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feuilletonton
8 avril 2016

L’OPÉRATION ÉCOLOCROQUES / P1C1E15

Le début de l’histoire c’est ici

À BORD DU HAI II / P1C1E13 - feuilletonton

Rien à voir. Zédation macabre d'un talus de printemps...composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S... Des mousses (sporogones) Z47 C'est l'histoire où Victor et Clémentine, prisonniers à bord du Hai II, se trouvent menacés des pires extrémités . Mercredi 13 avril Agotchilho Vic et Clèm ont mangé sans un mot.

http://feuilletonton.canalblog.com

 

L’épisode précédent, c’est ici

Le début du chapitre, c’est ici

La table des matières, c’est ici      

                 

5ZA26DMS

 Rien à voir. Zédation[1] macabre d’un talus de printemps…composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S[2]

 2ZBS47+RVB en S

 Des mousses (sporogones) Z47

3ZB29+RVB en S

 Pulmonaires Z29

 

N°15 / L’OPÉRATION ÉCOLOCROQUES / P1C1E15 

C’est l’histoire où Victor et Clémentine visitent le Hai II, sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Ce que le Numéro 1 attend d’eux.

 

Jeudi 14 avril

Midi

Hai II.

 

Le Numéro Trois leur a fait visiter le vaste engin où une forêt de tuyaux, une floraison de cadrans et d’écrans sont censés leur montrer la puissance d’une énorme machine de cent soixante dix mètres de long.

Ils sont passés entre le double alignement des silos de missiles, dix à droite et dix à gauche, dix fusées à droite et dix fusées à gauche.

Seize mètres de haut, les fusées, deux mètres quarante de diamètre, leur a complaisamment décrit le Numéro Trois.

Dix ogives nucléaires vingt cinq fois plus puissantes qu’Hiroshima chacune par fusée, deux fois dix fusées, deux cents ogives, cinq mille fois Hiroshima à bord.

 Il leur a expliqué la manœuvre.

 Toutes les fusées peuvent être lancées d’une profondeur de cinquante mètres. Prêtes à partir, carburant solide. Toutes. Et atteindre leur objectif à plusieurs milliers de kilomètres avec une précision de cinq cents mètres, ce qui, compte tenu de leur puissance, assure une destruction absolue de la cible et si les têtes convergent, la vitrification assurée d’un rayon de trente kilomètres.

 Ils n’ont pas très bien compris pourquoi multiplier l’horreur par vingt cinq : déjà, une fois, de toutes façons…

Ils ont côtoyé un équipage indifférent ou goguenard. Cent vingt hommes, leur a dit le Numéro Trois. Manifestement, Piotr avait parlé.

Et puis ils sont revenus dans ce que le Numéro Trois a appelé la Résidence, le quartier réservé aux chefs, le quartier lambrissé de bois précieux, le quartier « yacht de luxe », où se trouve le mess, orné de tableaux de maîtres pillés pendant la guerre, comme le bureau d’Agotchilho.

 

Le Numéro Un les attend dans son état-major aux murs dissimulés sous des tentures de brocard, entre lesquelles apparaît, sur un vaste écran mural, un planisphère ponctué de points lumineux :

- Vous devriez vous sentir honorés de la confiance que je vous porte : je vous montre toute notre organisation ! Voyez : les points rouges constituent nos cibles potentielles les plus directes. Grandes villes, lieux stratégiques, il y en a une centaine en tout comme je vous l’ai déjà dit. Vous avez vu notre armement… Sans commentaires. Les points verts marquent nos quatre bases et le cinquième, plus gros, notre Centre du Groenland. Nous y passerons. Vous avez vu notre base de la Marée au Port, nous sommes près de celle de Gibraltar, plus au Nord se trouve celle des Lofoten et en Amérique du Sud, celle de Terre de Feu.

Tout au Nord, notre Centre. Je vous en reparlerai plus tard.

Les deux points blancs clignotants marquent la position de nos Typhoons. Tout ceci est bien sûr ultrasecret : nous sommes ici, au large du Portugal, et nous allons faire route vers notre centre du Groenland, que nous appelons la Nouvelle Thulé, après avoir déposé quelques colis près de Gibraltar. Une halte dans le Golfe de Gascogne où nous retrouverons le U118 permettra de rapatrier quelques Chochos sous la conduite de mon fils, qui doit rejoindre Agotchilho, lui aussi. Un voyage de routine. Ensuite, comme je viens de vous le dire, nous gagnerons le Centre de Thulé pour nous ravitailler : nous risquons d’être à court de caviar (il a un petit rire de connivence gourmande)…

Mais d’ici là, vous prendrez votre repas dans votre cabine, et puis Piotr vous conduira à la bibliothèque que je vais vous montrer de ce pas.

