pour nous sauver si besoin était mais ils seraient prêts à nous charger de tous les maux pour se dédouaner. Gardons les mains libres. Pas un mot : motus et bouche cousue !

- Botus et mouche cousue ne peut s’empêcher de reprendre Béatrace qui a des lettres dupondtiques, avant de gloups, se cacher la bouche de la main avec un « pardon » confus devant les regards d’incompréhension consternée de ses interlocuteurs. Et, d’ici là, on ne peut rien faire ?

- Si, nous avons tous un travail : vous, vous allez retourner creuser cette histoire de vent et de radon, moi, je vais réparer les lignes électriques des archives qu’Arthur finit de dégager et Jeanne va assurer les transmissions en cas de besoin, et veiller pour le cas où de nouvelles informations nous parviendraient.

- J’y vais, obtempère Béatrace très petit soldat (ce qui fait presque sourire le Dragon), vous… vous direz à Arthur que je suis passée… (ce qui fait sourire plus largement le Dragon qui envoie un clin d’œil à Eusèbe qui, lui, lève les yeux au ciel).

- Mais bien sûr, mais bien sûr…

 C’est ainsi que pour la première fois de sa vie, Béatrace a préféré un week-end archives météo à un week-end rave.

 Et qu’elle ne s’est même pas rendu compte de l’incongruité de la chose.

 

Ah, l’Amour…

 

N°27 / AFFAIRES DE MÉNAGE  / P1C2E8 

C’est l’histoire où, brièvement, le temps s’étire.

 

Lundi 18  avril

Le Matois.

 

Béatrace ronge son frein : Arthur est pelle-pioche, comme lui a confirmé M’me Marty, et n’a pas terminé ses grands travaux.

 Faut attendre.

Les réactions aux articles s’accumulent, mais sans rien de significatif.

On en est aux suites immédiates du coup de pied dans la fourmilière, bref, c’est le bordel général mais aucune tendance ne domine.

Ça grouille, mais c’est tout : les Autorités consultent, créent des Commissions, font des Déclarations mais surtout ne prennent pas de Décisions.

Tout le monde attend le prochain communiqué des Écolocroques qui ne semblent guère pressés de se manifester.

Et l’inquiétude grandit au sujet des disparus…

Alors, Béatrace va au Matois et fouille rageusement les archives météo. Comme ça, pour s’occuper. Plutôt pour passer le temps que dans l’espoir de trouver quelque chose de nouveau…

La journée s’étire en rond, comme une grosse limace saoule de bière, qui tourne en laissant derrière elle une traînée pâle d’archives périmée, lues et relues… Et Béatrace déteste les limaces : c’est gras et mou, ça bave et c’est hermaphrodite, et Béatrace aime que l’on soit franchement mâle ou femelle. Elle déteste aussi la bière parce que ça fait roter et que ça met sa petite vessie à la torture.

 

Foutue journée foutue.

 

Et les « autres »… 

Parce qu’elle est seule maintenant, seule rescapée opérationnelle du Matois !!

Béatrace s’enrage, cherche, fouille, va jusqu’à ouvrir les tiroirs personnels des « autres » en se promettant de leur expliquer pourquoi et comment à leur retour.

Vic a tout ramené chez lui et ses archives sont surtout dans son ordinateur portable.

Juste une photo de Clèm au fond du tiroir. En tenue de gala. C’était à une réception de la Mairie… Béatrace s’en souvient : un photographe de la Lanterne qui l’avait photographiée malgré elle, poussé par Vic… C’est vrai qu’elle en jette Clèm quand elle est en grand tralala…

Dans le tiroir de Rébéquée, qu’elle n’aurait jamais osé ouvrir en temps normal, quelques tubes de crème, des photos de filles inconnues, une lettre oubliée en provenance de Brisbane, Australie,  plus exactement de Deception Bay… Mais l’anglais de Béatrace est trop flou pour qu’elle comprenne… C’est signé d’une certaine Michelle…

Dans le tiroir de Jules, outre une flasque de whisky vide, un dossier marqué « rumeurs ». Tiens, voyons… Manifestement, Jules s’est amusé à recueillir tout ce que ses grandes oreilles ont entendu traîner dans les bars qu’il fréquente. À raison d’une page ou deux par rumeur, il y a là de quoi rédiger une chronique fantasmée de la vie de Saint Tignous sur Nivette. Mais c’est un dossier destiné à rester dans le tiroir, ça c’est net.

