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feuilletonton
15 juin 2016

LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10

Le début de l’histoire c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

L’épisode précédent, c’est ici

La table des matières, c’est ici

 

2ZB26DMSrec+CS1                       

L’éveil du Noyer Zédation de 26 images +CdP + CS1

 

N°29 / LA NOUVELLE MÈRE / P1C2E10

C’est l’histoire où Rébéquée fait la connaissance d’Amaïa, la Nouvelle Mère.

 

Lundi 18 avril

8 heures

Agotchilho

 

Rébéquée s’éveille dans la tiédeur de l’eau, la nuque posée sur le rebord poli de la cuve de pierre, bras et jambes écartés et détendus, toute douleur enfuie.

Près d’elle, le souffle léger d’Hélène qui dort, paupières closes, un sourire paisible aux lèvres.

Mais le souvenir est là, présent, précis, obsédant. Ses mains liées devant elle sur la margelle noire, Jules, Jules…

Et ses larmes de couler de nouveau devant la vision insupportable du crabe qui se dresse, du sang qui jaillit…

Et puis, c’est le souvenir des mains crispées sur ses hanches tandis que….

Ses larmes coulent, chaudes sur son visage, mais son corps est lavé des meurtrissures, sa vigueur est revenue.

Elle attire Hélène contre son épaule, se jure bien qu’elle ne lui dira pas, qu’elle ne lui dira rien.

Jamais.

 

Dans son sommeil, son amie lui sourit, bredouille, la tête, là, dans le creux de son cou, membres déliés, à l’abandon, et Rébéquée caresse tendrement son visage.

Un bruit lui fait tourner la tête vers la porte qui s’est ouverte. 

Deux « Boules » sont entrés précédant celle qui était assise sur le fauteuil de pierre, celle qui a accouché devant eux, celle qui a poussé d’un geste presque tendre la tête sanglante de Jules dans le gouffre du crabe… Celle que la Vieille, qui se nommait elle-même comment déjà ? ah oui, Ônyà, la Mère, appelait la Nouvelle Mère, et dont Rébéquée n’a rien à faire parce qu’elle continue de caresser doucement le visage d’Hélène en se désintéressant des nouveaux arrivés qu’elle entend vaguement grogner autour du cadavre du concierge Chocho.

Tiens, c’est vrai, elle l’avait oublié celui-là.

Du coup elle tourne machinalement la tête et voit que les deux Boules le tirent dehors par les pieds, sa tête désarticulée ballottant et rabotant sa face sur le sol entre ses bras mous qui traînent derrière lui.

La « Nouvelle Mère » s’est assise sur la couche et allaite son bébé qui tête goulûment un sein plantureux.

Cette fois encore, et malgré la distance de sa rancœur, Rébéquée est frappée par son aspect hiératique, son front bas barré des bourrelets qui sous-tendent d’épais sourcils, son crâne fuyant dont la ligne est accentuée par les cheveux, coiffés en petites nattes tressées chacune au centre d’un carré de cheveux tirés qui lui dessinent comme un damier jusqu’en haut du crâne, les nattes se rejoignant en une suite de lignes raides collées par de la graisse sur la nuque, et surtout elle ne peut s’empêcher de rester fascinée par ces yeux noirs, immenses, au luisant opaque d’obsidienne, si sombres, si profonds qu’on les croirait dépourvus de pupille, ou constitués d’une seule immense pupille dont la profondeur aurait avalé tout l’iris jusqu’au blanc d’ivoire de la cornée. Des yeux de statue. De ces statuettes incroyables de la Mésopotamie ancienne ou d’ailleurs qu’elle a vues à dieu sait quelle exposition et devant lesquelles elle était restée, fascinée, un temps qu’elle n’avait même pas cherché à mesurer, si bien qu’un gardien avait dû lui demander de sortir : on ferme ! Un visage presque rond, à la peau ocre, sans doute enduite de quelque substance argileuse, tendue sur des pommettes hautes, une bouche large et modelée dans un rectangle rigide.

Fermée sur un silence patient.

 

Assise genoux écartés, sans pudeur ni provocation, avec une habitude de la nudité qui en rendait les détails, aussi précis et aussi crus qu’ils fussent, aussi naturels et aussi… purs (c’était l’idée qui s’imposait à l’esprit de Rébéquée, même si elle lui semblait incongrue, mais justement…) oui, aussi purs, que ceux d’une statue.

Rébéquée pouvait contempler ces seins lourds où roulait la tête du bébé, gonflés de leur lait, ce ventre épanoui entre les hanches larges, ces cuisses lourdes entre lesquelles se devinaient les ombres d’une toison profonde, et ces chevilles puissantes, avec le même détachement sensuel et le même plaisir esthétique que les lignes fortes d’un Maillol, elle pouvait se perdre dans ce regard minéral avec le même bonheur inconscient que dans celui des statuettes mésopotamiennes. Alors qu’un regard d’Hélène ou le frôlement de son sein, elle le pressentait faute de l’avoir éprouvé consciemment (leurs caresses avaient été jusqu’ici volées à l’ivresse), lui couperaient le souffle.

- Tu as bien fait de le tuer, il avait été perverti par les Pouyagoumyôs …

Un peu surprise, Rébéquée tourne la tête cette fois franchement vers la nouvelle venue.

- Les Pouyagoumyôs ?

- Ceux qu’Ônyà a appelés devant toi les Pouyagoumyôs : « Ceux qui sont derrière la porte de fer ». Ceux qui vous ont capturés, toi et tes amis, et qui vous ont livrés à nous, puisque c’est eux qui ont dit à leur « concierge », que tu as puni, de vous piéger dans notre cité, puis qui vous ont capturés lorsque vous nous avez échappé.

Je m’appelle Amaïa, et tu es Rébéquée, même si Ônyà t’a nommée Ouôtâne.

Ônyà a accompli son destin et a rejoint Ôoumloc comme elle le souhaitait avant qu’il ne regagne ses abysses, ses amours achevées. Elle était très âgée et a vécu pour son peuple. Tu ne dois pas la haïr : elle t’estimait beaucoup.