Il se lève et leur indique le chemin d’un geste.

La coursive traversée, ils retrouvent une pièce tapissée de livres et d’écrans, avec une table de cartes, et deux petites tables de travail…

- Nous sommes bien loin de nos chers U-Boote, n’est-ce pas ? Ach, la nostalgie des odeurs de fioul et d’acide… Et puis nous avons gagné beaucoup de place en simplifiant les procédures d’attaque et en réduisant les campagnes et donc l’équipage.

Il leur fait signe de s’asseoir et lui-même s’installe face à eux, satisfait de disposer d’un auditoire, fût-il silencieux.

- Nos campagnes ne sont plus que de deux mois et demi, avec quelques coupures pour l’équipage dans l’une ou l’autre de nos bases, et nous restons souvent au Centre, où sont ravitaillés les deux Hai… Mais trêve de bavardages, mes amis. Mettons-nous au travail !!! Piotr !!!

Il a à peine élevé la voix et le serveur, maintenant vêtu d’un uniforme impeccable apparaît de derrière une tenture qui dissimulait un bureau plus petit où il devait se tenir.

- Piotr est mon ordonnance. C’est un brave garçon, très dévoué. Un cosaque dans l’âme et un parfait Aryen, ce qui ne gâte rien même si cela semble paradoxal !!!

- Piotr, reprend-il, du papier, des stylos pour mon ami Victor ! Je peux vous appeler Victor, n’est-ce pas ? Victor… Quel nom somptueux. Un nom de seigneur à n’en pas douter !!! L’avenir est à vous si vous savez me suivre, mon cher ami !!! Piotr, vodka pour mon ami, celle que tu as ramenée de ta dernière expédition à terre et que je t’ai confisquée !!! La vodka est interdite à bord, elle est la perdition des équipages russes !!! 

Le Numéro Un pérore joyeusement, et Piotr, plus amusé qu’effrayé, sort une bouteille givrée d’un bar glacière, dispose trois petits verres de cristal sur un plateau d’argent et pose le tout sur la table. 

Puis il place papier et stylos devant Victor et se retire dans son bureau.

 

Victor et Clèm, assis côte à côte, restent impassibles devant ce déferlement d’urbanité et de séduction, attendant, dans l’impuissance la plus absolue.

- Je ne bois pas d’alcool, constate néanmoins Clèm.

- Allons, chère amie, je m’offenserais d’un refus, faites-moi le petit plaisir de partager cet apéritif ! C’est un rite sacré chez les Français et je sais que vous ne voudrez pas me décevoir. Puis nous parlerons affaires.

Et il vide son verre d’un trait :

- À votre bonne santé ! Prosit !!! s’exclame-t-il dans un grand rire. 

Victor vide son verre sans faire de commentaires. 

Clèm grimace un peu en avalant le liquide brûlant et glacé. 

- Vous voilà des nôtres, comme dit la chanson… 

- Que devons-nous faire ? demande Victor qui semble n’avoir rien entendu et dont les moustaches ont repris un petit peu de poil de la bête.

- Ecrire un article. Une série d’articles. Des articles qui présentent les Écolocroques et leurs projets, qui racontent ce qui vous est arrivé, qui racontent ce qui va arriver si nous ne sommes pas pris au sérieux. Un premier article qui se trouvera appuyé par quelques actions de nos amis et de nous-mêmes.

 - Et qui expliquera la manière dont nous avons été « convaincus » ? Qui parlera d’Hector ? Clèm s’est presque levée, regard flamboyant.

- Nous resterons discrets sur ces détails, il ne sera pas question d’Agotchilho dans un premier temps. Disons que vous aurez été contactés directement et que votre curiosité professionnelle aura fait le reste, répond le Numéro Un en souriant. Je laisse à votre talent le soin d’imaginer des circonstances vraisemblables. 

Victor pose la main sur celle de Clèm, agrippée au bord de la table, pour la calmer. 