Béatrace feuillette, amusée d’apprendre qu’il se dit des tas de choses qu’elle ignore sur tel ou tel conseiller, tel ou tel personnage du monde culturel et des notables divers de la ville ou de la région, que Victor se teint les moustaches, qu’elle, Béatrace, qu’elle… oh !!! qu’elle se fait tresser les poils du cul ! (mon salaud tu me paieras ça !) (comment il le sait ?) et qu’elle oblige ses amants à suivre des stages d’apnée (pourquoi d’apnée ?), que le Maire, dont la mère était l’épouse du Maire précédent, n’est pas le fils de son père mais d’un officier allemand qui s’était rendu chez eux en visite le jour de la fameuse prise du Fort par Eusèbe Malfort et son groupe de résistants. Que sa mère, la mère du Maire (c’est marrant se dit Béatrace), savait se montrer accueillante pour les hôtes de son Maire d’époux lorsque celui-ci y trouvait ou pensait y trouver avantage. Bref, que le Maire de l’époque savait tenir table et lit ouverts et que dans le lit en question, il fourrait sa femme comme dessert… Ça c’est intéressant, se dit Béatrace. Inutilisable bien sûr, mais intéressant. J’ai toujours pensé que ce Maire était un fils de pute… Faudra que j’en parle à Eusèbe Malfort… Et à tout hasard, elle fait une copie et la fourre dans son fourre-sac.

Et puis elle appelle la Lanterne où M’me Marty lui répète qu’Arthur est toujours pelle-pioche… 

Le soir, lorsqu’il l’a appelée chez elle sur les onze heures du soir (Ça y est, j’ai fini le ménage, la galerie est déblayée, on démarre demain matin. Rendez-vous à cinq heures au journal, après le départ de l’édition. Pas de temps à perdre : faut se lever tôt pour chasser le radon…), elle venait de virer l’amant secret, rentré complètement stone de la rave, avec des chtoucoutchouk et des chtacaboum qui lui faisaient hocher la tête comme un poulet déplumé en train de courser une autre volaille, le regard frapadingue et plein d’ecstasy, et les mains voraces tendues vers ses miches.

Elle a répondu à Arthur qu’elle aussi venait de faire le ménage, ce que, bien sûr, il n’a pas pu comprendre et donc qu’il n’a pas pu se réjouir (et d’ailleurs, pourquoi s’en serait-il réjoui, hein ? pourquoi ?) du regard effaré du petit bonhomme hirsute et puant la sueur quand elle lui a sans explications fait descendre l’escalier sur ses fesses maigrichonnes avant de lui expédier en vrac ses fringues et son sac à dos sur la tête en lui conseillant d’aller travailler son apnée.

Et de reclaquer la porte du palier.

Bon.

 

Du passé faisons table rase comme on dit à l’Huma.

 

 

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La crypte 2 NBO 

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La crypte 3 NBO 

 

N°28 / DE LA COMPTINE À LA SOURCE DU RADON  / P1C2E9

C’est l’histoire où Béatrace accompagne Arthur et Eusèbe Malfort dans leur expédition souterraine, et où ils découvrent le plaisir des comptines et aussi la source du radon.

  

Mardi 19 avril

5 heures

Saint Tignous sur Nivette

 

Béatrace est levée depuis quatre heures du matin.

Elle a très mal dormi.

Elle est excitée comme une puce.

Elle a pris quatre cafés.

Elle est passée au Matois où elle a repris un café.

En sortant du Matois, elle fait ronfler la Deuche, traverse la ville comme un éclair tintinnabulant, se faufile entre les fourgons de livraison qui encombrent la cour de la Lanterne et se précipite dans l’escalier.

Pas possible, ils ont dormi là !

Sont tous dans le bureau.

D’ailleurs, la porte est ouverte.