Rébéquée hausse les épaules et détourne la tête pour regarder en souriant le visage endormi d’Hélène.

- Tu sais ce que je lui ai dit à ta vieillarde ?

- Oui. Elle me l’a répété. Je te comprends. Nous nous reverrons lorsque tu auras repris toutes tes forces et reconquis la paix de ton esprit. D’ici là, mange sans crainte, soigne ton amie qui dormira encore longtemps, et réfléchis.

 

Somptueusement nue et l’enfant endormi sur son sein, elle se lève et elle sort. 

 

8ZB39DMS+RVB en S

L’orobranche Z38+ cdP+RVB en S

 

N°30 / LE NUMERO UN S’EXPLIQUE / P1C2E11

C’est l’histoire où, dans le sous-marin, le Numéro Un expose à Victor et Clémentine sa philosophie de la vie, sa conception du Pouvoir, et ses buts politiques.

 

Mardi 19 avril

8 heures 30

Hai II

 

Le Numéro Un s’esclaffe :

- Ah, mes amis, venez lire ça !!! C’est une merveille !!! Ils ont ressorti les chassepots !!!

 

Il est assis devant l’écran d’un ordinateur dans la bibliothèque où Vic et Clèm viennent d’entrer, sous la conduite de leur « ordonnance » Vladimir, et ce qu’il lit semble le ravir :

- Venez voir, c’est encore mieux que ce que je pensais !!!

 Derrière lui, Piotr, debout et sourire en coin, s’écarte pour leur laisser la place.

 Victor s’approche pour lire par-dessus l’épaule du Numéro Un.

 Et il découvre la première page de la Lanterne !

 - Mais c’est la première !

- Oui, l’un de nos… amis a installé un système de mouchard qui nous ouvre toute votre informatique, aussi bien au Matois qu’à la Lanterne. D’ailleurs c’est la même chose maintenant, ils ont fusionné les deux titres : lisez, ils ont publié cela vendredi !

- L’un de vos amis ?

- Nous avons des amis partout, (avec un rire grinçant) l’écologie est une noble cause qui attire les bonnes volontés. Voyez-vous (il s’écarte de l’écran pour regarder son interlocuteur en face) ; l’un de nos penseurs du siècle dernier, un certain Rudolf von Sebottendorf[1] pour être précis, et quelques-uns de ses amis, ont développé le principe d’une stratégie remarquable : pour lui, pour eux, le combat culturel précède le combat politique et le combat politique précède la lutte armée. Mais je vous en parlerai bientôt de manière plus… concrète. Nous sommes encore dans le combat culturel. Et nous abordons le combat politique, grâce à votre collaboration. C’est au nom du combat culturel, de cette fabuleuse lutte pour un monde propre, que nous avons acquis les collaborations dont nous avons besoin… (il s’interrompt et regarde plus intensément Victor en face, comme s’il le découvrait) Mais… Vous, vous avez changé ! Notre influence déjà ? Je… (il éclate de rire) La moustache ! Vous avez rasé la moustache !!!! Quelle excellente initiative ! Entre nous et si vous me permettez cette remarque indiscrète, je trouvais ces crocs démodés. Mais il en va de la moustache de l’homme comme de la coiffure de la femme : c’est un changement de personnalité. Et la vôtre n’avait pas besoin de ces crocs conquérants (il affiche un large sourire). Nous conquérons le monde. Vous n’avez plus besoin de paraître conquérant, mon ami ! Vous l’êtes !!!

- C’est votre rasoir électrique qui a glissé. Une simple maladresse de ma part. N’en tirez aucune conclusion.

- Bien sûr, bien sûr. Mais trêve de plaisanteries. (En montrant l’écran) Que pensez-vous de ceci ?

- Je vois que les deux rédactions ont fusionné, remarque Clèm qui est restée en retrait et vient de s’approcher pour découvrir l’écran. Arthur Malfort est un homme généreux (Victor amorce le geste de friser ses moustaches, et se trouve réduit à froncer les sourcils)… Son père est un type bien, mais je ne le connais pas…

- Un type bien ! s’esclaffe le Numéro Un. Une antiquité !

- Pas plus que votre père, remarque Clèm glaciale.

 Le Numéro Un se retourne pour la regarder en face :

- Mon père n’a jamais pris sa retraite ! Il n’est jamais sorti de l’action. Malfort, lui, joue « Le Retour ». Il sort de ses pantoufles. Mais cette fois, c’est nous qui disposons des cartes qu’ils n’ont pas su, pas osé utiliser. La Résistance !!! Après cinquante ou soixante ans, ils en sont encore à se gargariser de leurs vieilles lunes ! Allons, mes amis, vous croyez sincèrement qu’ils ont une seule chance face à nous ? Dans leur « démocratie à réaction » qui n’a vraiment rien d’une fusée, leur « Président » va en référer à l’Assemblée des « élus à réaction » du Peuple, qui vont se mettre à imaginer les réactions de leurs électeurs devant leurs possibles réactions officielles ou officieuses, pour savoir comment stratégiquement réagir et quelles réactions adopter au bout du compte. Deux sondages et trois émissions débat plus tard ils balanceront entre marcher ou reculer, peut-être mobiliser, mais quoi, contre qui pour ne mécontenter personne de leur électorat ? Allons, pas d’inquiétudes : le temps qu’ils réalisent, qu’ils réagissent et qu’ils lancent Vigie-Pirate, nous serons les Maîtres !

- Les maîtres ? demande Victor ? Mais pour quoi faire ?