- Nous dirons ce que vous voudrez…

- Très bien, votre cabine est en face et le repas est servi, ce sera l’ordinaire de l’équipage, que vous me pardonnerez de ne pas partager, d’autres obligations requièrent ma présence. Vous pourrez ensuite revenir à vos travaux d’écriture : je ramasse les copies à quatorze heures ! Piotr vous apportera toute l’aide dont vous pourrez avoir besoin. Ah, détail technique : votre premier article sera manuscrit, de manière à être authentifiable… Pour la mise au net pratique, Piotr va vous donner votre ordinateur portable, que nous avons récupéré chez vous, j’espère que vous nous le pardonnerez, mais vos clés étaient dans votre voiture. Vous y retrouverez tout le dossier que ce pauvre Hector avait eu l’imprudence de vous communiquer. Mais, je le répète, je veux une première copie définitive manuscrite. 

Il salue ironiquement Clèm d’une inclinaison du buste et sort. 

Piotr le suit, après un regard gourmand à Clèm. 

Vic et Clèm se regardent un temps… 

L’espèce de stupeur sombre dans laquelle ils ont plongé depuis la fin d’Hector perdure, les faisant osciller entre rage impuissante et désespoir. 

Leur seul recours réside dans ces échanges silencieux de regards où ils se ressoudent l’un à l’autre. 

Pour le reste, ils seraient sur la planète Mars au milieu de créatures verdâtres et phosphorescentes équipées de doigts à ventouses qu’ils ne s’en sentiraient pas plus éloignés que des individus qui les entourent.  

Ils n’ont pas besoin d’en dire plus. 

Ils savent que l’autre éprouve le même creux au fond de l’âme, le même vide d’angoisse, et que seule leur présence mutuelle leur donne force et courage. 

Le repas est morne, à l’image du contenu du plateau qui trône sur la table de leur cabine : patates et saucisses. Ils n’osent parler… Reviennent au plus vite dans la bibliothèque. 

- Trouve-moi un chapeau, Clèm, je ne sais pas par où commencer…

- « Des Nazis se recyclent dans l’écologie »… Tu crois que ça irait ?

- Sûrement pas !

- C’est dommage, on serait dans la réalité… « La pureté de la Terre après la pureté de la Race »…

- Tu n’en sors pas, ils aimeraient, mais refuseraient d’avancer aussi à découvert.

- Leur slogan c’est bien « La Terre par dessus tout » ? Eh bien on reprend ça et on sous-titre : « Les Écolocroques veulent purifier la Terre ». 

Victor et Clèm sont assis côte à côte devant l’ordinateur portable que Piotr leur a apporté sans un mot. Clèm, au clavier, tape au fur et à mesure alors que Vic griffonne des notes au stylo. 

- Oui, c’est ça, c’est bon ça ma cocotte (rire amer) ! Si on survit on sera bien partis pour le Pulitzer ! Si jamais il reste un Pulitzer … Tiens, ressors-moi le dossier d’Edgar. Je te rappelle le code : « MACLEM » (petits sourires timidement échangés) (pardon mon Boulet) (laisse tomber mon Canon, on n’en est plus là). On commence par une mise en situation, ici, pour dire d’où ça vient, comment on a été contactés, et pourquoi on l’a été, mais là, il faudra broder… On peut partir des incidents qu’Edgar nous a signalés et qui étaient en fait destinés à attirer notre attention…

- On restera très vagues sur Edgar…

- Forcément, on n’en dira rien…

- On ajoutera le programme que ces joyeux Numéros vont nous communiquer…

 

Une heure plus tard, Victor recopie à la main, de sa grande écriture nerveuse, la version définitive de l’article que Clèm a saisi sur le petit ordinateur portable. 

- Alors, où en sommes nous ? 

Le Numéro Un vient d’entrer, un papier à la main. 

Victor lui tend ses feuillets… 

- Bien, bien, mais c’est trop long mon cher. Dans un premier temps, nous nous contenterons d’une prise de contact et de la diffusion d’un manifeste. Il suffit que vous donniez une version cohérente de votre venue à bord. Vous avez commencé à raconter votre vie sur le Hai II, pensez-vous que cela intéresse vos lecteurs ? Dans un second temps peut-être… Il s’agit d’une série d’articles, ne l’oubliez pas.

- C’est pour donner de la crédibilité à…

- Soyez tranquilles, nous serons crus. Demain, plus personne ne doutera de la véracité de vos informations. Vous apporterez le plus grand scoop de l’histoire ! Tenez, je vous ai amené le texte du manifeste que vous annexerez à votre article. Rédigez-le, de suite, ma chère Clémentine, élaguez le texte de notre ami comme je l’ai indiqué, et joignez-y ceci… 

Sans un mot, Clémentine obéit… 

Victor, qui s’est levé, lit par-dessus son épaule :

- Oui, comme ça, ça devrait coller… Et ça… C’est votre message ? Bon sang...