- Je suis en retard ? s’inquiète-t-elle ?

- Pas plus qu’hier répond le Dragon qu’il va falloir rebaptiser s’il continue de sourire à chaque apparition de Béatrace.

Bon, c’est vrai qu’elle a la frisure particulièrement vaillante pour ce petit matin, mais elle a fait dans la tenue de combat plutôt sobre, droit venue des surplus américains. Juste un ceinturon vert fluo à la taille sur la veste camouflée pour faire ressortir ses avantages, quoi, faut rester femme, n’est-ce pas ?

- Allez, on y va, enchaîne Arthur pour dissiper un moment de perplexité. Mon père m’a montré vos informations relatives au monument aux morts. Il se pourrait qu’on trouve la raison de tout cela dans nos archives…

N’empêche, Eusèbe reste un peu bougon, malgré les clins d’œil de Jeanne. C’est vrai que de partager LE secret de la famille avec cette fille mal dégrossie ne l’enchante pas.

De son côté, bien sûr, Béatrace bave des ronds de chapeau dans l’aventure (Ah dis donc quand je raconterai ça à Rébéquée, à Jules et à Victor !!!) et elle bout d’impatience.

- Jeanne, tu assures la permanence, la ligne est rétablie.

 

Eusèbe Malfort part en tête du groupe et tout le monde prend l’ascenseur : premier sous-sol, l’imprimerie, deuxième sous-sol, archives, locaux techniques, suivez le guide !

Au fond, la porte de communication entre les caves de l’immeuble et celle de la petite maison.

Avant de l’ouvrir, pour dire ce qu’il a sur le cœur, et parce qu’un pet retenu fait un abcès au trou du cul[2], Eusèbe a regardé Béatrace bien en face :

- Toi, ma fille, si tu racontes à qui que ce soit ce que tu vas voir, je te fais brouter tes poils de moustache jusqu’aux racines de tes poils de cul. Vu ? C’est du secret de famille, personnel et tout. (C’est vrai qu’il a pas l’air commode quand il la fait Gabin, se dit Béatrace du coup un peu pâle, encore qu’excitée comme la jument que le taon pique sous la queue.)

- Elle ne dira rien, papa, je lui fais confiance : il y va de la vie de ses amis. Et peut-être bien du salut du monde. On n’en est plus aux secrets de famille…

- Tu as raison, mais vaut mieux qu’elle sache où elle met les pieds.

- Je vous le jure !!! Je ne dirai rien ! Je serai muette comme un tombereau.

Et elle crache par terre un GGG (gros glaviot gras) censé sceller un pacte à la vie à la mort, si j’mens j’vais en enfer, et sur lequel elle tend la main avec le geste solennel qu’elle assimile au serment de la Victoire de Samothrace, avant de l’écraser d’une semelle décidée autant qu’hygiénique.

 

Ce qui sidèrerait le père autant que le fils s’ils n’avaient pas d’autres préoccupations et s’ils n’avaient pas déjà tourné le dos.

 

Ils ont franchi la porte de la cave, louvoyé entre les déblais accumulés par Arthur, et sont entrés dans le souterrain, lampe de poche en main.

Béatrace suit comme elle peut.

Eusèbe soulève le caillou qui cache l’interrupteur, au dixième mètre après l’éboulement, et ouvre la porte camouflée qu’il a ménagée dans un recoin.

La lumière de la pièce où il a rangé ses archives inonde alors la galerie.

Pièce sombre dont la voûte est taillée dans la masse du rocher brun jaune, aux murs couverts de casiers chargés de dossiers. Des caisses ici et là. Une table de bois blanc. Quatre chaises. Au fond, sur un chevalet, un plan de la ville et de ses environs punaisé sur un contre-plaqué.

C’est ce plan qu’Eusèbe est venu voir.

- Donne-moi le calque, demande-t-il à Arthur.

Celui-ci sort un rouleau d’un casier et déroule un calque tracé à la main.

- C’est le relevé des galeries souterraines que nous avons effectué. Regardez, dit-il à Béatrace et à Arthur en montrant l’emplacement du monument aux morts, il y a une salle juste dessous. J’en étais sûr, je voulais seulement vérifier. Prenez des torches, on va aller voir !