- Pour être les Maîtres. C’est une ambition en soi. Et pour imposer notre vision des choses et du monde. Décider. Pouvoir. Je vous assure, mon cher, que c’est là l’ambition la plus élevée et le plaisir suprême auxquels un homme puisse accéder. Pourquoi le roi veut-il être roi ? C’est ce qui motive l’humanité depuis ses débuts, ce qui constitue le plus noble de ses buts. Du Maire de village à Gengis Khan, du boutiquier qui harcèle son pauvre employé à Rockefeller, de votre « Président » à l’adjudant de service, tous veulent jouir du Pouvoir. Tous jouissent de leur peu de Pouvoir. Ils aimeraient bien Pouvoir tuer, parce qu’ils pressentent que c’est cela le vrai Pouvoir, mais ils n’osent pas, coincés par les règles qu’ils ont imposées aux autres pour s’en défendre ! Alors, ils recherchent le Pouvoir. Plus de Pouvoir… En espérant qu’ils pourront tuer un peu plus au cran supérieur de la hiérarchie. Aucun n’a notre force : nous, nous tuons. Qui nous voulons, quand nous voulons. Comme nous voulons. C’est cela notre Pouvoir. C’est nous, le Pouvoir. Et nous le garderons. Parce que nous sommes une famille, ce que vous appelleriez une Dynastie, une famille organisée et secrète, inaccessible parce qu’ignorée. Le vrai Pouvoir ne doit en aucun cas être ostentatoire. C’est l’ostentation qui a tué les dynasties du passé et qui les réduit à ces marionnettes de carnaval que vous voyez autour de vous.

Mais assez de… philosophie, que diable, soyons joyeux ! Et répondons à leurs attentes, ils doivent se demander, comme vous, ce que nous voulons, puisque nous avions dit (il suit du doigt la ligne de sa proclamation sur l’écran) : « Nous vous contacterons dès demain pour vous dicter nos conditions et vous faire connaître nos exigences écologiques ». Alors allons-y ! Nous sommes déjà en retard ! C’est vous, mes amis, qui leur transmettrez. Le mail partira cette nuit. Piotr, papier, crayon. Vladimir, leur ordinateur doit être prêt. Et une photo de nos amis dans la bibliothèque pour montrer leur collaboration. Ici, tout le monde travaille !!!

 Il se frotte les mains en riant, se relève, arpente la pièce et vient pousser amicalement Victor à s’asseoir devant le bloc que lui a présenté Piotr toujours souriant et louchant sur Clèm qui le snobe ostensiblement :

- Donc :

D’abord, une adresse liminaire, du genre « Peuples de la Terre », nous plaçons la Terre par-dessus tout, vous êtes des gougnafiers de l’avoir négligée et nous nous sommes donné les moyens de vous forcer à la respecter. Comme c’est nous les plus forts, vous obéirez. Je vous laisse broder sur le thème. Faites dans le solennel avec pour message : de toutes façons si vous continuez comme ça la terre est fichue, alors fichue pour fichue, nous n’hésiterons pas à vous atomiser.

 Ensuite, vous énoncez nos conditions. Et là, soyez précis, écrivez…

 Après dix minutes d’une dictée qui laisse pantois les journalistes, le Numéro Un se penche tout guilleret sur l’épaule de Victor qui noircit le bloc de ses notes :

- Ces premières injonctions des Écolocroques, à paraître dès demain, seront transmises dès que possible. Ajoutez le récit de votre séjour, vos impressions… Positives… Positives ! insiste-t-il. Et regardez… (les pages suivantes du journal s’affichent sur l’écran) Bien… Ils ressortent les affaires du dossier Écolocroques…

 Il relit au fur et à mesure de l’affichage des documents et éclate de rire :

- Le hangar de la SOPAPI, tu te souviens, Piotr ? C’est là que notre mauvaise payeuse avait planqué son stock. Elle l’a avoué après cinq minutes d’intimité avec son crabe. Tu as récupéré le stock et brûlé le reste. Et on a fait croire que c’était des OGM. La pisciculture… ah, ça c’était joli. Combien a-t-on versé au Conseiller en matière d’économie électorale pour qu’il flanque le type à l’eau et qu’il le récupère ? 4000 ? Il voulait « 6000 en plus [2] », comme il disait !!!  Dix mille, quoi !!! Il a dû se contenter d’un article dans le journal. Un brillant avenir politique… Ça c’était pour faire plaisir aux Chochos : le ruisseau finit dans un de leurs machins souterrains… Le silo de Bordeaux, on n’y est pour rien. Un accident, mais on a récupéré le bébé… C’est comme la fuite de pinard : une blague de potaches. Tu te souviens ? C’est toi qui as eu l’idée dans une réunion d’écolos en les entendant se disputer sur leurs certifications… La pépinière… On essayait un lance-flamme. Tant qu’à faire, autant que ça serve à quelque chose. Pas terrible d’ailleurs le lance-flamme en question. Le notaire, oui, c’est celui qui voulait faire des recherches généalogiques autour de la base d’Agotchilho. C’est le fils du pharmacien qui nous a prévenus, un brave petit écolo lui aussi. Bon p’tit gars ! C’est lui qui a barbouillé les murs de papa. C’est bien, ces jeunes qui placent leur idéal « über alles » ! Le tractopelle, ce sont des imbéciles du coin, des histoires de chasseurs je crois, ou de bergers, mais là aussi… on récupère ! Et… Ah, oui, le directeur de supermarché ! Un tyranneau local qui jouissait d’emmerder son personnel et qui a voulu des « cadeaux », des « marges arrière » pour continuer à vendre le pain d’algues. J’étais là quand il s’en est pris à ce petit curieux, qu’on a dû mettre aux crabes (Clèm s’est redressée, livide, et Victor lui a saisi vivement la main pour la contenir)… Comment s’appelait-il déjà, c’est mon père qui s’en est occupé… (il se redresse et regarde Victor qui reste paralysé, le stylo enfoncé dans le bloc et la main gauche serrée sur celle de Clèm) J’oublie parfois les détails, vous savez…

- Hector, il s’appelait Hector, lui rappelle Piotr.