On… on l’ajoute ici, comme ça ? 

Clèm est livide. Elle se tourne vers le Numéro Un :

- Vous n’avez quand même pas l’intention de…

- Mais non ce ne sera pas nécessaire : ils vont céder. Nous ne tenons pas à détruire ce monde qui nous revient… 

Il a un rire grinçant et ajoute comme en a parte :

- Mais il sera puni pendant mille ans pour nous avoir une fois échappé… 

Et puis, sur un ton sans réplique :

- Ce document sera envoyé à votre rédaction du Petit Matois Subreptice via Internet. Il sera agrémenté des photos que nous prendrons cette nuit sur le pont du Hai II. Vous y figurerez en bonne place. Il ne pourra pas être « sourcé » puisqu’il passera directement par notre satellite… Vous verrez, c’est la pleine lune et la mer sera superbe. 

Et, triomphant :

- L’« Opération Écolocroques » est lancée. Ce soir, je vous invite au mess.

 

 

N°16 / LES DISTRACTIONS DES PRISONNIERS  P1C1E1

C’est l’histoire où Jules expose sa théorie saoûlométrique à Rébéquée, très occupée par Hélène.

  

Jeudi 14 avril

Depuis 10 heures

Agotchilho

 

Etrange journée que celle-là.

Après un éveil un peu lourd, chacun a fait une toilette machinale et on s’est assis autour de la table.

Un Chocho baragouinant leur a fait passer des écuelles par le guichet resté ouvert. Ils ont mangé. Machinalement… 

Rébéquée a bien trouvé anormale cette torpeur où ils semblent avoir sombré si facilement. 

Jules y voit une vague ressemblance avec un début de ce qu’il appelle la « cuite lucide ». 

Et d’étaler une typologie savante de la cuite, depuis la cuite noire qui vous allonge dans les caniveaux de l’inconscience, jusqu’à la cuite féroce qui vous rend agressif et violent, en passant par la cuite dépressive, la cuite bavarde, la cuite lyrique, qui prolonge la précédente et au cours de laquelle ressurgissent tous les poèmes jamais lus en une interminable logorrhée déclamatoire, la cuite prostrée, la cuite larmoyante, la cuite baveuse, la cuite errante, la cuite sensuelle ou bandante, la cuite crapuleuse, la cuite dégueulante, la cuite dégueulasse, où on se fait dessus, la cuite rigolote, la cuite que je m’en fous, la cuite du siècle, la cuite marécageuse, la cuite ravie, la cuite paumée, la cuite flageolante, etc.… typologie que les filles suivent avec l’intérêt profond d’élèves de douze ans pour une conférence « Connaissance du Monde » sur le Jütland danois au 18ème siècle. 

La cuite lucide, donc est celle au cours de laquelle vous êtes certain de savoir et d’avoir raison. Elle peut être consécutive, bien sûr, à une absorption massive de whisky (Jules pense toujours en termes d’UW, soit Unité Whisky, qui constitue sa boisson de base ; pour lui la cuite lucide débute à quatre UW soit quatre verres bien tassés), mais il affirme l’avoir rencontrée chez de sobres curés de tout poil et de toute obédience, chez divers hommes politiques en démarchage professionnel, chez les militants desdits, Naris et écolos en particulier (il suffit d’écouter pérorer Bricolat Mulot), quand ils se mettent à croire au discours professionnel des précédents, chez des commerçants pressés de se remplir les poches, maquignons divers au sourire large et aux doigts crochus, mais toujours liée à une suffisance dangereuse pour celui qui y succombe comme pour celui qui s’y trouve confronté… 

Rébéquée, tout en l’approuvant de manière systématique, de la voix, de la mimique et du sourire, expose de son côté sa vie et ses malheurs à Hélène, depuis l’abandon de son amie Michelle, au Canada (c’était bien le Canada, mais tu sais, les souvenirs, c’est dur) (oui, tu sais), jusqu’à la recette du vin de prunes qu’elle se promet de lui faire goûter lorsqu’elle viendra la voir dans son petit appartement de Saint Tignous sur Nivette (mais si, tu verras, on va s’en sortir, je t’aiderai, non, ce n’est pas fini, tu sais, Hector, il t’a peut-être larguée après tout ; une fille mignonne comme toi, si c’est pas malheureux, non, je ne dis pas du mal d’Hector, ne pleure pas, viens dans mes bras ma douce, comme ça, oui… Oui, Jules, tu as bien raison, tous des salauds… Oui, bien sûr, je parle des hommes en général et des Chochos en particulier, pas d’Hector… Attends, je vais faire pipi, regardez pas)… 