- Pourtant ils ont fait des sondages, remarque Béatrace. Ils n’ont pas trouvé de cavité…

- Les galeries sont profondes à cet endroit. Ils n’ont pas dû forer très loin, explique Arthur qui ajoute qu’ils feraient bien de prendre quelques précautions avant de s’aventurer là-dedans.

Et il ouvre l’une des caisses : mitraillettes Sten de la dernière guerre avec leurs chargeurs, grenades, pistolets Luger « pris sur l’ennemi »… Des souvenirs, quoi.

- Vous savez vous en servir ? demande-t-il à Béatrace

- Ben, pas trop, à part à la fête foraine…

- Alors vous porterez la musette.

Et il lui tend une musette de toile kaki (d’époque !) qu’il remplit d’ « ananas », de paquets rectangulaires, et de rouleaux qui ressemblent à de la corde…

- C’est quoi ça ? demande Béatrace

- Grenades, plastic, détonateurs, mèches lentes… répond Eusèbe, comme si cela allait de soi.

- Mais vous voulez nous faire sauter ? s’inquiète Béatrace.

- Nous, non. Mais si une galerie est murée, ça pourra servir, enchaîne Arthur.

 

Décidément, Béatrace est à la fête ! Elle cambre un buste martial (et rebondi, quoique pas assez à son goût), musette à l’épaule et en avant, marche petit soldat ! Tout juste si elle ne salue pas !

 

La galerie est sombre et s’enfonce selon une pente régulière. Son étroitesse les force à progresser en file indienne, les deux Malfort, Eusèbe devant, encadrent Béatrace.

La voûte est basse.

Ils doivent se pencher alors qu’elle reste droite, ce qui fait qu’elle sent avec des frissons le souffle d’Arthur tout près de son cou.

Mais. Bon. On n’est pas là pour rigoler.

Deux bifurcations. Eusèbe se dirige sans hésitation. Un rond-point, petite salle où débouchent cinq ou six galeries. Là encore, pas d’hésitation.

- C’est un labyrinthe ! s’étonne Béatrace.

- En effet, répond Eusèbe sans interrompre sa marche éclairée par une puissante torche électrique. Notre famille l’explore depuis quatre générations et personne ne sait qui l’a creusé. On dit que ce serait le travail des cagots. Vous êtes la première étrangère à la famille à y pénétrer : officiellement, c’est effondré… Mais… On devrait arriver dans cette salle sous le monument…

Impasse. Un mur. Comme si la galerie s’interrompait.

- Une impasse? demande Béatrace.

 

Arthur est passé devant elle et examine la paroi avec son père dans le faisceau rapproché de la lampe :

- Non, ce n’est pas une impasse…

- Vous êtes sûrs de ne pas vous être trompés de galerie ?

- Oui, répondent-ils en chœur.

- Et la salle est derrière ce mur. Elle a été murée, enchaîne Eusèbe sans l’ombre d’une hésitation.

- Mais ce n’est pas un mur…

- Si, reprend Arthur. Un mur camouflé en paroi brute d’origine. Et c’est très bien fait. Si on ne connaissait pas aussi bien les lieux, on y croirait,  mais là, il n’y a pas de doute.

Il pose la mitraillette qu’il tenait sous son bras et sort un canif de sa poche, gratte la paroi tandis que son père l’éclaire en hochant la tête… Des écailles de poussière : le même schiste argileux marron clair, aussi tendre que celui de la paroi à laquelle il se raccorde par un joint infime. Des pierres ajustées avec précision, aux joints invisibles, camouflés dans les lignes des feuillets du schiste et qui laissent une impression de continuité. Comme si la galerie s’était arrêtée là, avec des effets d’arrondi.

- C’est récent. Je dirais que cela date de quelques années. Ils ont dû s’apercevoir que l’on venait ici de temps en temps et fermer les lieux. C’est sans doute pour ça qu’ils ont fait tomber l’entrée du passage.

- Heureusement qu’ils n’ont pas trouvé mes archives ! s’écrie Eusèbe

- S’ils les avaient trouvées, qu’auraient-ils fait ? lui demande Arthur.