- Voilà… Piotr a une excellente mémoire. Hector… Eh oui, nous soutenons nos amis, nos collaborateurs, si lointains soient-ils, et celui-là était vraiment lointain, et nous l’avons soutenu contre ce tyranneau aux petits pieds. Mais il ne faut pas nous trahir, je pense à Hector, naturellement. Bref, ce bonhomme du magasin en question nous a beaucoup amusés. En dix minutes de conversation, nous l’avions convaincu de nous donner son magasin, sa femme, ses deux filles et les caissières qu’il forçait à coucher avec lui sur les cartons de la réserve. Mais nous sommes restés incorruptibles. Nous ne sommes pas des marchands de tapis, n’est-ce pas, mon cher Piotr ? Vous allez rire, Piotr venait de voir un reportage sur les dauphins de Méditerranée qui s’étouffent dans les sacs plastique que les touristes jettent à l’eau. Ça lui a donné l’idée du dauphin gonflable ! Pas mal, hein ? Allez, viens Piotr, nous avons du travail. (Il s’adresse à Victor, toujours figé) Et n’oubliez pas : les injonctions des Écolocroques, à paraître dès demain en publication intégrale, insistez bien, seront transmises dès que possible. Et les impressions positives (il détache les syllabes) po-si-ti-ves sur votre séjour ! La Terre par-dessus tout !!!

 Il éclate de rire et il sort suivi de Piotr  et de son sempiternel sourire.

- Ah, j’oubliais : (il est revenu en arrière et passe la tête par la porte) Rudolf von Sebottendorf… Vous trouverez ses écrits et quelques autres dans notre bibliothèque. Je pense qu’il doit y en avoir une traduction française, si vous ne lisez pas l’allemand. Nous avons encore trois jours de navigation, les journées sont longues à bord d’un sous-marin lorsque l’on est passager…

Et il referme doucement la porte.

 

Clèm s’assied près de Victor qui lui lâche la main. Vladimir s’assied à son tour de l’autre côté de la table où il a posé l’ordinateur portable de Vic.

- Il est fou !!! Complètement cinglé ce type ! Et il dispose de… mégatonnes !!! souffle Clèm.

Victor regarde Vladimir qui pose un doigt sur ses lèvres : le lieu n’est pas sûr.

- On doit écrire, mon Canon. Aide-moi… C’est tout ce qu’on peut faire pour l’instant. 

13ZA35DMS+RVB en S

 Zédation de 35 images + CdP + RVB en S

 

N°31 / BÉATRACE, AMOUREUSE, S’ENVOIE EN L’AIR / P1C2E12 

C’est l’histoire où Béatrace fait une connerie avant de s’envoyer en l’air tout en coulant un U-Boote.

 

Mardi 19 avril

9 heures 30

Archives secrètes d’Eusèbe Malfort

 

- Remonte, papa, va t’occuper de l’édition. Béatrace et moi, on va « visiter ». Il faut que tu sois en haut, ça va bouger, tu dois y être, tu es seul capable de leur tenir tête s’ils disent des conneries.

- Oui, bien sûr. Mais prenez des munitions, des grenades…

- Contre des bombes atomiques ?

- Et nous, qu’est-ce qu’on avait contre les Nazis ?

- Tu as raison, allez, venez Béatrace, on y va !

- Où vous voulez !! (ça y est, je suis amoureuse…)

Une cavalcade dans la galerie qu’ils connaissent bien maintenant, dans la lueur tremblante d’une torche électrique, avec une lourde sacoche à l’épaule et une Sten à la main.

Pas trop fière, Béatrace se dit qu’elle pourra toujours la refiler à Arthur s’il faut s’en servir. Bien sûr, il lui a montré : tirer le levier, déverrouiller la sûreté, appuyer sur la gâchette pour tirer en dirigeant le canon vers l’ennemi et en tenant bien fort le tout…

Ça, c’est la théorie.

- On prend le locotracteur, déclare Arthur en arrivant dans la salle. Mais d’abord, ouvrir le portail…

- Vous avez la clé ?

- Dans ma musette !

Il s’approche de la serrure, y colle un petit pain de plastic, détonateur, mèche…

- Briquet ! demande-t-il à Béatrace qui a déjà réagi et lui tend le briquet de… de qui déjà ?

 

Et puis il l’entraîne derrière le locotracteur.

Gênée, elle n’ose pas recommencer le jeu de la poule sur un mur, vu qu’ils ne sont plus que tous les deux et que…

Boum !!!

 

Arthur se précipite et repousse le portail qui roule lourdement sur ses rails, serrure arrachée. Toujours courant, il revient et tire sur la prise qui relie le locotracteur au mur. La prise se débranche avec un claquement bref.

- Montez, vous allez conduire. Je vous couvre, ajoute-t-il en bondissant sur la plate-forme du locotracteur, mitraillette brandie.

- Mais… bêle Béatrace qui en est restée à la Deuche et qui n’ose pas trop monter sur cet engin.

- Montez je vous dis !

Béatrace monte avec la résignation du soldat qui découvre le no man’s land où s’entrecroisent les balles traçantes qu’il va devoir affronter.

- Fait noir, dit-elle en regardant dans la galerie qui s’ouvre derrière le portail et où disparaît le double ruban des rails qui luisent dans la lueur hésitante de la torche. Et comment ça marche ?

Arthur la pousse devant lui (il n’y a pas beaucoup de place sur cette plate-forme de conduite) et lui montre les deux manettes principales et les quelques interrupteurs en posant sa mitraillette dans le coin de la cabine, près de celle qu’elle a déjà posée…

- Ça c’est l’interrupteur général (il le bascule en ceinturant Béatrace des deux bras) (elle est trop occupée à suivre ses explications pour s’en rendre compte et ne serait-ce que songer à s’en émouvoir) (un moteur se met en route quelque part sous leurs pieds). Ça, c’est le compresseur du Westinghouse qui démarre, les freins pneumatiques. (Béatrace est ravie d’apprendre qu’au moins il y a des freins). Le grand levier, comme une manivelle, à gauche, c’est la commande de traction et le petit levier à côté, ça devrait être l’inverseur de marche, la marche arrière quoi. (Il pousse le levier de marche vers l’avant, grosse manivelle en laiton montée sur un gros axe, terminée par un gros bouton de bois poli.) (Rien ne se passe). Doit y avoir un homme-mort, affirme-t-il pour lui-même.

- Un homme mort ? relève Béatrace, pour le coup plus qu’inquiète.