Hélène, entre deux crises de larmes se blottit contre Rébéquée (qui trouve tout naturel de caresser gentiment ses jolis petits seins ronds sous la tunique commodément ouverte sur les côtés), en lui racontant sa vie à la boulangerie, son papa qui travaille dur, sa douce maman, (c’est vrai qu’elle a l’air douce, lui dit Rébéquée fort préoccupée par les petits frisons de son mignon triangle), son papa qui cherche à comprendre les Chochos, surpris parce qu’ils refusent de travailler en dehors de la Marée au Petit Port, qui cherche à comprendre, et le jour où il part à la pêche sur un bateau Chocho, tout content de faire un peu mieux connaissance, et puis le soir où il ne revient pas, le drame terrible (une vague, il est passé par-dessus bord, coulé à pic, pas retrouvé, les courants), la maman qui reprend le travail pour l’élever, elle, Hélène, sa maman qui embauche Hector comme mitron, Hector si gentil, si tendre avec elle, qui travaille dur aussi, et maintenant… et maintenant… 

Toute la journée dans cette torpeur étrange entretenue, ils s’en rendent presque  compte, mais pas assez pour réagir, par ces repas de bouillie qu’on leur apporte régulièrement… Pas mauvaise la bouillie… Le temps ne veut pas dire grand-chose, il n’y a pas de jour ici, dans cette cave tiède, le temps ne veut rien dire… Jules parle de cuites et trouve que ces écuelles sont à classer en UW quatre, un saoûlomètre précis restant à établir, qu’il aimerait bien pouvoir étalonner avec un vrai whisky, peu importe, pur malt ou blended, Jules est moins gourmet que gourmand, après tout c’est le résultat qui compte… 

Rébéquée caresse lentement, doucement, précisément la peau tiède d’Hélène dont la douleur se trouve apaisée et qui somnole sur ses genoux en évoquant Hector et sa tendresse, tandis que Rébéquée chantonne à voix basse… 

Le Chocho de garde glougloute de la glotte derrière son guichet glauque. 

S’embête pas la Rébéquée, se dit Jules qui parle tout seul sans s’en rendre compte, et qui se lève en titubant un peu, jambes molles, pour aller pisser lui aussi, gêné bien sûr d’aller aussi à grosse commission par devers les dames (même emmêlées comme elles le sont et se souciant peu de lui en l’occurrence), parce qu’il est fort loquace du cul et doté d’un fondement à la toux grasse et abondante qui le gêne même dans cette circonstance où pourtant la bouillie Chocho lui a délayé la conscience à un niveau d’au moins quatre UW. 

Bref, c’est en pestant contre lui-même et ses boyaux, en façon de camouflage sonore, qu’il s’installe sur la cuvette, contraint et forcé de céder à ses intimes surpressions, conscient de la vacuité d’un destin qui nous réduit périodiquement à ce rôle d’alambic à merde devant lequel s’efface toute envolée métaphysique. 

Et réduit à consommer ensuite une bonne part de la réserve du papier rose dont le parcimonieux rouleau se trouve déjà fort entamé, il médite un temps sur l’ironie qu’il peut y avoir à colorer de rose bébé ou de blanc virginal un aussi trivial accessoire. Et d’aucuns, se souvient-il, poussent le mauvais goût jusqu’à être parfumés à la fraise. Se balançant dans ses propres effluves, il médite sur ce qu’enfin il identifie comme étant une ironie des fabricants de papier, voire une sorte d’antiphrase du destin, assez proche de la légèreté de cet instant où il chie devant deux filles qui se caressent sans penser à lui, dans une cellule secrète où, va savoir pourquoi, miraculeusement, il se sent bien. 

Et puis il regagne sa place à la table, dos au guichet où luit vaguement un œil Chocho. 

C’est bizarre quand même, cette sensation. Nous ont drogués avec leur soupe. Sont enchnoufés, leurs crabes. Elle devrait y aller mollo, la Rébéquée, la petite est en pleins brouillard. Elle aussi d’ailleurs, sacrée nana, et puis c’est comme ça, qu’est-ce qu’on y peut, ça me rappelle ma jeunesse, eh, oh, faudrait pas croire que je suis vieux, mais c’est vrai que la bouteille ça fatigue… 

Enfin…

 

Tiens qu’est-ce que c’est que ça, pas un tremblement de terre quand même. 