- Mais de qui parlez-vous ?

- De ceux qui ont bâti ce mur, et qui ne tiennent pas à ce que nous les trouvions. Ils ont dû s’arrêter à l’éboulement de l’entrée… doivent pas être très malins… répond Eusèbe comme pour lui-même. Je me demande…

- On le pétarde ? l’interrompt Arthur.

- On le pétarde ! enchaîne son père. Donne-moi le plastic.

- Attends, je vais essayer de creuser, la pierre est tendre…

Avec son canif il creuse entre la paroi et la pierre qui s’y appuie. Une cavité vite dégagée vite élargie, car derrière le parement de la première pierre, soigneusement disposée mais pas très grosse, le blocage est facile à démonter.

 - On pourrait presque passer comme ça…

Mais derrière le blocage apparaît une paroi de béton…

- Le plastic, vite…

Eusèbe s’est tourné vers Béatrace qui tient toujours sa musette…

- Oui, voilà…

Du coup, elle réalise qu’elle transporte des explosifs et elle tend le sac avec un retrait craintif de tout le corps.

- N’ayez pas peur, ça n’explose pas tout seul.

- N’empêche… (elle en frémit des genoux dans son pantalon léopard étroit).

Rapidement, le pain de plastic est mis en place au fond du trou qu’Arthur a creusé dans le mur. Un détonateur, une mèche.

- Tu as du feu ? demande Arthur à son père.

- Tu m’as fait arrêter de fumer bougre de fils de… !

- Moi j’en ai…

Et elle extrait son briquet de secours de la petite poche adéquate du pantalon. Le briquet qu’elle gardait pour les pétards de l’amant secret (l’ex-amant secret… au fait comment c’était son nom ?) qui fume, lui, pas elle, et qui pour une fois sert à quelque chose (le briquet).

Arthur allume la mèche.

- Aux abris ! s’écrie le père en repartant vers la salle rond-point.

- Mais… ça va exploser !!! s’écrie Béatrace affolée.

- Oui, vite ! Et Arthur la pousse à la suite d’Eusèbe qui a pris de l’avance.

Elle couine un peu alors qu’il la pousse entre les épaules, derrière la lumière que tient Eusèbe.

- Venez, dans l’autre galerie !

Eusèbe a pris la première à droite dans la salle du rond point pour échapper au souffle de l’explosion et il s’est accroupi, les mains sur les oreilles.

Arthur reste debout et Béatrace toujours affolée, se glisse derrière son dos.

(Ce type est un vrai mur, pense-t-elle in petto en se collant à lui, ce qui lui fait prendre conscience de son excitation parce que ses petits seins pointus sont tout durs et qu’elle les frotte contre son dos musclé par un réflexe qui la rend (presque) confuse en pensant à la comptine …)

 

Boum !

 

Ça pète.

 

Très gros bruit, nuage de poussière en rafale qui les aveugle, rend presque imperceptible la lumière de la torche, fait reculer un peu Arthur qui du coup presse plus fort son dos sur Béatrace qui couine derechef…

(… la comptine : Une poule contre un mur qui s’y frotte ses seins durs… (par réflexe, elle referme ses bras autour de la taille d’Arthur qui, par réflexe lui prend les poignets et lui descend les mains un poil plus bas où par réflexe elle referme les mains…) Tifroti, tifrota, le gros bâton que voilà !)

… et se serre, ou serre, s’accroche à ce qu’elle peut pour se protéger et de toutes façons il fait si sombre que personne ne peut la voir rougir, impressionnée par ses découvertes mais en même temps, l’idée de la comptine et la commotion de l’explosion font qu’elle se met à rire en disant :

- Une poule contre un mur…

Et puis elle tousse à cause de la poussière, mais la toux les a séparés et Arthur lui fait face, éclairé du dessous par la torche posée à terre et dont la lumière émerge de la grisaille, ce qui fait que le relief, éclairé du dessous…

Mais déjà Eusèbe se relève et repart vers l’autre galerie avec un cri de Sioux parce que lui, il retrouve les émotions de sa jeunesse alors qu’Arthur est tout surpris (et amusé) d’avoir du mal à marcher, (vu son réflexe qui ne se détend que progressivement) face à Béatrace qui le regarde en rigolant pour finir sa comptine :

- … contre un mur, qui s’y frotte ses seins durs, tifroti, tifrota, le gros bâton que voilà !