- Un dispositif de sécurité qui coupe la traction si on le relâche…

Il appuie le levier-manivelle vers le bas et le petit train réagit par un sursaut en avant qui cesse lorsqu’il le relâche.

- Voilà : il faut garder le levier appuyé vers le bas tout en le poussant pour que ça marche… Et ça c’est le frein, ajoute-t-il en poussant vers l’avant la manette de droite, plus petite et toute lisse avec l’autre main.

Il ne se passe rien, jusqu’à un certain point où un sifflement se fait entendre…

- Ralentisseur électrique puis freinage pneumatique diagnostique Arthur en relâchant le tout.

- Ce qui veut dire ? demande Béatrace que cette débauche de technique impressionne.

- Ce qui veut dire qu’une légère poussée inverse le branchement des moteurs électriques qui deviennent dynamos et freinent en récupérant l’énergie pour les batteries, et qu’une poussée plus forte actionne les freins pneumatiques qui bloquent les roues…

- Ahhhhh ! bée Béatrace en poussant un interrupteur jusqu’ici ignoré, ce qui allume un puissant phare à l’avant de l’engin.

Fière d’elle, elle s’écrie :

- Et ça c’est les phares ! Manque plus que le klaxon et les essuie-glaces !

- Y’a pas de glaces et on se passera de klaxon, déclare Arthur. En avant, chauffeur.

Elle tourne vers lui un petit visage inquiet, et avec un frisson de moustache :

- On  y va Arthur ?

Il lui sourit et lui embrasse gentiment la joue :

- On y va, ma grande.

 

Et il ramasse sa mitraillette.

 

Avec un large sourire, elle pose les deux mains sur les manettes de traction et de frein, appuie celle de gauche vers le bas et la pousse doucement vers l’avant comme il lui a montré (elle tremble un petit peu) (elle pense à Indiana Jones).

Un ronflement sourd. Le train s’ébranle (et youpee !!), franchit le portail et s’enfonce lentement dans la nuit.

La galerie noire s’ouvre au faisceau du phare, et puis se fond dans l’ombre qui se referme derrière le petit train. Le tacatac régulier des rails scande le ronflement sourd du moteur électrique.

Arthur, tendu, inquiet au départ, se détend peu à peu : la galerie est longue. Très longue. Il pressent qu’elle va les conduire loin. Loin de Saint Tignous sur Nivette, et que rien ne se passera avant qu’ils n’arrivent à destination : la salle de départ était vide. Le déménagement de son contenu achevé, l’endroit est certainement au moins provisoirement abandonné.

Béatrace, elle aussi se détend, rassurée par Arthur, armé, dont elle sent la présence derrière son dos. Il me couvre, pense-t-elle avec un petit rire égrillard qu’elle garde pour elle.

Elle aussi ressent l’effet apaisant du tacatac des rails…

Devant eux, le long capot du locotracteur prolonge le pupitre de commande. Béatrace, attentive à l’obscurité qui s’ouvre devant elle dans la double ligne brillante des rails, maintient une vitesse prudente…

 

La tignasse hirsute de Béatrace devant lui, la silhouette mince de Béatrace, la concentration de Béatrace…

 

Arthur se dit en posant sa mitraillette dans l’angle du pupitre que tout cela est bien plaisant.

- Une poule sur un mur… susurre-t-il à son oreille.

Du coup, elle tourne la tête presque à se cogner et le regarde avec un sourire éclatant qu’il devine dans le contre-jour du phare, et puis elle reprend le sérieux de sa conduite…

Mais elle sent bien qu’il a les mains libres, parce que lui aussi est rassuré par cette longue galerie déserte et qu’il les a posées sur ses hanches…

Son sourire s’élargit encore, mais elle garde les yeux fixés sur les rails droit devant elle, même lorsque du bout des doigts il picore ses seins durs sous son tee shirt.

Il a posé sa mitraillette pense-t-elle.

Et pourquoi va-t-elle se mettre à penser aux canons de Navarone ? C’est vrai qu’elle a toujours des idées bizarres. Le souterrain, les gros obus, les gros canons. Les gros obus qui montent et qui descendent par le monte-charge et puis boum, la montagne qui explose. Bien sûr, d’osciller entre l’obus et le canon rend la métaphore hésitante et floue et elle en a conscience, et ça la fait rire Béatrace, et Arthur pense que c’est parce qu’il a entrepris de descendre son pantalon léopard pour explorer sa luxuriance, ce à quoi elle se prête volontiers en lui tendant une croupe plus dodue qu’il n’y paraissait.

Bon, se dit-il, cette aventure comporte de bien agréables péripéties, mais il faudra agir prudemment. Ce qui en soi est déjà fort imprudent parce que dans son esprit il ne s’agit plus des risques de leur expédition : il évoque l’approche mesurée et progressive qu’imposent certaines disproportions anatomiques par trop flagrantes auxquelles il se trouve confronté. C’est d’ailleurs aussi ce que pense Béatrace avec un petit pincement d’angoisse lié au souvenir impressionnant de ses audaces antérieures qui renforcent ses hésitations métaphoriques liées à l’évocation des canons de Navarone.

 

Et c’est là, qu’en toute bonne volonté, elle a fait une connerie…

 

Bien sûr, Arthur avait pu vérifier de tactu que ses dispositions étaient bonnes, que le sourire qu’elle lui avait adressé à deux reprises par-dessus son épaule tandis qu’il explorait sa broussaille n’était pas de façade, que sa croupe dodue ne se creusait pas par simple politesse et qu’elle se tendait vers lui avec un appétit certain, surtout depuis qu’il avait entrepris de libérer ce que l’esprit de Béatrace hésitait encore à assimiler au canon ou à l’obus, mais qu’en tout état de cause elle paraît à juste titre du charme redoutable du gros calibre. Mais quand même, bien sûr, il voulait y aller mollo.

Et de son côté, Béatrace se disait que les manœuvres d’ajustement seraient sans doute délicates, et donc, elle s’y préparait et que…

Bon c’est vrai que c’est là qu’elle a fait une connerie.