Ben c’est sûrement pas le RER qui passe, alors quoi t’est-ce ? 

Et boum et boum… 

C’est pas fort ou bien c’est loin, mais on l’entend… Oh !!! Rébéquée, réveille-toi !!! 

- Mmmhhh ? 

Les deux mains sous la tunique d’Hélène qui sourit aux anges, perdue dans ses vaporeux nuages, Rébéquée lève un sourcil. 

- T’entends pas ?

- J’entends pas quoi ?

- Boum boum….

- Boum boum ? 

Elle ouvre un œil un peu plus vif. 

- Boum boum ? Mais t’es encore dans le cirage mon pauvre. Boum boum… !! Tu régresses du langage ? C’est pour quand les visions ? T’es sûr que tu ne nous prépares pas un bon vieux delirium ?

- Dis pas de bêtises, lâche ta copine, que tu profites de sa misère et que ça c’est pas bien, et écoute !!

- Je profite de rien du tout, je la déstresse, monsieur, c’est un massage tantro-thérapeutique destiné à lui rendre sa sérénité première…

- Et moi je peux la masser tantro comme tu dis ?

- Vieux satyre !!!

- Ah, tu vois, moi je serais un vieux satyre, mais toi, tu es la sainte bénédiction des vierges et des orphelines… Je vois bien que les gouines sont aussi hypocrites que les mecs… N’empêche, t’entends pas ? 

C’est vrai qu’il s’en moque des amours compliquées de Rébéquée et que depuis qu’il a noyé sa libido dans le Johnny Walker, il ne se choque plus des voracités charnelles de ses contemporains (et raines), ainsi qu’il se plaît à se le dire in petto lorsqu’il se trouve confronté à une situation scabreuse. 

- Alors, t’entends pas ? 

Eh si, justement, elle entend, Rébéquée, du fond de sa torpeur bercée des langueurs d’Hélène, elle entend, comme un martèlement sourd et lointain, souterrain, profond, avec, rythmiquement disposés, deux coups plus accentués qui en marquent la cadence. 

Elle entend, au travers des soupirs légers d’Hélène dont l’haleine fraîche vient fondre dans son cou, ces cognements lents dont les intervalles s’emplissent d’un bourdon régulier et sourd. 

Et qui se rapprochent. 

On dirait des pas, loin sous terre, d’une foule nombreuse et précipitée avec un gros tambour voilé, comme ceux des funérailles d’antan, ou des temples japonais, assourdi, mais profond et puissant. 

Boum boum… 

C’est étrange ce gros tambour, on dirait qu’il vous cogne du dedans et que le son ressort vers l’extérieur. Comme si c’était vous le tambour. Il cogne, au plexus, au milieu du diaphragme, sous le cœur. 

Boum boum, accompagne Jules en se balançant sur sa chaise, un sourire ravi aux lèvres. 

Ravi.

 

Ça lui plaît à Jules ce tambour qui l’habite : il a l’impression d’entrer en résonance avec toute la terre, avec les murs d’ardoise brute de la cellule, avec la table, tiens, avec Rébéquée et Hélène même, qui se balancent aussi en mesure, les yeux fermés, et c’est pour ça qu’il se balance, dans le chaud et la lumière douce. 

Et c’est ça qui fait se marrer le Chocho glougloutant derrière le guichet. 

Boum boum… 

Hélène enserre le cou de Rébéquée de ses bras blancs, enfonce son minois dans son cou et se cambre avec un léger hoquet sous les mains expertes que cache la tunique. 

Puis elle retombe avec un léger sourire et s’endort instantanément. 

Boum boum… 

Rébéquée sourit de ce joli tour joué au destin. 

Boum boum… 

Jules grommelle, le front entre les mains, les coudes sur la table, noyé dans ses pensées, bercé par le rythme. 

Boum boum…

 

La porte s’est ouverte. 

Tiens, se dit Jules. Tiens donc… De la visite…

 

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À BORD DU HAI II / P1C1E13 - feuilletonton Rien à voir. Zédation macabre d'un talus de printemps...composée de 26 images+ carte de profondeur RVB en S... Des mousses (sporogones) Z47 C'est l'histoire où Victor et Clémentine, prisonniers à bord du Hai II, se trouvent menacés des pires extrémités .

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L’épisode suivant, c’est ici



[1] Voir ici, et ailleurs sur Phototonton… Pour la Carte de Profondeur, voir ici, en note 3

[2] Fleurs d’amandier.

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