Ce qui génère un double éclat de rire avant qu’ils ne partent sur les traces d’Eusèbe, Arthur qui n’y comprend rien sinon que cette fille à moustaches est invraisemblable et qu’elle l’a bel et bien fait bander illico presto comme un âne, et Béatrace, toute allumée, qui court derrière, essuie ses moustaches poussiéreuses et les larmes de rire qui coulent sur ses joues.

 

Le mur est tombé.

 

Derrière, l’endroit où Eusèbe promène le faisceau de sa lampe semble vide de prime abord.

Arthur et Béatrace ont repris leur sérieux.

C’est vrai quoi, on n’est pas là pour rigoler.

Ils pénètrent par la brèche : le lieu est vaste, formé de plusieurs voûtes accolées avec des piliers ici et là, réservés dans la pierre. Plutôt un entrepôt. Le fond reste dans l’obscurité.

- Ça a été agrandi, remarque Eusèbe. Si je me souviens bien, c’était à peine plus grand que mes archives. Il n’y avait qu’une travée.

- Et c’est la première fois que j’y vois des rails, observe Arthur qui bien sûr avait déjà accompagné son père dans les lieux.

- Regardez, ils vont à ce portail… et là, au fond… appelle Béatrace qui caracole en montrant une forme, un engin dans la pénombre…

- Un locotracteur à voie étroite. Comme dans les mines…

Arthur saute à bord de l’engin, sorte de parallélépipède métallique sans siège, avec seulement un emplacement libre pour un conducteur debout derrière un pupitre équipé de quelques manettes. Pas de cabine bien sûr. L’engin est attelé, juste derrière le poste de conduite, d’un bras de charge télescopique monté sur une plate-forme destinée à recevoir des charges longues et lourdes, certainement cylindriques, à en juger par les supports en berceaux qui s’y trouvent.

- On dirait un tramway, comme ceux que je prenais pour aller à l’école ! Ce que je pouvais admirer le wattman !

Debout au poste de conduite, il tripote un moment les boutons et manettes de commande, bascule un interrupteur. Un ronflement indique que l’engin répond à ses sollicitations :

- Ça marche sur batteries, il est prêt à partir !

Il coupe le contact et descend rejoindre son père et Béatrace.

- Les rails sont brillants, ils ont servi il n’y a pas longtemps. Regardez, il est branché ! remarque-t-elle en faisant le tour et en se glissant entre le mur et l’engin, reliés par un gros câble électrique.

- C’est sûrement pour recharger les batteries, ajoute Arthur.

Ils suivent les rails et se retrouvent tous les trois devant le large portail de fer, hermétique, épais, lourd, monté sur des glissières massives et fermé d’une grosse serrure.

- En tout cas, ça ne date pas de la guerre, observe Eusèbe qui lève la tête et dirige le faisceau de sa lampe vers le plafond, et cet éclairage non plus, ni ces conduits de ventilation…

Il montre des tubes fluorescents et des ouvertures grillagées manifestement très récents :

- On a stocké ici des choses bizarres. Et sous le monument aux morts. Si ça tombe… mais c’est facile à vérifier…

- Vérifier quoi, demande Arthur qui connaît les réflexions à haute voix de son père.