 

Parce que, toute concentrée sur le bras d’Arthur qui lui ceinturait la taille pour la maintenir tandis que la tête de l’obus (oui, plutôt l’obus en définitive) abordait les zones sensibles préalablement débroussaillées d’un doigt discret, elle avait baissé la tête et oublié un temps sa conduite. Ou plutôt la conduite du locotracteur. Parce que pour ce qui était de sa conduite à elle, elle savait très exactement où elle en était.

 

D’ailleurs le tacatac était tout à fait rassurant.

(Ça n’a l’air de rien, a-t-elle expliqué plus tard pour se justifier, mais essayez de garder l’esprit clair quand un monsieur comme Arthur vous… Bon c’est vrai que vous n’êtes pas forcément concernés.)

Et faut dire qu’Arthur de son côté ne faisait rien pour l’aider à garder le cap. Faut bien reconnaître que lui aussi avait l’esprit ailleurs, plutôt préoccupé par une différence de niveau qu’il s’efforçait de réduire en insinuant ses genoux entre ceux, accueillants, de Béatrace sans perdre de vue l’axe de la fenêtre de tir comme on dit à Kourou (Ariane ma sœur, de quel amour blessée… il avait fait un reportage en Guyane et un peu de théâtre dans sa jeunesse).

Bon. La connerie était partagée.

Mais c’est quand même Béatrace qui, pour s’arc-bouter préventivement afin de résister aux vibrations prévisibles du décollage, a tendu nerveusement les deux bras en avant sans lâcher ses manettes.

 

Ce qui a d’un coup d’un seul bloqué les freins du petit train.

Et projeté en avant le quintal d’Arthur déséquilibré par sa position à demi fléchie pour compenser les différences de taille, ainsi qu’exposé plus haut.

Ce qui a écrasé Béatrace, du coup transpercée jusques au cœur d’une atteinte imprévue (du moins pas aussi vite) aussi bien que radicale, écrasé Béatrace sur le pupitre, en lui soulevant les pieds de terre, dans un triple hurlement, de freins, de douleur et de plaisir.

Elle, écrasée, écartelée, soulevée, lui, précipité en avant, étranglé dans un pertuis étroit à se la peler façon banane mûre, et pressé contre des fesses moelleuses que c’en est une merveille.

Et puis sans transition, tous les deux tirés brusquement en arrière cette fois, lorsque Béatrace lâche la manette de frein qui lui glisse de la main droite et revient d’elle-même en arrière, pour se raccrocher des deux mains au gros bouton de bois poli de la manette d’avance, poussée à fond, qui fait repartir d’un coup le convoi vers l’avant dans un hoquet interrompu par le recul de l’ensemble Béatrace-Arthur.

Ensemble qui, accroché via les bras tendus et les mains crispées de Béatrace à cette fichue manette, la retire vers l’arrière au moment du redémarrage brutal, ce qui se conclut par un arrêt moins brusque sans doute, mais qui n’en repousse pas moins l’ensemble susnommé contre le pupitre, avec les coulissements forcés qui s’ensuivent entre les pièces d’attelage rudement éprouvées dudit ensemble.

Attelage dont la robustesse triomphe cependant de l’épreuve.

Ensemble qui se retrouve tout étourdi, elle couinant, lui grognant, sous les chocs successifs liés, si l’on ose dire, à la soudaineté de l’appariement obtenu, éprouvé, confirmé.

Heureusement que cette fois elle a plié les bras : jusqu’à où sans cela serait allé ce yoyo diabolique ? Jusqu’à quand ?

Bref. On s’apaise.

Mais peu : Béatrace, qui reprend ses esprits, toute habitée qu’elle soit par cette énormité qui lui chatouille presque les amygdales, repousse doucement cette fois et d’une main tremblante, une manette d’avance qu’elle n’a pas lâchée : quand la vertu l’habite (même de ch’val), une fille de France sait faire son devoir.

Le tacatac reprend.

Arthur, qui, lui aussi, retrouve à peine ses esprit, tout emballé par cet étranglement qui l’enchante, entreprend une partition de piston-vapeur qui trouve un écho quasiment ferroviaire dans le ouch-ouch dont Béatrace, couchée sur le pupitre, accompagne sa mesure en l’alignant sur le tacatac des rails.

Ledit tacatac se précipitant à mesure que le ouch-ouch s’oppresse sous l’accélération de la partition.

Et réciproquement.

Et lorsque Arthur, qui s’emballe jusqu’à presque lui mordre la nuque, tel l’étalon  brandi servant farouchement sa cavale, lorsque Arthur, enfiévré, enrichit le jeu brillant du piston  percutant dans les basses, d’un accompagnement contrapunctique de mandoline, pizzicaté du plectre de la phalangette du majeur gauche sur la crête sensible qui émerge de la jungle torride et ruisselante de fièvre, alors le ouch-ouch se mue en hululement strident tandis que Béatrace, bras tendus, nuque renversée et regard révulsé pousse à fond sa manette avec sur la rétine, la vision finale de la montagne de Navarone qui explose, aveugle à tout ce qui n’est pas cette flamme intérieure qui la ravage.

Le tacatac s’emballe dans un tactactactac frénétique et c’est ainsi…

 

… et c’est ainsi que les cinq gardes, dont Kurt, qui attendaient, debout au bord du quai de la base sous-marine, l’amarre à la main, que l’U118 finisse d’émerger, et c’est ainsi que les cinq gardes ont vu avec stupeur le locotracteur n° 2, qu’ils croyaient bien loin, déboucher sur le quai, à cinquante kilomètres heure, phare allumé, plein pot, dans le grondement de ses quinze tonnes accompagné du hurlement d’une sirène à deux tons d’origine inconnue.

Et c’est ainsi que les dix manœuvres Chochos alignés contre le mur du fond de l’embarcadère ont vu le petit train faucher en enfilade les cinq Pouyagoumyôs qu’ils accompagnaient pour les aider à décharger le sous-marin, les écraser, splash, contre le butoir du bout de la voie avant de basculer et de plonger dans le bassin, butoir pulvérisé.

Et c’est ainsi qu’Arthur et Béatrace, toujours attelés, sont envoyés en l’air par le choc et atteignent le sommet de la parabole qu’ils décrivent solidairement dans l’extase sans réaliser que leur envolée n’est pas uniquement métaphorique.

Et c’est ainsi que les quinze tonnes du locotracteur lancé à pleine vitesse plongent dans le bassin et viennent s’encastrer dans le kiosque du sous-marin qui affleure la surface et que le tampon avant droit défonce le panneau d’accès qu’un marin s’apprêtait à ouvrir.

Sous le choc, les batteries du locotracteur se brisent et deux cents litres d’acide sulfurique se déversent en fumant dans le vaisseau, aspirés par le tourbillon d’eau de mer qui s’y engouffre comme une vidange de chasse d’eau, transformant en un instant le submersible temporaire en submergé définitif, et noyant l’équipage dans un mélange d’eau et d’acide du plus désagréable effet (pour l’équipage s’entend).

 

C’est ainsi que disparut le Numéro Trois. Dissous dans un glou glou.

 

Cependant, Béatrace et Arthur, au terme de cette parabole extatique qui les précipite dans le bassin en les arrachant du coup à ladite extase (oh combien de Médors, combien de Toutounettes, qui sont partis joyeux pour se faire la fête, par le jet d’un seau d’eau se virent désunis ?), empêtrés dans des restes de fringues hâtivement enlevés, refont surface en toussant et crachant (et Béatrace se traite d’andouille pour avoir oublié qu’à Navarone aussi ça se termine à la baille).

Un peu perturbés par cet amerrissage forcé, ils barbotent l’un vers l’autre, tant la séparation brutale leur est pénible, tant cet attachement était puissant, noueux, noué, et se dirigent vers le quai après s’être débarrassés de ces restes de vêtements qui les entravent en luttant contre les tourbillons du naufrage.

Les tourbillons. Il faut toute la force d’Arthur, qui assiste Béatrace de son bras vigoureux, pour les vaincre et atteindre une échelle de fer scellée au mur…

Quand ils arrivent sur le quai, étourdis, trempés, refroidis mais ravis, les fesses et le reste à l’air, sans savoir ni pourquoi ni comment ni même où ils sont arrivés, Béatrace tombe dans les bras d’Arthur. Secoués d’un même rire homérique, ils se frottent mutuellement le dos pour s’essorer et se réchauffer.

Du bassin sortent encore quelques glouglous qu’ils attribuent au naufrage du locotracteur. Parce qu’ils n’ont même pas vu le sous-marin…

C’est alors qu’ils découvrent les Chochos.

 

Dix individus, adossés au locotracteur n° 1, celui qui reste ici pour assurer la navette, tous les dix vêtus d’une même tunique sommaire et nouée à la taille, pieds nus, tous les dix béants de surprise sous leur front bas aux sourcils saillants, dans l’éclairage jaune orange des lampes à vapeur de sodium qui leur donne un teint de cadavre.

Dix individus trapus aux regards torves et aux jambes torses, au poil rare et gras, qui les regardent, à dix mètres, comme s’ils voyaient un monstre marin émerger du bassin pour leur demander « C’est loin New York ? ».

Et l’un d’eux qui s’avance jusqu’au bord du quai, regarde l’eau où des bulles crèvent encore, les regarde, incrédule, et glougloute dans un langage mouillé :

- Et les autres ?

- Les autres ? demande Béatrace, pas du tout gênée d’être les fesses à l’air (elle fréquente des plages naturistes pendant ses congés) (elle y remporte toujours beaucoup de succès) et qui du coup remarque que la tunique du bonhomme tient plutôt du poncho retenu par une corde nouée à la taille et qu’il est à poil dessous. Et que c’est pas un triomphe.

 

Surtout par comparaison.

Forcément.

- Les autres ? demande Arthur qui s’est ressaisi et qui s’inquiète un peu de son imprudence en réalisant que tout leur arsenal est au fond de l’eau…

- Oui, Monsieur Kurt, qui était là avec les gardes (il montre le quai), et le sous-marin avec Monsieur Numéro Trois et l’équipage ?

Arthur et Béatrace se regardent.

 

Et c’est là que Béatrace a un coup de génie, histoire peut-être de rattraper sa connerie de tout à l’heure (qui lui laisse un souvenir  brûlant et cuisant à la fois) :

- Les autres ? Eh bien, ils sont repartis, ils reviendront plus tard…

- Mais… Monsieur Numéro Deux les attend, et…

- On vous a dit qu’ils sont repartis ! Et Kurt avec eux… enchaîne Arthur qui a compris que c’est leur chance qui passe : le bonhomme a l’air assez idiot pour gober l’énormité, et les autres s’approchent. Ils ne sont pas agressifs, mais s’ils le devenaient, même si individuellement ils ne pèseraient pas lourd face à lui, à dix contre un…

- Mais alors, Monsieur Numéro Deux est resté tout seul ?

- Et nous ? demande fièrement Béatrace.

- Oui, mais…

- Je suis Monsieur Numéro Quatre bluffe Arthur, conduisez-moi au Numéro Deux !

 

Le bonhomme a eu un geste de recul (Aïe, se dit Béatrace, il va trop loin, ils ne vont jamais le croire avec sa quéquette à l’air, et pour peu qu’ils connaissent déjà un Numéro Quatre, on est cuits…), geste de recul qui s’achève par une courbette respectueuse, imitée par les autres avec un temps de retard, tandis qu’Arthur, impassible et les fesses toujours à l’air, croise les bras sur son tee-shirt détrempé avec un coup de menton mussolinien qui provoque un bref et mol sursaut caudal purement mécanique.

Son interlocuteur se redresse et « traduit » pour les autres, dans un langage étrange qu’Arthur, qui a pourtant pas mal bourlingué, n’a jamais entendu. Avec un HOUUU admiratif, ils s’inclinent de nouveau, cette fois en connaissance de cause. Et devant Béatrace !