- J’ai des fumigènes dans mes archives. Il faudrait quelqu’un là haut près du monument aux morts : on percute un fumigène ici en bas et la fumée doit sortir par là…

- Génial !! enchaîne Béatrace que ses nouvelles découvertes ont dopée. Y’a qu’à remonter, et…

- Moi je vais chercher les fumigènes, tranche Eusèbe. Vous deux, vous remontez et Arthur envoie quelqu’un au monument aux morts. Les portables ne passeront pas ici, mais je peux appeler Jeanne depuis les archives. Lorsque tu auras envoyé quelqu’un au monument, tu redescendras m’aider et Béatrace… c’est bien ça, Béatrace ? (Comme si tu l’avais oublié, se pense-t-elle en confirmant d’un hochement de tête) Béatrace restera là haut pour faire la liaison …

- Pas d’accord ! s’écrie Béatrace (qui après coup n’en revient pas de son audace, pas plus d’ailleurs qu’Eusèbe qui, depuis trente ans n’a pas entendu une telle insolence et qui en reste baba au point de ne pas réagir). Pas d’accord : le Dragon, pardon, M’me Marty, Jeanne, enfin, vous voyez qui, sera bien plus capable que moi de faire la liaison, moi, je reste en bas. Pour vous aider… !

- Mais… objecte Arthur …

- Mais ? elle le regarde en face, l’œil flamboyant, moustache en bataille et buste brandi, ce qui lui arrache un rire qui laisse pour le coup le papa pantois.

- D’accord, je me rends !!

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- T’inquiète papa, c’est vrai que M’me Marty sera plus efficace. On l’appelle des archives pour qu’elle envoie quelqu’un au monument aux morts. Pendant ce temps là, on revient ici pour percuter le fumigène, et puis on retourne aux archives pour attendre son appel. Il vaut mieux rester ensemble, des fois qu’on ait de la visite…

- Au fait, reprend Béatrace, vous trouvez normal que personne ne nous ait entendus ? Entre le plastic et nos discussions, on n’a pas fait dans la dentelle…

Ça a jeté un froid, et le nez des mitraillettes s’est redressé du coup, et puis comme par un haussement d’épaules collectif, ils sont ressortis par la brèche du mur.

 

Le chemin du retour vers la salle des archives, c’est le même, sauf que ça monte.

 

Béatrace s’essouffle un peu derrière Arthur dont les grandes jambes suivent celles non moins grandes d’Eusèbe qui a retrouvé la pêche de ses vingt ans et qui aussitôt arrivé aux archives replonge dans ses coffres d’où il extrait quelques fumigènes.

- Allez-y, enjoint-il à Arthur et Béatrace en leur tendant deux petits cylindres métalliques, Je reste ici pour prévenir Jeanne et pour attendre le résultat. Tu as raison, Arthur, il vaut mieux que vous soyez deux au cas où…

Le retour vers la caverne, ça descend de nouveau… Mais ils ne sont plus que deux… Comment dire ? Une certaine gêne ?

- Je… Excusez-moi … pour tout à l’heure… souffle Béatrace.

C’est si incongru qu’Arthur éclate de nouveau de rire, la prend dans ses bras d’autorité et lui roule la pelle du siècle. Quand il la relâche, essoufflée et suffoquée, il lui glisse à l’oreille :

- On règlera ça plus tard.

Et il retire un poil de moustache qui est resté coincé entre deux de ses incisives.

 

Quelques instants plus tard, le téléphone sonne dans la salle des archives secrètes où ils sont de nouveau réunis : le correspondant envoyé au monument aux morts voit nettement de la fumée sortir par la bouche du Poilu qui, avec un cri silencieux, tend vers le ciel la palme de bronze du martyre de 14-18. 

DSC_0479 rec + NBO avev VB en S + contraste+Contraste

La crypte 4 Recadré NBO + Contraste

DSC_0528+NBO VB en S+contraste

 La crypte 5 Recadré NBO + Contraste 

DSC_0672+ NBO avec VB en S + Conques en S1

Esquisse NBO + contraste

 

 

LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10 - feuilletonton

L'éveil du Noyer Zédation de 26 images +CdP + CS1 C'est l'histoire où Rébéquée fait la connaissance d'Amaïa, la Nouvelle Mère. Lundi 18 avril Agotchilho Rébéquée s'éveille dans la tiédeur de l'eau, la nuque posée sur le rebord poli de la cuve de pierre, bras et jambes écartés et détendus, toute douleur enfuie.

http://feuilletonton.canalblog.com


La suite, c'est ici



[1] Panoramique de 6 images, ici, à main levée, en DX.

[2] Comme dit Julos Beaucarne…

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