- Vous venez de Gibraltar ? lui demande son interlocuteur.

- De… Oui, de Gibraltar. C’est ça. Conduisez-nous au Numéro Deux…

- Vous ne vivez pas à Gibraltar. C’est pour cela que nous ne vous connaissons pas. Ceux des nôtres qui sont allés à Gibraltar ne nous ont pas parlé de vous… Mais vous vivez peut-être à Thulé…

- Nous sommes pressés. Conduisez-nous.

- Pardonnez-moi, il est vrai, ajoute-t-il avec un sourire courtisan que les Pouyagoumyôs sont toujours pressés… !

Arthur regarde Béatrace avec un poil d’amusement dans l’œil gauche :

- Et lorsqu’on nous freine nous transperçons l’obstacle.

 

Mais les dix personnages qui les entouraient jusque là n’ont pas pu profiter du regard mouillé qu’elle lui adresse en retour parce que, sur un geste de celui qui semble être leur chef, ils ont pris la direction d’un couloir obscur, à l’opposé du tunnel par lequel ils ont effectué leur arrivée fracassante.

Bon. Leurs baskets font floc floc et ils n’ont pas très très chaud, mais ça pourrait être pire, non ?

Arthur aimerait bien discuter avec Béatrace de toute cette histoire, de Gibraltar, de Thulé, poser des questions, réfléchir, chercher, reprendre souffle ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de sous-marin ? Il y avait un sous-marin, il doit en venir un ? Des renforts pour ici ? Qui est ce Kurt ? Le Numéro Deux ! Je vous demande un peu !!

Mais, bon.

Il a entouré les épaules de Béatrace d’un bras tendre, protecteur, mais digne, d’un bras qu’un Monsieur Numéro Quatre pourrait consentir à une compagne ou à une favorite, selon le regard que lui porte un entourage dont il ignore tout, d’un bras qui, en tout état de cause se plaît là où il est.

Et on verra bien la suite.

Ils ont débouché dans une galerie au sol carrelé, au mur et au plafond plâtrés et peints d’un gris bleuté, très éclairée de tubes néons et de fenêtres hautes du côté opposé à celui d’où ils viennent, fenêtres par où ils distinguent en contrebas une sorte de hall d’usine, avec machines et chariots divers, une longue galerie qui s’étire à droite et à gauche.

Leurs guides se sont arrêtés, manifestement inquiets.

- Nous ne pouvons pas aller plus loin, le bureau de Monsieur Numéro Deux est là-bas, là au bout, dit leur chef en tendant un bras hésitant vers la gauche. Nous devons retourner attendre le sous-marin et Monsieur Kurt.

- Je comprends, condescend Arthur, surpris de les voir s’incliner profondément devant Béatrace et plus brièvement devant lui avant de repartir et de refermer derrière eux la porte qui isole leur tunnel de pierre brute de la galerie où ils les ont conduits.

- Tu leur as fait une grosse impression, enchaîne-t-il avant d’être interrompu par un baiser frémissant de moustaches à peine séchées.

 

Et de reprendre, lorsqu’elle lui rend l’usage de son souffle :

- Et à moi aussi…

- Stop ! l’interrompt-elle de nouveau en désignant avec un rire et d’un doigt impérieux les prémisses saccadées d’un nouveau lever des couleurs que, penaud, il cache hypocritement sous ses mains croisées.

 

Le doigt sur les lèvres, elle interrompt l’éclat de rire prêt à fuser.

- Tu as raison, on n’est pas là pour rigoler, qu’est-ce que c’est que cette histoire de sous-marin ?

- Quand on a… décollé tout à l’heure, après le choc…

- Ah oui, quand on s’est envoyés en l’air…

- Arrête, ou on n’y arrivera jamais… Quand on a décollé du locotracteur, j’ai pas bien compris parce que j’avais l’esprit ailleurs…Non, arrête, pas la peine de vérifier où je l’avais tu le sais bien. Arrête !!!… Il m’a semblé voir une forme sombre dans l’eau du bassin, et puis dans le bruit et tout ça…

- Et tout ça…

- Oh Arthur…

- Viens, on va demander des explications au Numéro Deux….

- Arthur… Le sous-marin, qu’est-ce qu’il est devenu ?

- Je pense qu’il a dû mal digérer le locotracteur qu’on lui a envoyé alors qu’il émergeait…

- Et tu crois que… que c’est celui où « ils » sont ?

Ramené à la réalité, Arthur reprend brusquement son sérieux et redevient le Patron rapide et décidé :

- Non, le bassin est trop petit si je me souviens bien de la photo. Mais ce Numéro Deux va nous expliquer l’histoire en détails, crois-moi. Et s’il regarde tes fesses, je le divise en table de multiplication et j’ajoute ses restes à l’addition finale. 

 

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La suite, ce sera ici



[1]: Le baron Rudolf von Sebottendorf, de son vrai nom Adam Alfred Rudolf Glauer, (9 novembre 1875 - 9 mai 1945), ingénieur allemand naturalisé turc, fut l'homme qui dirigea l'Ordre de Thulé. Cette organisation sectaire est célèbre pour avoir participé à la conception des bases idéologique du parti Nazi, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, en mêlant une idéologie antisémite à une certaine philosophie occulte du Moyen-Orient. Avec la participation de Sebottendorf, l'organisation se mua rapidement de secte en un rassemblement d'activistes politiques réunis par l'envie de faire tomber la toute jeune République de Weimar. Établi en Turquie, Sebottendorf était revenu en Allemagne pour y mener l'action de l'Ordre de Thulé. Ayant brusquement quitté l'Allemagne, il n'y revint qu'à l'occasion de la venue au pouvoir d'Hitler, mais échoua à rebâtir une influence politique au sein du nouveau régime. Il retourna rapidement en Turquie et se donna la mort à Istanbul en 1945. Sebottendorf mettra sur pied un journal, le " Volkischer Beobachter ", afin de diffuser les idées de la Thulé. Ce journal deviendra plus tard l'organe officiel du parti nazi.

[2] Selon la méthode À Six Mille, qu’il a faite sienne…

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